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L’école, fondement de la démocratie

Levons d’emblée une ambiguïté : si ce dossier associe les mots école et démocratie, ce n’est pas pour prétendre que chaque établissement scolaire fonctionnerait comme une minisociété démocratique. Non seulement enseignants et élèves ne sont pas soumis aux mêmes devoirs, mais ce qui fonde la relation pédagogique est précisément cette inégalité de statut qui permet la confrontation de l’élève avec le savoir. François Audigier se charge de nous rappeler cette vérité première tout en soulignant que la démocratie politique, qui organise le partage du pouvoir, correspond à une certaine conception de la vie sociale dans laquelle l’instruction occupe une place fondamentale. Il s’agit de se demander comment les valeurs auxquelles se réfère cette société démocratique sont à l’œuvre dans l’école et dans le rapport au savoir.

Pour ouvrir le dossier, Elizabeth Thuriet raconte comment elle a été à la recherche de ces valeurs durant toute sa carrière et comment elle les a vues émerger lentement et difficilement au sein d’une institution qui, comme l’explique Jacques George, peine à se défaire de ses manières autoritaires. Mais Michel Tozzi et Philippe Breton nous rappellent opportunément qu’avant de devenir un système de gouvernement, la démocratie a trouvé sa source dans une pratique de la parole et du débat.

C’est à ce titre qu’une seconde partie explore l’idée selon laquelle on peut considérer qu’à l’école, c’est au sein même de la démarche d’apprentissage que se fait la rencontre entre la pensée singulière et le savoir institué, entre l’individu et le collectif. C’est là que s’exerce l’esprit critique sans lequel toute démocratie devient formelle. Apprendre devient alors plus un projet qu’une contrainte et apporte davantage de questions que de réponses dans la mesure où il s’agit d’entrer dans la complexité plutôt que d’enfermer la réalité dans les matières d’un programme ou d’un savoir analytique (J.L. Allain). Les témoignages qui décrivent en quoi l’acte d’apprendre engage élève et enseignant dans une démarche responsable illustrent bien cette idée centrale.

Une troisième partie s’attarde sur quelques aspects de l’organisation de l’établissement scolaire pour constater qu’il existe à peu près la même asymétrie entre les élèves et les enseignants qu’entre les enseignants et l’administration, les parents et l’école. La parole des uns et des autres ne sera entendue que si des instances, des dispositifs ou des cadres en garantissent la légitimité et surtout si les adultes qui ont la charge de les faire vivre ont confiance dans les capacités de chacun à progresser et à agir. C’est ce que montrent les articles qui traitent du conseil d’administration mais également du pouvoir de la presse scolaire ou de la manière dont une évaluation respectueuse des élèves et des parents joue un rôle de communication essentiel entre l’école et les familles. Enfin, le dossier se conclut sur deux témoignages contrastés – d’un côté les enseignants d’une classe préparatoire implantée dans le lycée de Montreuil, d’autre part, l’école ouverte des Bourseaux- qui démontrent chacun à leur manière à quel point une école respectueuse des valeurs démocratiques peut, en se mettant au service de la réussite de tous, devenir « un centre de la vie de la cité en ce qu’elle contribue à ce que se construise du lien social ».

L’école, en effet, n’est pas un lieu clos : elle n’est destinée à devenir ni le sanctuaire protégé des turbulences de la vie sociale ni une sorte d’utopie provisoire qui mettrait les futurs citoyens en contact avec les valeurs humanistes dont on espère qu’ils garderont le souvenir. L’école est dans la démocratie et prépare les élèves à en devenir acteurs. Cela crée des obligations pour tous car, à l’école de la République, est-il imaginable pour les élèves et les familles que la démocratisation des savoirs et la formation des citoyens ne passe pas par des pratiques éducatives, pédagogiques et didactiques conformes aux valeurs de la démocratie ?

Michèle Amiel, proviseure du lycée Jean Jaurès à Montreuil,
Christian Frin, principal adjoint dans l’académie de Rennes,
Pierre Madiot, professeur de français en lycée.