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Inventer une nouvelle maïeutique pour apprendre à apprendre
Vous qui n’êtes pas, par votre formation, spécialiste de l’éducation, qu’avez-vous voulu montrer dans ce rapport ?
J’ai essayé d’aborder la question avec le souci de l’objectivité du chercheur et de l’ouverture interdisciplinaire en intégrant les apports des nombreuses sciences qui ont des éclairages à apporter et en accordant toute sa place au détour par l’histoire qui permet de relativiser le sentiment d’une école immobile. A l’échelle de l’histoire de l’humanité, l’école que nous connaissons fonctionne sur un modèle assez récent. A l’échelle mondiale, on voit une grande diversité de modèles éducatifs, des nombreux travaux de pionniers en France et à l’étranger, de nombreux systèmes dont certains évoluent très vite pour s’adapter à un monde qui change. De même que la révolution de l’imprimerie à partir du XVe siècle a bousculé les modes de transmission, on peut s’attendre aux mêmes effets, sur une période de temps bien plus courte, avec la révolution de l’internet.
L’école a moins que jamais le monopole du savoir, loin de là : on peut s’interroger sur ses finalités dans ce contexte. Par les médias modernes, les élèves ont un accès à une pléthore d’informations. Dans ce nouveau cadre, le rôle de l’enseignant est peut-être moins de transmettre les informations que d’apprendre à les appréhender, à les critiquer, à les valider. C’est, pour nous tous, une petite révolution culturelle. A l’heure où chaque jour se publient plus de choses que ce qu’on peut lire en une vie, plus personne ne peut tout savoir et l’enseignant ou le chercheur doit accepter cette situation et la tourner à son avantage. Comme Socrate, il sait ce qu’il ne sait pas. Ce qu’il sait mieux que ses élèves, ce sont les règles des échanges et l’analyse des savoirs. L’enseignant de notre époque doit être un spécialiste de la découverte des savoirs, de la mise à jour des connaissances. Il doit montrer que les connaissances évoluent rapidement et aider les élèves à s’y retrouver. Nous devons enseigner à apprendre à désapprendre aussi bien qu’apprendre à apprendre car les publications scientifiques sont multipliées par 100 tous les cent ans et une partie de ce qu’on pensait hier est remise en cause par les progrès de la recherche.
Il me parait tout aussi indispensable de pratiquer l’interdisciplinarité pour multiplier les angles d’approche, apprendre à créer des liens entre différentes portions du savoir, mais aussi apprendre à travailler la relation à la vérité, à la construction des savoirs, par exemple à travers des encyclopédies coopératives accessibles aux plus jeunes comme vikidia[[Une version pour enfants de wikipedia. Les enfants peuvent non seulement y trouver des définitions accessibles à leurs âges mais aussi apprendre à éditer les contributions des autres et à créer de nouvelles pages sur les sujets qui les intéressent et sur lesquels ils ont pu acquérir des connaissances. http://fr.vikidia.org/wiki/Accueil ]]. La possibilité de mettre en œuvre activement ses savoirs, sa réflexion, dans des projets ou dans des activités expérimentales de type « main à la pâte » ne peut qu’aider l’enfant à structurer son savoir en lui permettant de mieux appréhender sa pertinence. On peut s’interroger sur la nécessité d’un nouveau contrat social ou d’un nouveau contrat républicain sur ce que doit enseigner l’école au regard de ces évolutions.
Pouvez-vous préciser ce que devrait être, selon vous, le rôle de l’enseignant dans ce contexte néo-socratique ?
Il faut adapter la maïeutique antique aux progrès des connaissances en sciences de l’éducation et en sciences cognitives et aux besoins d’une société démocratique moderne où le savoir doit être accessible à tous et non réservé à une élite. Il faudrait s’interroger sur le rôle d’accoucheur des enseignants : comment peuvent-ils contribuer au développement d’êtres pensants adaptés au monde du XXIe siècle, à la naissance de leurs passions, à l’accompagnement de leurs projets ? Le rôle de transmission ne s’efface pas pour autant : il se déplace. Il s’agit aujourd’hui de transmettre des méta-savoirs, comme la possibilité d’apprendre à apprendre c’est à dire devenir autonome pour, tout au long de la vie, être capable de mettre à jour ses connaissances. Face à l’abondance d’informations, l’enseignant a un rôle plus socratique que jamais. Lui seul maîtrise l’art de la maïeutique et peut faire comprendre à ses élèves comment s’effectue le passage de l’information brute, telle qu’il la trouve sur le web, à la télévision ou dans des livres, à la connaissance.
Socrate redoutait déjà les livres car ils pouvaient donner l’illusion de la connaissance à celui qui les possédait. Comment verrait-il aujourd’hui internet avec des élèves qui plagient la première page trouvée via un moteur de recherche sans questionner ce qu’ils trouvent ? Comment questionnerait-il à l’heure de google ? Mais internet c’est plus qu’une somme de textes : c’est aussi une formidable manière d’interagir. Or, pour Socrate, c’est dans l’interaction et le questionnement que peut naître la connaissance.
En tant que chercheur, je ne peux qu’être d’accord avec sa vision car c’est ainsi que la science progresse. En tant qu’enseignant je constate que les étudiants progressent vite dans ce type de situation si on leur donne les degrés de liberté et l’accompagnement idoine qui leur permettent de profiter des ressources offertes par le web tout en évitant les écueils qu’il contient. Ainsi, ils sont capables de faire naître de nouvelles idées, de nouveaux projets et ils peuvent même dépasser leurs maîtres. Le but de l’éducation étant de créer les conditions de cette maïeutique, tous les enseignants seront certainement fiers de contribuer aux progrès de leurs élèves et d’apprendre de leurs avancées.
Cette approche socratique, ce questionnement ne doivent pas être réservés à ce qui se passe en classe, mais doivent être une attitude que chacun cultive pour faire progresser nos sociétés. Elle pourrait par exemple nous amener à approfondir le questionnement sur les savoirs fondamentaux. Ils sont souvent débattus mais quasiment tout le monde[[Voir cependant l’article de Dan Sperber sur l’avenir de l’écriture : http://www.dan.sperber.fr/?p=77.]] s’accorde sur le rôle central du triptyque lire, écrire, compter. Ne devrions nous pas interroger ces notions-mêmes pour voir quels autres savoirs rentrent dans ces catégories ?
Lire est indispensable pour accéder à ce que d’autres ont écrit, pour avoir accès au savoir et « dialoguer avec l’auteur ». Tout savoir n’étant pas forcément écrit, il faut peut-être aussi enseigner comment « lire » une image, un film, un reportage, un documentaire voire une publicité, un discours ou même une réaction – développer l’intelligence émotionnelle est au programme d’un nombre croissant d’établissements de par le monde qui ont compris que trop souvent les émotions mal gérées, les violences interféraient avec les apprentissages.
Écrire est indispensable pour pouvoir communiquer avec les autres et exprimer ses idées. Aujourd’hui il existe de nombreuses manières de communiquer, de s’exprimer. Savoir les maîtriser est considéré comme central dans un nombre croissant d’écoles dans le monde.
Savoir compter n’est pas seulement utile pour gérer son budget ou réussir à l’école, c’est une chance pour mieux décrypter le monde. Les maths et les sciences doivent-elles servir à sélectionner ou à rendre intelligible ce monde toujours plus complexe ? Loin de vouloir prescrire des recettes, une nouvelle maïeutique allant jusqu’à questionner les fondements de l’éducation pourrait-elle non seulement permettre à plus de jeunes de créer et d’accéder aux connaissances mais aussi permettre de mener une réflexion collective où jeunes et adultes pourraient ensemble imaginer de nouvelles visions de l’éducation ?
Le système éducatif français vous parait-il en mesure de relever ces défis ?
Il a commencé à bouger à faire des expérimentations, à évaluer efficacement des pédagogies alternatives prometteuses, à promouvoir des travaux personnels, des itinéraires de découvertes, à développer des filières interdisciplinaires ; mais c’est encore trop timide, réservé à quelques catégories d’élèves et pas assez mis en valeur au vu des besoins de changements en France et de ce qui est fait ailleurs, mais c’est un bon signe car le pire est l’immobilisme.
L’important serait de réussir à mettre en place un système qui soit apte à se réformer, à se réajuster en permanence, sans heurts. Or, historiquement du moins, il est difficile, en France, d’avoir une politique de consensus plutôt que la répétition de situations de blocage. Notre système a eu son heure de gloire, il a été crée pour former une nouvelle élite méritocratique : dans une France post-révolutionnaire composée essentiellement d’analphabètes il a su produire des résultats remarquables. Mais, il a moins évolué que les autres, en partie parce que, trop sûre de ses qualités, « la noblesse d’état » décrite par Bourdieu n’a pas su ou pas voulu le remettre en question. Contrairement à tous les pays qui ont un système qui réussit à faire progresser tous les jeunes d’une génération nettement mieux qu’ici, notre pays n’a pas assez tourné son attention vers ce qui se passait à l’étranger. Le corps des inspecteurs, qui gagnerait à être nommé autrement, pourrait ici jouer un rôle précieux s’il pouvait comme en Finlande servir à accompagner ces changements, en aidant les enseignants à évoluer, en leur faisant connaître d’autres manières de faire, en les mettant en relation avec d’autres.
Comme le montrent les analyses comparatives[[Voir par exemple « L’histoire mondiale de l’éducation » de Mialaret et Vial ou plus récemment les analyses qui montrent les limites de notre système qui n’est visiblement pas le meilleur du monde. Il échoue de manière criante pour les plus défavorisés, les 40% élèves de 15 ans ayant redoublé au préalable ayant visiblement plongé plus profondément après leur redoublement : « L’élitisme républicain : L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales » Baudelot et Establet.]], notre système est très sélectif, tourné vers la formation d’une élite plus réduite en nombre que dans des pays comparables, avec une place prédominante accordée aux seuls résultats en mathématiques dans cette sélection. Il produit un nombre record de redoublements, stigmatisant nombre de jeunes dont c’est le plus souvent la fin des ambitions scolaires et donc de toutes chances de promotion sociale dans un pays où il existe moins qu’ailleurs de deuxième chance.
Dans d’autres pays comme la Finlande, tout le monde progresse, tous les enfants en difficulté reçoivent immédiatement un soutien efficace, leur permettant de comprendre via d’autres méthodes, pour ensuite pouvoir se passer de ce soutien ponctuel. Et le tout n’est pas plus coûteux que notre système qui exclut tant de jeunes. De plus, même pour ceux qui réussissent, le système français est moins efficace que celui de la Finlande. Il classe tout le monde en permanence, alors qu’en Finlande les élèves sont évalués et comprennent comment s’améliorer, mais ne reçoivent pas de notes. Résultat en Scandinavie : enfants, parents et enseignants dialoguent ensemble, consolidant les savoirs sans se focaliser sur ces notes et ces classements trop réducteurs et si souvent sources de conflits familiaux. Cette omniprésence de l’évaluation-sanction classante ne peut que donner l’impression à l’enfant que, pour plaire aux adultes, il doit réussir à l’école au lieu d’y voir un lieu d’épanouissement personnel comme c’est le cas dans les pays du nord de l’Europe.
On notera que les pays scandinaves tirent à nouveau leur épingle du jeu quand on demande aux jeunes s’ils ont confiance en l’avenir, alors que les français sont aux antipodes également dans ce classement. De plus, notre système ne permet pas de mobiliser les savoirs pour résoudre des problèmes concrets[[Les résultats des jeunes français de 15 ans peu à l’avantage de notre système en général, sont moins brillants encore quand il s’agit de résoudre des questions logiquement équivalentes mais hors programme scolaire, montrant que notre système ne développe pas la capacité d’adaptation. « L’élitisme républicain : L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales » Baudelot et Establet.]], décourageant les prises de risque[[Il s’agit ici bien sûr de prise de risque intellectuel. Il est intéressant de noter qu’il a été montré que les jeunes qui avaient la possibilité de relever de tels défis prenaient mois de risques mettant en danger leur santé et celle des autres.]], voire même la liberté intellectuelle. Notre enseignement est trop normatif. Quand un enseignant reproche à un élève d’avoir trouvé une autre démonstration que celle que le programme recommande, il formate et dessert les intérêts de l’élève et de sa discipline.
Bref, il faudrait comme la Finlande a su le faire il y a quelques années, sortir d’un système très hiérarchisé où tant d’énergies sont perdues à contrôler enfants et enseignants, favoriser les expérimentations et les mettre en valeur afin de propager les bonnes pratiques. En quelques années les finlandais ont ainsi amélioré de manière impressionnante leurs résultats. Le monde entier cherche à s’en inspirer y compris des systèmes plus sélectifs, centralisés et méritocratiques que le nôtre comme la Chine ou la Corée. Car ces pays ont commencé à se remettre en question alors même que la Corée talonne la Finlande dans les classements, elle en sait le prix. Elle a su mesurer les dégâts humains de ces systèmes trop compétitifs et la qualité des résultats des nordiques dans les domaines éducatifs et économiques. La recette finlandaise est assez simple, il faut avoir l’humilité de regarder ce qui se fait ailleurs, se remettre en question, savoir expérimenter encourager les pionniers qui sont heureusement nombreux, mais trop souvent esseulés et pas suffisamment mis en avant pour inciter d’autres à les suivre, ouvrir des espaces de liberté, favoriser les échanges, mettre en réseau, favoriser l’élaboration et l’expression des points de vue, de la réflexion personnelle[[Certains étudiants français s’entendent reprocher, lorsqu’ils vont à l’étranger, leur fâcheuse habitude de développer un discours dont ils sont absents ! ]] et de la créativité des élèves et des enseignants.
Comment dans un système comme le nôtre encourager la créativité ?
On ne peut qu’être frappé des connotations péjoratives de termes comme « versatile », perçu comme signe de frivolité alors qu’en anglais, la même origine latine valorise la polyvalence, la capacité à résoudre des problèmes nouveaux, ou « créatifs », qu’on utilisera plus volontiers pour un publicitaire que pour un scientifique ou un enseignant, alors que nous avons besoin de créativité dans tous les domaines pour faire face aux défis du temps présent.
De ce point de vue, en France il faut faire preuve de pédagogie et expliquer pourquoi on a besoin de gens polyvalents capables de s’adapter à un monde qui change et ce qu’est la créativité. Cette dernière doit être désacralisée, elle ne doit pas être vue comme la visite d’une muse ou un trait de génie, réservé à une élite seule autorisée à créer, mais comme une capacité dans tous les domaines à proposer de nouvelles solutions, de nouvelles visions pertinentes des choses.
La créativité est un processus ouvert, interactif, exigeant et rigoureux, où il ne suffit pas de proposer n’importe quoi. S’il faut bien créer de nouvelles pistes, il faut ensuite sélectionner les plus prometteuses, les approfondir et utiliser l’intelligence collective pour aller plus loin. Pour favoriser cette créativité, développer une culture de la critique constructive — qui permet de faire avancer les choses — est une condition nécessaire. Entre une critique destructive qui inhibe et un émerveillement béat devant le premier résultat informe, il faut trouver une autre voie, mêlant exigences et encouragements qui permette aux jeunes de faire avancer leur créativité. Les jeunes doivent pouvoir investir dans la direction qu’ils se sont donnée et c’est aux adultes de les aider à se trouver, de construire un cadre favorable et de les aider à identifier des partenaires ayant les mêmes buts pour qu’ensemble, ils puissent progresser et trouver des solutions[[Un exemple impressionnant vient d’Alberta au Canada. Dans une classe, un jeune de 9ans fait une attaque cardiaque. Après son rétablissment ces camarades cherchent à comprendre avec leur enseignant et font venir un cardiologue. Celui leur expliquant que ces faits étant très rare on ignore presque tout de ces processus chez l’enfant. Pour contribuer à l’élaboration d’une solution, ces enfants ont pu avec leurs enseignants créer le premier site web de collecte d’informations sur ces questions, permettant aux connaissances sur le sujet de faire un bond en avant grâce aux contributions de milliers d’enfants de part le monde.]]. Au passage ils auront non seulement avancé dans la construction de savoirs ou de visions pertinentes mais ils auront aussi appris à créer, à échanger, à s’investir, à être exigeants et rigoureux. Ils l’apprendront beaucoup mieux que pour passer un simple examen ou pour bachoter grâce à la motivation qui les pousse à avancer quand ils sont créatifs. Ils pourront ainsi progresser et approfondir le projet dans lequel ils auront décidé de s’impliquer tout en apprenant la valeur de l’effort et des méthodes qu’ils pourront appliquer à bien d’autres domaines tout au long de leur vie.
Pour revenir au système français, si nous voulons avancer sur les questions de la créativité et de l’innovation qui font désormais partie des priorités d’un nombre toujours plus grand de pays en matière d’éducation, nous avons bien besoin d’un débat de société sur le devenir de notre école, du même type que celui qui a eu lieu en Finlande il y a quelques années. C’est ce qui a permis aux finlandais de questionner leur système, de trouver un consensus permettant de mettre en pratique des changements profonds et cohérents et d’avoir un système que le monde entier leur envie désormais.
Quels pourraient être les facteurs d’espoir ?
Le meilleur signe d’espoir me semble être la généralisation de la prise de conscience qu’il faut que les choses évoluent. Quand on voit les résultats des divers rapports récents sur le malaise des enseignants, les baisses des candidats aux concours et sur leur faible salaire par rapport aux autres pays européens[[Voir : http://www.educpros.fr/dossiers/masterisation-une-reforme-a-quel-prix/h/bf750cb2c1/d/982.html.]], on se dit qu’il était temps de regarder en face ces réalités et de mettre en œuvre des mesures pertinentes, non seulement du point de vue salarial mais aussi du point de vue de la formation et l’organisation. Le recrutement prévu de nombreux jeunes motivés par ces métiers et le travail de nombreux pionniers sur le terrain peuvent permettre d’espérer des changements car ils se produisent dans un contexte général où de nombreux facteurs de changement se produisent simultanément.
D’abord, sans doute, la globalisation peut jouer ici un rôle intéressant. Elle met en perspective les systèmes éducatifs en favorisant les comparaisons et la mise en avant de nouvelles pratiques[[Voir par exemple : http://www.edutopia.org.]]. On doit, certes, toujours s’interroger sur la meilleure manière de faire ces comparaisons. Elles ont cependant un grand mérite : nous faire prendre conscience qu’un autre monde est possible, que d’autres relèvent des défis qu’on n’a pas encore abordés ou abordés différemment. Au niveau européen, innovation et créativité font partie désormais des priorités pour l’éducation des nouvelles générations[[Voir : http://www.creativite-innovation2009.fr/.]]. Même les élites françaises commencent à se dire qu’il faut que le système change. Elles se rendent compte non seulement que notre système ne brille pas dans les comparaisons internationales, mais aussi que les pays qui sont les plus dynamiques à tous points de vue ont su favoriser la créativité à l’école et ouvrir à toujours plus de jeunes l’accès aux métiers les plus valorisants intellectuellement. Pour accéder à ces métiers hautement qualifiés qui ne sont pas aussi facilement délocalisables, où on bénéficie d’une autonomie certaine tant dans la définition des objectifs que dans celle des moyens, il faut avoir bénéficié d’une éducation dans laquelle tous ont disposé de degrés de libertés croissants.
Autres espoirs : l’élévation du niveau d’éducation – aujourd’hui une fraction équivalente à celle qui passait le bac au début du XXe siècle passe son doctorat. Dans une école où il ne faut plus être le meilleur de sa génération en mathématiques — ce qui par définition ne peut toucher que quelques uns et en frustrer beaucoup d’autres — mais être formé pour devenir un citoyen actif capable de contribuer à résoudre les problèmes du temps présent, nul doute que plus de personnalités peuvent s’épanouir et contribuer au progrès de tous. Cette démocratisation de l’enseignement supérieur permet à toujours plus d’acteurs de contribuer à la construction des connaissances, à la résolution de problèmes, à l’élaboration d’autres paradigmes pour faire face aux défis liés à toutes les crises que nous connaissons. De plus, on sait que la croissance des échanges horizontaux de savoirs met à mal les fonctionnements pyramidaux, hiérarchiques, élitistes pour mettre en valeur le dialogue, la coopération et l’intelligence collective que de nombreux systèmes éducatifs cherchent à promouvoir car ils font désormais partie des piliers de la réussite individuelle et collective.
Autres facteurs de changement : le monde du travail qui pour faire face à la compétition des pays à bas salaire et des robots doit trouver une sortie par le haut et réclame des collaborateurs aux compétences variées, capables faire preuve d’initiatives et de travailler avec des gens aux profils toujours plus divers et pas simplement des diplômés attestant d’un savoir monodisciplinaire figé.
Les défis du troisième millénaire en matière de développement durable, d’épuisement des ressources, de biodiversité ou de réchauffement climatique sont un défi majeur et les jeunes en ont une conscience plus aigüe encore. Pour inventer des manières d’y faire face il faut repenser l’éducation pour que les générations futures puissent coexister en paix, en respectant les autres espèces et les grands équilibres de la nature.
Et bien sûr : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui démocratisent l’accès aux connaissances, même s’il faut apprendre à décoder tous ces flux d’informations. Un défi majeur sera de permettre à tous de pouvoir accéder à ces compétences, aux opportunités ainsi offertes, sinon les inégalités iront en s’aggravant. Il ne suffit pas de donner les moyens techniques, il faut enseigner comment maîtriser ces flux et comment profiter au mieux de ces nouvelles technologies qui doivent rendre plus libres et non induire de nouvelles dépendances ou de nouveaux plafonds de verre. Un autre progrès en matière de technologies serait de développer de nouvelles technologies et de nouvelles méthodologies pour l’éducation et pas seulement adapter à l’éducation des technologies développées dans d’autres buts.
Quelles pistes pour la formation de ces enseignants ?
Il me semblerait utile de les inviter à travailler en profondeur leur motivation pour devenir enseignant. Par exemple, rédiger et échanger sur leur engagement et les objectifs de l’enseignement selon eux me parait extrêmement formateur. Les amener à réfléchir sur ce que pourrait ou devrait être leur métier, sur leur rôle dans un monde où technologies et informations circulent toujours plus vite, peut leur permettre d’arriver mieux armés. Ces jeunes générations utilisent toutes, dans leurs vies personnelles, les nouvelles technologies ; dès lors sans doute peuvent-ils plus que d’autres réfléchir pour savoir comment les utiliser dans leurs pratiques pédagogiques. Mais encore faut-il mettre en avant les pionniers et les inciter tous à utiliser ces technologies et les possibilités de coopérations et d’échanges qu’elles offrent pendant leurs formations et dans leurs premiers postes, (par exemple disposer de ressources partagées et de possibilités de discuter en ligne et dans la vie réelle avec d’autres enseignants peut faciliter la mise en place de leurs premiers cours comme cela se fait dans les pays nordiques).
La formation continue devrait permettre d’élargir plus encore le cercle de ceux qui réfléchissent à l’adaptation de leurs objectifs à leur public, expérimentent et diffusent de nouvelles pratiques. Une formation interdisciplinaire permettrait de développer plus de collaborations entre enseignants, plus de projets personnels pour les élèves et permettrait d’éviter des querelles de chapelle entre disciplines pour savoir quelle portion du savoir est plus « fondamentale ». Il est intéressant de noter qu’au Danemark, c’est au niveau universitaire via la mise en place de formations interdisciplinaires que le système a commencé à évoluer dans les années 70. La mise en place de pédagogie par projet dont ont bénéficié les étudiants, parmi lesquels les futurs enseignants leur a ensuite permis d’étendre la démarche à tout le système éducatif.
À l’image des étudiants de ces formations interdisciplinaires qui font des stages dans des laboratoires de recherche d’autres disciplines que la leur et des séjours à l’étranger, il faudrait également permettre aux futurs enseignants de faire des stages, voire des périodes d’immersion dans d’autres systèmes éducatifs pour expérimenter d’autres façons de faire, pour constater que d’autres choix sont possibles, pour ouvrir des perspectives.
Il faudrait de façon générale favoriser les expérimentations et leur diffusion, encourager les échanges entre pairs, la prise de risque intellectuel, sans opposer de façon stérile les « fondamentaux » entre eux ou les opposer à la créativité des jeunes. En effet, comme le savent nombre d’enseignants qui pratiquent des pédagogies qui ne sont pas frontales, les expériences en la matière ont montré que la mémorisation des contenus pédagogiques était plus durable dans des contextes où on fait appel à la créativité et à l’interaction entre élèves. En termes de méthodes pour promouvoir la créativité dans tous les domaines, d’excellents ouvrages traitant de l’adaptation de l’enseignement pour y introduire de nouvelles approches pédagogiques existent un peu partout dans le monde et gagneraient à être traduits et diffusés largement pour permettre de donner plus de choix aux enseignants, chacun allant du côté des méthodes les plus adaptées à sa situation.
Dans le monde de la recherche comme dans tant d’autres, on constate que donner de la liberté favorise l’innovation. Dans le système finlandais, on fait confiance aux enseignants qui à leur tour font confiance aux jeunes. Les inspecteurs y ont changé de rôle, d’évaluateurs garants du respect d’une norme, ils sont devenus des conseillers qui aident et encouragent ceux qui cherchent à améliorer leur enseignement pour que tous puissent accéder au savoir.
Dans notre vision jacobine, on pourrait croire que de telles pratiques non centralisées pourraient augmenter les inégalités, mais dans les comparaisons internationales, la Finlande a non seulement le meilleur résultat moyen mais elle a aussi réussi à réduire les différences entre écoles : leurs pratiques profitent à tous et en particulier aux élèves les plus en difficultés en les aidant très tôt sans jamais laisser s’installer l’impression que l’école n’est pas faite pour eux. En développant massivement les possibilités offertes par les technologies qui sont un facteur d’égalité quand on permet à tous de les maîtriser, les finlandais donnent à toutes les écoles de leur vaste pays de profiter de ce que le monde peut offrir[[Une jeune étudiante finlandaise vient ainsi d’être primée par le European School net pour avoir, via les nouvelles technologies, permis de mettre en contact des classes travaillant sur un projet collectif et des experts volontaires.]]. Il serait intéressant de tenter d’adapter en France les leçons du modèle public finlandais, en donnant les moyens techniques à tous et en offrant la possibilité à des équipes pédagogiques volontaires de s’inspirer de leurs acquis en étant accompagnée et encadrée selon les modalités qui ont cours en Finlande.
Propos recueillis par Patrice Bride et Nicole Priou
Extraits du rapport de François Taddéi Teresa Amabile soutient que la motivation intrinsèque, qui peut aller d’un simple intérêt pour un sujet à une véritable passion, est l’une des trois composantes essentielles du processus de créativité. Les deux autres sont la connaissance, ainsi qu’une approche souple et imaginative. Pour elle, la connaissance est un matériau aussi utile que nécessaire pour une réalisation créative : il faut avoir une bonne connaissance de la musique pour écrire un opéra, une connaissance intime de la physique pour développer une nouvelle théorie. (page 32) Robert Sternberg propose une manière simple de voir la pensée créative en la définissant par trois caractéristiques : elle est synthétique, analytique et pratique. Synthétique lorsque par exemple de nouvelles idées sont produites en en recombinant d’anciennes. Analytique lorsque de nouvelles idées sont évaluées par des personnes créatives, capables d’écarter les moins pertinentes et de signaler les plus intéressantes, pour les approfondir et les améliorer. Le caractère pratique implique la capacité à appliquer de telles idées à des situations réelles, à convaincre d’autres personnes de la pertinence des idées créatives. En apprenant aux étudiants à produire de l’information de façon créative, nous les encourageons à créer, inventer, découvrir, explorer, imaginer, faire des hypothèses. Cependant, nous croyons que dans une large mesure, la créativité n’est pas simplement une façon de penser d’une certaine manière, mais une attitude générale envers la vie. Les personnes créatives le sont, pour une large part, parce qu’elles ont décidé de l’être. Quelles sont les décisions qui sous-tendent la pensée créative ? Peut-être pouvons-nous distinguer douze éléments-clés : – redéfinir les problèmes – analyser ses propres idées – faire connaitre ses idées – considérer la connaissance comme une épée à double tranchant – surmonter les obstacles – prendre des risques – avoir la volonté d’évoluer – croire en soi-même – tolérer les ambigüités – trouver ce qu’on apprécie de faire, et le faire – s’autoriser à prendre le temps – s’autoriser à faire des erreurs (pages 33 et 34) (traduction : Patrice Bride) |