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L’activité scolaire hors l’école comme espace de rencontre
Lorsqu’il est question des relations avec les parents en formation initiale des enseignants, le premier obstacle énoncé par les professeurs d’école stagiaires est l’impossibilité de construire une relation avec les parents du fait de l’absence ou du faible nombre de contacts avec les parents d’élèves au cours des stages. Mais cet obstacle est également souvent énoncé par des enseignants titulaires qui déplorent de ne pas « voir » les parents d’élèves.
Il existe donc une nette focalisation sur les relations directes, qui provient certainement de la place qu’on leur accorde depuis plus de vingt ans dans les textes officiels. Dès les années 1980 en effet, l’idée est affirmée qu’un climat de confiance entre l’école et la famille contribue à une bonne scolarité des enfants et constitue un levier pour la réduction des inégalités devant l’école. L’accent est mis sur les relations directes de type formel – réunions, entretiens individuels,… (cf. tableau, ligne 2 colonne 2)- pour améliorer la relation avec les parents d’élèves.
Relations directes | Rencontres de face à face : réunions collectives, entretiens individuels,… Communications téléphoniques, messages écrits sur supports papier ou par voie électronique,… | Échanges entre parent et enseignant lors des temps d’accueil à l’entrée et à la sortie de la classe,lors de manifestations festives, rencontres hors de l’espace scolaire,… |
Relations indirectes | Rencontres autour de la scolarité de l’enfant du parent et d’un professionnel : adulte-relais, éducateur, animateur de structure de soutien à la scolarité,… | Échanges sur l’école et l’expérience scolaire entre le parent et l’enfant, le parent et un autre parent d’élève,… |
La circulaire de 2006[[Le rôle et la place des parents à l’école, Circulaire n° 2006-137, Bulletin Officiel du 31-8-2006.]] ne déroge pas à cette règle en mettant l’accent sur les relations directes avec les parents. On y relève certes une évolution, qui concerne la place à réserver aux entretiens individuels dans le but d’informer les parents des résultats scolaires de leurs enfants et d’éventuelles difficultés de comportement. On y rappelle l’importance des rencontres collectives. Le rapport de l’IGEN d’octobre 2006[[La place et le rôle des parents dans l’école, Rapport n° 2006-057 de l’Inspection générale de l’Éducation nationale et de l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, octobre 2006.]], qui constate d’ailleurs que réunions et rencontres sont fortement fréquentées par la grande majorité des parents, met lui aussi l’accent sur l’importance du dialogue direct avec les parents.
Si ces relations directes sont encore perçues comme les modalités dominantes de la communication avec les parents d’élèves c’est sans doute comme l’écrit Philippe Perrenoud « parce que les adultes ont tendance à privilégier les relations qu’ils perçoivent le plus clairement et qu’ils croient maîtriser[[Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 2004, p. 75.]] ». Cependant, cette place accordée dans les textes et dans les pratiques aux contacts directs formels, initiés par les enseignants ou par les parents, ne doit pas conduire à négliger l’impact des relations directes de type informel (cf. tableau, ligne 2 colonne 3). Accueillir enfants et parents dans l’enceinte de l’école lors de l’entrée et de la sortie des classes, aller à la rencontre des parents à l’extérieur des bâtiments scolaires qui y sont encore souvent maintenus comme on le constate lorsqu’on circule régulièrement dans les écoles élémentaires sont par exemple aujourd’hui encore des pratiques peu courantes. La forteresse école, largement décrite par les sociologues[[Cf. par exemple Agnès Van Zanten, « Les familles face à l’école : rapports institutionnels et relations sociales», In Paul Durning, Éducation familiale: un panorama des recherches internationales. Vigneux : MIRE/Matrice, 1988, pp. 189-196.]], semble avoir d’ailleurs connu un regain de vitalité[[Au lendemain des menaces d’attentats terroristes, de nombreux établissements, y compris des écoles maternelles, ont fermé leur porte aux parents d’élèves, en particulier dans les grandes villes.]]. Pourtant, les signes d’hospitalité et d’accessibilité tout comme les sociabilités ordinaires et leurs rituels d’échange dont philosophes et sociologues ont montré l’importance[[Pour une synthèse voir par exemple Marc Edmond et Dominique Picard, L’Interaction sociale, PUF, 2003.]] ne sont pas sans effet. On sait que les informations qui s’échangent entre parents et enseignants dans les contextes informels peuvent influencer les relations formelles en contribuant par exemple à des régulations susceptibles de réduire les malentendus si fréquents dans les cas de manque de communication.
Sans négliger l’importance que revêtent ces relations directes entre parents et enseignants, on en cerne pourtant facilement les limites et nous nous contenterons d’en citer deux. Premièrement, y compris dans les contextes où la volonté d’engager le dialogue est sincère, les contraintes temporelles des uns et des autres limitent le champ des possibles pour nourrir ce dialogue. Deuxièmement, toutes les relations directes comportent le risque de placer en marge de la relation les parents qui, pour des raisons culturelles et/ou linguistiques, demeurent en retrait. Les possibilités d’investir le dialogue avec les enseignants seront toujours soumises à différents facteurs inhérents à l’histoire familiale : rapport à l’école lié à des blessures anciennes ou récentes, à la perception du regard posé par les professionnels sur les modes de vie et les pratiques éducatives de la famille alors même que ceux-ci relèvent rarement d’un véritable choix,…
Se soucier de la communication indirecte
Il semble donc essentiel de considérer la place qui revient aux relations indirectes. Peu questionnées, elles s’imposent pourtant dans une configuration où un lien quotidien existe entre l’école et la famille, assuré par l’enfant. Lorsqu’ils sont interrogés sur leur vie d’écolier, les enfants citent d’ailleurs systématiquement l’espace familial comme l’avait déjà montré Suzanne Mollo dans une enquête pionnière[[Suzanne Mollo, Les muets parlent aux sourds, Les discours de l’enfant sur l’école, Paris, Casterman, 1975.]]. Dans une étude en cours, nous nous intéressons à un aspect de ces relations indirectes au travers de l’activité scolaire en contexte familial. Les données recueillies sont de trois types. Nous avons procédé à des entretiens auprès des parents. Nous nous appuyons sur les discours d’enfants âges de 8 à 11 ans, issus de débats menés en classe et d’entretiens individuels réalisés auprès des élèves qui semblent avoir le plus de difficultés pour réaliser ce travail scolaire hors l’école. Enfin, nous nous intéressons à leurs outils de travail scolaire : carnets, cahiers, classeurs et livres.
Quatre thématiques émergent de ces données. Elles réfèrent à l’activité et à ses contenus, à ses dimensions signifiantes, aux lieux où elle se déploie, à sa dimension cognitive.
Concernant l’activité scolaire celle-ci reste prescrite, quasi-quotidienne, non-différenciée et est extrêmement variable d’une classe à l’autre[[La circulaire du 29/12/1956 annonçait que « aucun devoir écrit, soit obligatoire soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe ». Le document d’accompagnement des programmes 2002 – Articulation école-collège rappelle que « dans les classes élémentaires, le travail scolaire à faire à la maison est limité : les devoirs écrits sont proscrits ; par contre, des lectures, des recherches, des éléments à mémoriser peuvent constituer le travail proposé aux élèves ». Sur le site du ministère de l’Education Nationale, mis à jour en 2006, à la rubrique « devoirs » il est rappelé qu’à la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre. Rappelons que malgré ces précisions les pratiques restent très hétérogènes et que de nombreuses ambiguïtés subsistent.]]. Elle concerne par ordre de fréquence, des exercices de mémorisation (tables de multiplication, leçons, poésies, mots et phrases), des lectures, des exercices d’entraînement et des travaux de recherche personnels à effectuer, les deux dernières activités sollicitant sans forcément l’imposer le recours à l’écrit. Le temps moyen consacré à l’activité scolaire est de 23 minutes en classe de CM1, ce temps pouvant aller jusqu’au quadruple dans une même classe et pour des contenus identiques. Quelles sont les dimensions signifiantes de l’activité, quel sens les enfants lui attribuent-ils ? Les énoncés des enfants se répartissent selon cinq catégories : se conformer à la demande de l’école – « faire ce que la maîtresse a dit »-, se préparer à un avenir lointain – « avoir un bon métier plus tard »– ou travailler en vue d’échéances proches – « préparer les activités du lendemain », « réviser les contrôles »– se consacrer à des activités intellectuelles- « apprendre », « s’entraîner », « vérifier si on a bien compris ce qu’on a appris à l’école », montrer et parler de l’activité scolaire « je montre des choses qu’on fait à l’école ».
Des stratégies très variées
Où se déroule l’activité lorsqu’elle a lieu au domicile familial ? Même s’ils disposent d’une chambre à eux avec un espace de travail, les enfants choisissent de travailler dans les lieux où se trouvent les adultes. Ainsi, lorsqu’elles sont calmes et non perturbées par l’activité de jeunes enfants, la salle commune et la cuisine font partie des lieux préférés. La présence des parents semble rassurer les enfants et soutenir leur activité. Les mères sont les premiers adultes cités par les enfants, viennent ensuite les pères, les grandes sœurs ou grands frères, les grands-mères. Les enfants disent solliciter les adultes pour éprouver l’activité de mémorisation des connaissances, (« je dis ma leçon à ma mère », « je demande de me poser des questions ») et pour vérifier le travail accompli. Lorsqu’ils buttent pour réaliser l’activité prescrite, les enfants disent encore avoir recours à eux (« quand je sais pas faire je demande à ma mère ou à ma sœur de m’expliquer ») ou se référer à des outils. Ainsi 37 % des enfants disent se reporter à un manuel de l’école, 29 % font référence à des livres présents à la maison, 13 % font usage d’internet tandis que 53 % nomment les « classeurs », « cahiers de règles » ou « cahiers de références » de français et mathématiques. Cependant, on peut observer que l’utilité de ces outils dépend de leur lisibilité : la cohérence de leur organisation en domaines d’activité et en rubriques, la présence d’outils de navigation – sommaire, pagination- la mise en page des informations, permettent ou non une consultation aisée et un accès efficace aux contenus (« quand je sais pas, je regarde mon cahier de références mais je trouve pas toujours »).
Un autre aspect concerne la dimension cognitive de l’activité et le recours à des techniques de travail. Certains enfants font précisément référence à des méthodes mises en œuvre pour apprendre et différencient celles-ci (« pour apprendre une poésie, je lis la phrase, puis je la dis dans ma tête plusieurs fois de suite »). Les méthodes utilisées dans le travail hors l’école ont été apprises à l’école, à la maison ou encore inventées par eux. A l’opposé, d’autres enfants répondent n’avoir « aucune technique », « ne pas savoir ». Ces enfants sont aussi souvent ceux qui consacrent le plus de temps à leur travail scolaire à la maison. Observations et entretiens montrent que les enfants peuvent user de stratégies pour se mettre en règle avec l’école, pour se dispenser de ce travail. Certains disent les conflits à l’école et dans la famille sur ce sujet, abordent leur désengagement, leur découragement, leur incapacité ou leur refus de travailler.
Quel travail maison, pour quels liens ?
En s’intéressant au plus près des réalités que revêt le travail scolaire à la maison, on comprend mieux les processus par lesquels cette activité s’impose comme un poids pour la famille, une source de tensions et de conflits entre enfants et parents, un motif de crispation dans les relations directes entre parents et enseignants, un facteur de rejet de l’école par l’enfant et/ou les parents. Il semble que mieux l’activité scolaire hors l’école est accompagnée à l’école, plus elle donne lieu à des échanges dans l’espace familial. Elle peut alors constituer pour les parents une ouverture sur le parcours de l’enfant, une connaissance de ses appréhensions et ses victoires, de ses centres d’intérêt et de ses besoins, des relations sociales qu’il noue à l’extérieur de la famille. Ceci rejoint les résultats d’une précédente recherche[[Francis Véronique, Le partenariat école/famille. Le rôle de l’enfant messager In Rayna Sylvie et Brougére Gilles(Ed), Actes du Colloque Parents et Professionnels de la petite enfance, Paris, INRP, 2005.]] qui avait fait apparaître que lorsque des éléments de l’expérience scolaire sont intégrés dans les conversations familiales, elles constituent une ressource pour les parents. Elles nourrissent leur connaissance de l’enfant et de son expérience scolaire, dans sa double dimension sociale et cognitive[[François Dubet et Danilo Martuccelli, À l’École, Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil, 1996.]].
Le développement des nombreux dispositifs d’aide et d’accompagnement à la scolarité a eu le mérite de mettre en relief la reconnaissance du travail de l’écolier hors l’école. Cependant, cet effort ne peut conduire l’école à continuer à faire l’économie d’une réflexion approfondie sur les motifs de ce travail, sur les liens qui se tissent dans l’espace même de la classe entre activités à l’école et hors l’école, sur les différents sens qui se construisent à travers elles pour les enfants et leurs parents et enfin sur leurs impacts dans le domaine de la communication entre l’école et la famille. Il ne s’agit pas d’engager les équipes dans les méandres d’un improbable débat sur « les devoirs à la maison » mais d’admettre que tisser des liens étroits entre activité scolaire à l’école et activité scolaire hors l’école ménage un possible espace de rencontre entre l’école et la famille. Il peut être abordé comme un lieu de connaissance de l’expérience scolaire de l’enfant, par l’enfant lui-même, par les parents, par les enseignants et par les professionnels des secteurs de l’accompagnement scolaire.
Ce lieu d’entre-deux de la communication, médié par l’enfant sujet actif dans les relations entre les adultes, est complexe ainsi que l’a montré Philippe Perrenoud[[Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 2004.]]. Mais plutôt que de l’ignorer, il semble urgent de l’intégrer et de l’aborder comme un levier au service de l’enrichissement mutuel des pratiques éducatives parentales et des pratiques professionnelles.
Véronique FRANCIS, IUFM d’Orléans-Tours, Université Paris-X-Nanterre, Equipe Education Familiale et Interventions Sociales auprès des Familles.
veronique.francis@iufm.orleans-tours.fr
Indications bibliographiques
– Dubet François et Martuccelli Danilo, À l’École, Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil, 1996.
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– Francis Véronique, Ecole et familles : Favoriser les conditions d’une relation propice au soutien des compétences parentales In Actes du Colloque Regards européens sur le rôle des familles dans l’action socio-éducative auprès des jeunes en difficulté, Paris, 15 et 16 octobre 2007, Paris, Chroniques Sociales, à paraître.
– Francis Véronique, Le partenariat école maternelle/famille. Le rôle de l’enfant messager In Rayna Sylvie et Brougére Gilles (Ed), Actes du Colloque Parents et Professionnels de la petite enfance, Paris, INRP, 2005, pp. 41-70.
– Edmond Marc et Picard Dominique, L’Interaction sociale, PUF, 2003.
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– Mollo Suzanne, Les muets parlent aux sourds, Les discours de l’enfant sur l’école, Paris, Casterman, 1975.
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– Montandon Cléopâtre, Les Relations parents-enseignants dans l’école primaire : de quelques causes d’incompréhension mutuelle In Paul Durning et Jean-Pierre Pourtois (Eds) Éducation et famille, Bruxelles, De Boeck Université, 1994, p. 189-205.
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– Perrenoud Philippe, Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 2004.
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– Van Zanten Agnès, « Les familles face à l’école : rapports institutionnels et relations sociales », In Paul Durning, Éducation familiale : un panorama des recherches internationales. Vigneux : MIRE/Matrice, 1988, pp. 189-196.