Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

J’emmène mes stagiaires en ZEP… et ils aiment ça !

Comme l’indique Guy Lavrilleux dans son article[[Cet article fait écho à celui de Guy Lavrilleux dans notre dossier publié dans le N°445.]], « enseigner en zone sensible, ce n’est pas faire un autre métier ». Il n’y aurait donc aucune raison particulière à emmener les professeurs stagiaires aller voir d’autres enseignants faire ce qu’eux-mêmes font déjà dans leurs classes. On peut ajouter à cela l’éventualité de renforcer chez eux le sentiment qu’il existe des contextes d’exercice suffisamment extra-ordinaires pour qu’ils méritent le voyage, comme dirait le guide Michelin. Je décèle cependant dans cette appréhension le propre des enseignants qui y oeuvrent au quotidien et qui sont bien placés pour se demander ce qui leur vaut, après tout, où cet excès d’honneur (que faisons-nous de plus que les autres ?) où cette indignité (qu’est-ce qu’on nous veut ?).
En outre, avant même de s’interroger sur les modalités de cette formation, quelle prétention que de vouloir apprendre à de futurs professeurs à enseigner en ZEP alors que :

  1. on n’enseigne soi-même qu’en « Zone Urbaine Sensible »
  2. on n’est même pas sûr qu’on saurait soi-même y enseigner
  3. on serait bien en peine de définir ce qui, en tous temps et en tous lieux, caractériserait l’enseignement en ZEP par rapport à l’enseignement dans tous les autres contextes d’exercice.

Cependant, plusieurs considérations m’ont fait, comme nombre de responsables de groupes transversaux au demeurant, opter pour la mise en place d’une journée centrée sur ce thème, et pour l’organiser dans un établissement de ZEP.

Encore et toujours lutter contre les représentations
La principale raison d’être de cette journée est la crainte que la plupart des futurs enseignants (et seulement eux ?) ont de ce qu’ils s’imaginent être, et souvent à raison, leur prochain cadre d’exercice. Crainte évidemment renforcée par la profusion des reportages dans les collèges de banlieue et la litanie médiatique annuelle des incivilités et autres agressions verbales voire physiques qui seraient le lot quotidien de ceux qui y enseignent. S’il en était besoin, le dédoublement, nécessaire au vu du nombre de candidats, de l’option que je propose en fin d’année depuis quatre ans (intitulée « Faire face à la violence dans la classe ») prouve que cette crainte, si elle a davantage ciblé son objet, n’a pas disparu. Aussi est-ce bien le principal objectif qu’on peut assigner à une visite d’un établissement en ZEP. Au reste, on peut tout aussi bien s’interroger sur une telle visite que sur celle d’un monument ou d’un espace urbain (j’enseigne l’histoire-géographie…). Est-il bien nécessaire d’aller voir l’Opéra Garnier ou « la Liberté guidant le peuple » au Louvre quand leurs reproductions emplissent les manuels ? Il me semble que face à une crainte qui n’est pas toujours très rationnelle, une approche sensible permet de vivre des aspects du quotidien pédagogique et éducatif que les stagiaires n’auraient peut-être même pas abordés dans une discussion.
Quel effet cela fait-il d’entrer dans un établissement dont tous les accès nécessitent une carte magnétique ? Comment tel enseignant peut-il rester trente ans dans ce collège de ZEP où la plupart des enseignants n’ont guère plus de trente ans ? Voire, moins avouable, comment enseigner à un public aussi multiculturel, fait rarissime dans nos établissements de l’ouest, encore plus sur les lieux de stage ?

Se centrer sur la situation d’enseignement
Une autre raison pour aller sur place est que tout ce qui nous éloigne du « discours sur » pour se rapprocher de l’analyse de ce qui a été vu ensemble me semble une bonne chose. Tous les enseignants (stagiaires, titulaires comme formateurs) savent tous parler sur ce qu’ils font. Mais sans un dispositif très précis, du type analyse de pratique, le discours risque fort de ne permettre guère plus qu’un échange superficiel. Certes, loin de moi l’idée de penser que quelques heures en ZEP suffisent à lever toutes les questions, mais quelques heures à parler de la ZEP y suffiraient-elles davantage ?
Au moins, pour que ces quelques heures soient productives, avons-nous prévu un dispositif de formation qui veut éviter le tourisme pédagogique. Le matin, chaque binôme de professeurs stagiaires de disciplines différentes suit une classe pendant deux heures. Dans l’attribution des classes à tel ou tel binôme, le principal-adjoint et moi avons veillé à ce que les professeurs rencontrés ne soient pas de la même discipline que celles du binôme. Cette précaution, et le fait de suivre une classe plutôt qu’un enseignant, visent à ce que les enseignants stagiaires ne soient pas trop tentés de se centrer sur le contenu de l’enseignement mais plus sur la situation elle-même. Suivre une classe, ce que d’ailleurs bien peu d’enseignants ont l’occasion de faire, permet en outre de se rendre compte de façons différentes de gérer le même groupe d’élèves. Après ces deux heures, les professeurs-stagiaires se réunissent pour établir la liste des questions qu’ils souhaitent poser. En début d’après-midi, quelques-uns des enseignants (entre cinq et huit habituellement) nous rejoignent et échangent avec les stagiaires. Ce qui surprend chaque année ces derniers est le calme que les enseignants de l’établissement opposent aux exclamations dans les couloirs, aux emportements subits dans les classes, aux refus de travail parfois revendiqués. Là où ils attendaient des conflits ouverts, ils trouvent de la négociation, du rappel ferme mais distancié à la règle. Comment cette perception d’un équilibre fragile, qui tient à des façons de se déplacer, de poser son regard dans la classe, au choix des mots, des gestes, des postures… pourrait-elle se traduire dans une discussion ex-cathedra ?

S’il te plaît, dessine-moi une ZEP…
Les deux heures suivantes de l’après-midi voient l’équipe de direction de l’établissement nous rejoindre. Avec le principal et son adjoint, les professeurs stagiaires découvrent, documents à l’appui, ce qu’est l’exclusion-inclusion, une fiche de suivi, un rendez-vous de remédiation… Le fait qu’ils aient souvent parlé précédemment avec l’équipe enseignante de tel ou tel élève qu’ils ont croisé le matin et qui a « utilisé » tel ou tel de ces dispositifs, donne de la chair à un exposé qui pourrait être de pure forme. Les tableaux statistiques leur renvoient l’image chiffrée des élèves de l’établissement : un élève sur quatre a des parents de nationalité étrangère, un élève sur trois vit avec sa mère seule, les parents de presque un élève sur deux sont sans emploi, autant ont au moins quatre enfants… Tout cela nous rappelle les critères nécessaires pour entrer en ZEP, mais ne nous dit rien sur ce qu’on y fait. C’est alors l’occasion d’aborder à quel point un enseignant de ZEP, et a fortiori un personnel administratif, ne peut se contenter de ce qui se passe dans la classe, mais doit forcément travailler en lien avec les associations de quartier, avec les équipes de police et les éducateurs, avec les responsables de la politique de la ville… Dans la salle des professeurs d’ailleurs, les affiches, les invitations, les photos disent assez les échanges permanents entre l’établissement et l’extérieur. Elles disent aussi, comme cette « photo de classe » où tous les personnels sont présentés, l’esprit d’équipe qui s’impose là plus qu’ailleurs.
Les appréciations très positives que les professeurs stagiaires réitèrent chaque année lors de l’évaluation finale du GT ne sont pas un garant de sa pertinence : travailler sur l’écart entre les représentations initiales du métier et les attentes de l’institution telles que les décrit la circulaire sur les missions du professeur est certes moins enthousiasmant mais néanmoins tout aussi nécessaire. Rien ne nous oblige cependant à penser que puisque les professeurs stagiaires apprécient cette journée, il faudrait la supprimer… Plus importants me semblent être les échanges qui la suivent, où il apparaît chaque année que ce qui semblait être pour beaucoup un repoussoir devient pour presque tous envisageable, et même, pour certains, souhaitable. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette formation que de faire apparaître qu’enseigner en ZEP, si ce n’est pas autre chose qu’enseigner, ce peut être souvent enseigner plus. Si j’osais le slogan, enseigner plus fort !

Christian Faugier, Professeur d’histoire géographie au collège Julien-Lambot (Trignac), Responsable d’un groupe transversal PLP-PLC 2 à l’IUFM de Nantes.