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L’accompagnement éducatif atteindra-t-il son public ?

Cahiers pédagogiques : Vous soulignez dans cette prescription nouvelle une ambiguïté entre dispositif de droit commun et contribution à l’égalité des chances ; en quoi cette ambiguïté vous semble-t-elle dommageable ?
Claudine Paillard : D’un côté l’accompagnement éducatif (AE) au regard des termes de la circulaire, semble devoir déboucher sur la mise en place d’un véritable dispositif de droit commun permettant de répondre « à une forte demande sociale de prise en charge des élèves après les cours ». Il est à noter que la circulaire évoque une demande sociale et non seulement parentale, ce qui laisse sous-entendre que la prise en charge des jeunes serait utile non seulement pour les familles mais aurait vocation à répondre à une demande plus large. Quoi qu’il en soit, il existe effectivement une demande des parents, surtout en début de scolarisation au collège. Les parents cherchent encore à cet âge de transition un mode « de garde » et souhaitent que leurs enfants puissent bénéficier de contenus éducatifs complémentaires à leur scolarité – et, s’ils en ont besoin, d’un soutien aux devoirs. Cette demande s’appuie sur ce qu’ils connaissent déjà pour le premier degré dans le cadre des activités périscolaires organisées par de nombreuses communes. L’AE viserait alors à mettre en place pour tous les enfants des familles qui le souhaitent, et en proximité géographique de l’établissement
fréquenté, des activités de transition entre l’école et la famille.
De l’autre, les commentaires dont cette mesure a fait l’objet dans différentes interventions nationales (« les orphelins de 16 heures »), la référence faite dans la circulaire à l’« égalité des chances », confortée par l’approche mise en oeuvre sur le terrain par les
inspections académiques, amènent à penser que l’AE vise en réalité les enfants les plus en difficulté. L’AE serait alors destiné à favoriser leur réussite scolaire mais aussi, de façon moins fortement affichée, à faciliter un certain contrôle éducatif en développant l’encadrement
d’adultes sur une durée plus longue que le seul temps scolaire et en limitant ainsi le temps d’autonomie et de liberté des jeunes.
Ces deux types de besoins coexistent effectivement. Veiller, par une politique volontariste à y apporter des réponses est tout à fait respectable. Cependant, il est nécessaire d’évaluer si l’accompagnement éducatif, tel qu’il est envisagé, permet de répondre également à cette double ambition alors même que les intentions pour le second aspect ne sont pas clairement affichées.

Cahiers : En quoi l’expérience des collectivités locales dans l’accueil périscolaire permet-il de prédire que la seule politique d’incitation n’amènera pas forcément à profiter de ce dispositif ceux qui en ont le plus besoin ?
Claudine Paillard : La circulaire prévoit que l’accompagnement éducatif s’appuie sur le volontariat des élèves et des familles. Or, l’expérience des accueils périscolaires et extrascolaires dans le premier degré fait
apparaître que, bien souvent, et malgré des tarifs attractifs, voire la gratuité, la fréquentation de ces temps est souvent faible pour les enfants dont on souhaiterait justement qu’ils en bénéficient. Il n’est pas certain que les 4e et 3e en difficulté (et leurs familles) croient que l’aide dont ils ont besoin peut leur être apportée par l’établissement scolaire. S’agissant par
ailleurs d’élèves en âge de décider un peu plus ce qu’ils doivent faire que dans le premier degré, il y a fort à parier que ceux-là éviteront de rallonger leurs journées dans un lieu synonyme d’échec…

Cahiers : Les nombreuses études sur l’aménagement des rythmes semblent avoir été peu prises en compte dans l’élaboration du dispositif d’AE ; que pensez-vous du moment choisi, la tranche 16-19 heures ?
Claudine Paillard : Sur ce point, l’expérience du premier degré pourrait aussi être éclairante. Lorsque les villes, dans le cadre de leurs projets éducatifs, souhaitent mettre en place des activités s’adressant à un grand nombre d’élèves (d’enfants !) sur des temps non
scolaires, c’est plutôt à la pause méridienne qu’elles s’intéressent. Les enfants sont alors un public « captif » et apprécient d’y trouver des contenus, pour peu qu’ils leur permettent d’apprendre sans s’en rendre compte, et qu’ils puissent aussi avoir le choix de ne rien faire…
Ainsi, le temps du midi, bien aménagé, peut devenir un moment de qualité au lieu d’être, comme souvent aujourd’hui au collège, un espace difficile à gérer et de ce fait souvent source de tensions. La pause méridienne pourrait ainsi être allongée, permettant du même coup d’augmenter le temps de scolarité le soir, à un moment (16 h 30-17 h 30) où l’on sait, en termes de chronobiologie, que l’aptitude
aux apprentissages est bonne.

Cahiers : C’est sur les Eple que va reposer l’organisation de l’AE : sont-ils, à votre avis, armés
pour la mener (gestion des inscriptions, des présences, de la répartition des élèves) ?

Claudine Paillard : En termes de responsabilité,
de nombreuses questions semblent avoir été bien peu prises en compte : comment contrôler qu’un enfant inscrit à une activité extérieure s’y rendra bien, quelle responsabilité
de l’établissement en cas d’accident sur le trajet, faudra-t-il systématiquement un accompagnateur… Si les Eple sont rôdés à ce type d’exercice sur le temps scolaire, une gestion différenciée avec un nombre d’inscrits à « géométrie variable » d’une activité à l’autre est beaucoup moins habituelle. Elle implique une individualisation des procédures et une relation inversée avec les familles :
ce sont les parents qui deviennent alors « prescripteurs » et acteurs du parcours de l’enfant au lieu d’être simples « usagers » d’un service public scolaire obligatoire.

Cahiers : La précipitation avec laquelle cette mesure doit être mise en place interdit, de fait, une vraie concertation entre les Eple et les collectivités locales (municipalités, conseils généraux). Comment se fait-il, à votre avis, que ces phases de concertation préalables
aient été aussi négligées, en contradiction avec la notion de projet éducatif local ?

Claudine Paillard : Malheureusement, cette façon de procéder est habituelle de la part de l’État. Les collectivités locales, lorsqu’elles mettent en place des politiques éducatives territoriales et partenariales,
voient régulièrement leurs orientations perturbées par des dispositifs nationaux mal adaptés aux besoins locaux. Pis, elles sont parfois sollicitées par l’État pour mettre en oeuvre des dispositifs, qui à peine élaborés deviennent
sinon contradictoires, au moins en décalage par rapport à celui qui leur succède. Ainsi par exemple, le dispositif de réussite éducative (DRE) qui commence à fonctionner dans un certain nombre de villes grâce au financement de l’État et à l’implication des collectivités, est caractérisé par une approche qui part de l’enfant en difficulté et vise à lui construire un parcours éducatif individualisé.
L’accompagnement éducatif heurte cette logique du DRE en valorisant la mise en oeuvre d’un dispositif collectif.
Il serait vraiment temps que, dans le domaine des politiques éducatives, l’État fasse preuve de constance dans son projet et cesse de zapper d’une mesure à l’autre…

Claudine Paillard, Directrice éducation-jeunesse de la ville de Rennes, présidente de l’Andev.
Propos recueillis par Florence Castincaud.