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Introduction à l’algèbre : un exemple d’activité en classe de 5e

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La classe de 5e marque une étape importante dans la rupture numérique – littéral et l’élaboration conceptuelle des objets algébriques. La lettre, utilisée depuis l’école, acquiert le statut de variable et d’indéterminée tandis que le travail sur la formule, initié en 6e, devient un objectif. Enfin, le calcul littéral, au sens de transformation d’écriture « fait l’objet d’un premier travail en classe de cinquième » avant de se développer en classe de quatrième.

Comment alors favoriser, chez l’élève, l’élaboration du langage algébrique et l’acquisition d’une langue symbolique, en classe de 5e ?

La situation décrite ci-dessous s’inspire d’une activité de modélisation affine réalisée en classe de 3e, à travers l’étude de cinq opérateurs téléphoniques. Ce thème a été maintenu, toutefois, il a été nécessaire de réfléchir à un scénario qui d’une part facilite la rupture avec le langage arithmétique et d’autre part, mobilise les élèves et les incite à élaborer une pensée et un écrit proche de l’algèbre. C’est pourquoi il a fallu modifier l’activité initiale de modélisation en y intégrant un travail linguistique de communication et de traduction. Or quelle langue écrite, autre que la langue française, peut traduire et véhiculer leurs pensées ? Celle des textos est apparue ici pertinente. En effet, elle est à la fois familière aux élèves et, proche par ses qualités de concision, de densité et d’efficacité, de la langue algébrique. Enfin, la ressemblance entre le langage algébrique et celui du tableur a justifié la collaboration du professeur de technologie dans cette aventure mathématique.

Objectifs et compétences

La séquence suivante se compose de 6 séances, d’une heure chacune. Les objectifs visés, en mathématiques et en technologie, sont :
Produire et utiliser une expression littérale ;
Lire et interpréter des informations à partir d’un tableau, ou d’une représentation graphique ;
Présenter des données sous la forme d’un tableau, les représenter sous la forme d’un diagramme ou d’un histogramme ;
Tester si une égalité comportant un nombre indéterminé est vraie lorsqu’on lui attribue des valeurs numériques ;
Connaître et utiliser le tableur – grapheur : Notion de cellule, formule, diagrammes … ;

Organisation

Les modalités d’organisation ont fait l’objet d’une attention particulière :
Une co-animation hebdomadaire nécessitant une compatibilité entre l’emploi du temps du professeur de mathématiques et celui du professeur de technologie ;
5 groupes de 4 à 5 élèves ; hétérogènes et mixtes ; composés par les deux professeurs ;
Le travail nécessite une salle informatique et des outil de communication (rétroprojecteur).
Prévoir aussi un dossier cartonné par groupe, au nom de l’opérateur. Il servira à la fois de portfolio, mémoire écrite des travaux réalisés (brouillon compris) et d’outil de correspondance entre les élèves et les professeurs.

Déroulement et description
Séance n°1 : 5 opérateurs et 3 utilisateurs

Les élèves se répartissent dans les groupes déjà établis. Les professeurs présentent la situation et attribuent à chacun des groupes un des cinq opérateurs téléphoniques :

RSF : forfait 2 heures à 29 € et 0,07 € par sms ;
BOUYG : forfait 2 heures à 29 € et 0,12 € par sms ;
KIWI : forfait 2 heures à 36,50 € et 0,10 € par sms ;
TELE 3 : 2 heures à 21,85 € et 0,09 € par sms ;
DIBITEL : 2 heures à 19,90 € et 0,09 € par sms ;

Les dossiers cartonnés sont distribués. Ils contiennent chacun : le slogan publicitaire de l’opérateur ; des extraits de diagrammes bâtons ; du papier millimétré ; un transparent millimétré ; Une bande-tableau transparente ; Des feuilles blanches.

Les professeurs introduisent ensuite, au tableau, trois utilisateurs fictifs et leur consommation téléphonique respective :

Ce mois, David a téléphoné 1 heure et a envoyé 600 sms ;
Marie a téléphoné 2 heures et a envoyé 200 sms ;
Simon a téléphoné 1 heure 30 minutes et a envoyé 60 sms.

Les consignes de travail sont données et écrites au tableau :

Chaque opérateur calculera le coût de la facture mensuelle de chacun des trois utilisateurs. Les résultats seront inscrits dans la bande – tableau.

Chaque opérateur illustrera et comparera les 3 montants à l’aide d’un diagramme bâton, réalisé sur le transparent millimétré. Les diagrammes bâtons fournis pourront servir d’exemples.

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Remarque : Les professeurs, volontairement, ne corrigent pas les erreurs de calculs commises, en particulier celle qui consiste à traiter proportionnellement le prix du forfait téléphonique.

Séance n° 2 : Le tableur-grapheur

Les élèves sont, par groupe – opérateur, devant les postes informatiques. Chaque groupe dispose de deux ordinateurs. Après un court rappel de la séance précédente, les professeurs distribuent les dossiers cartonnés. Ils contiennent :
– le slogan publicitaire de l’opérateur ;
– La bande-tableau transparente et complétée lors de la première séance ;
– Le diagramme bâton réalisé ;
– Une fiche ressource tableur et grapheur ;
– Une fiche d’activité indiquant le travail à faire.

Il s’agit pour chaque opérateur de compléter un fichier tableur préparé par le professeur de technologie. Les consignes sont les suivantes :

a. Compléter un tableau en y reportant les trois résultats numériques ;
b. Observer la création automatique d’un diagramme bâton 3D ;
c. Réaliser un graphique en nuage de points et l’intégrer à la feuille de travail ;
d. Imprimer et comparer avec le diagramme produit lors de la première séance.

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Travail à effectuer à la maison : Chaque groupe a réalisé, à l’aide l’outil informatique, un tableau de valeurs, un diagramme bâton et un graphique en nuage de points. Afin d’exposer vos résultats à l’ensemble de la classe, vous devrez, au sein de chaque opérateur, sélectionner l’un de ces trois modes de présentation. Vous indiquerez à votre professeur de technologie le support choisi afin qu’il vous l’imprime sur transparent. Vous devrez justifier votre choix, lors de l’exposé en classe.

Cette dernière consigne s’inscrit dans une initiation aux traitements et à l’analyse de données, en incitant les élèves à porter un regard critique sur les outils et les modes de représentation spécifiques à l’étude statistique.

Séance 3 : Un 4ème personnage et un 6ème opérateur

Les élèves entrent en classe et s’installent par groupe – opérateur. Les dossiers cartonnés ne sont pas distribués.

Dans un premier temps, chaque opérateur expose au rétroprojecteur, ses résultats et justifie le support de présentation choisi. À l’issue des cinq présentations et des échanges entre élèves, les professeurs résument à l’oral les caractéristiques propres à chaque mode de représentation.
Dans un second temps, les professeurs annoncent aux élèves une nouvelle surprenante :

La classe et, chaque élève en particulier, a reçu un courrier étrange.
Il s’agit d’une enveloppe cachetée que nous vous remettons.
Ouvrez la et découvrez son contenu.

Cette enveloppe contient :
– une lettre manuscrite, signée par Mme Versaci, une grand-mère ;
– le slogan publicitaire d’un 6ème opérateur Two.tel ;
– un papier à lettre rayé.

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Après une phase de découverte et de lecture silencieuse, les élèves prennent la parole et reformulent ce qu’ils viennent de lire :

La grand-mère de la classe, Mme Versaci, a décidé de s’abonner à un forfait téléphonique, auprès de l’opérateur Two.tel. Elle sollicite l’ensemble des élèves pour l’aider à prévoir, avant la fin du mois, sa facture téléphonique. Elle attend avec impatience une réponse manuscrite.

La suite de la séance s’organise autour de cette situation de communication entre chaque élève et Mme Versaci. Ce temps épistolaire les incite à se lancer dans un écrit personnel et exigeant, le brouillon devenant un outil littéraire précieux aux yeux des élèves.

À la fin de la séance, chacun d’eux remet sa lettre aux professeurs. Ces derniers deviennent les facteurs d’une correspondance, certes fictive, mais pleinement vécue par une très grande majorité d’élèves. Les extraits de ces courriers scolaires en témoignent :

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D’un point de vue mathématique, les outils langagiers pour désigner le nombre de sms consommés par Mlle Versaci, inconnu par les élèves, sont au cœur du travail de conceptualisation, sous-jacent à l’ensemble de la séquence. La séance suivante permet d’approfondir cette question, notamment par le changement de langue utilisée.

Séance 4 : De la lettre manuscrite à la lettre symbolique

Les élèves entrent en classe et s’installent par groupe – opérateur. Les dossiers cartonnés leur sont remis. Ils contiennent :
– le slogan publicitaire de l’opérateur two.tel ;
– 2 ou 3 extraits de lettres écrites des élèves du groupe ;
– une bande vierge transparente ;
– des feuilles blanches.

À la demande pressante des élèves, les professeurs les informent des dernières nouvelles envoyées par Mme Versaci :

La grand-mère de la classe a été touchée par vos écrits. Toutefois, en relisant et en comparant certaines lettres, elle n’arrive toujours pas à comprendre la méthode qui va lui permettre de résoudre son problème.

Vous trouverez dans votre dossier deux ou trois extraits de courrier qu’elle a sélectionnés. Par groupe, aidez-la en lui écrivant une unique phrase. Celle-ci ne devra pas contenir d’exemples. |

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Après une lecture silencieuse de ces extraits, les échanges s’organisent au sein de chaque groupe. Les méthodes proposées provoquent des débats extrêmement riches, en particulier sur le sens du mot forfait et son caractère proportionnel ou non. Le sens commun s’impose toutefois assez vite, justifié par l’expérience et le vécu extrascolaires des élèves. Par essais successifs, ils reformulent et élaborent une phrase susceptible d’éclairer Mme Versaci. Celle-ci est inscrite sur une bande transparente.

Soudain, une sonnerie de messagerie téléphonique retentit dans la classe ! À la surprise des élèves, le professeur de technologie leur communique, par l’intermédiaire du vidéo projecteur, le message reçu :

DEFI
COMMENT CALCULER
FACTURE 2-TEL
REPONSE PAR TEXTO
10 CARACTERES MAXI
MERCI A +

Chaque groupe, perplexe mais motivé, s’approprie rapidement le défi et, comme pour la lettre manuscrite, effectue des essais au brouillon. Le message réponse est rédigé dans un téléphone transparent remis par les professeurs.

Les deux défis, celui de la grand-mère et celui du portable, sont relevés par toute la classe. Deux représentants de chaque groupe dévoilent leurs réponses, en langue française et en langue texto.

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Les discussions et les échanges, lors des recherches et à l’issue des exposés, se sont principalement focalisés sur l’artifice symbolique qui modélise le nombre de sms, à la fois inconnu et variable. La syntaxe utilisée a été discutée dans tous les groupes, en particulier celle des symboles monétaires et celles des parenthèses. Ainsi, la contrainte des 10 caractères maxi a été levée grâce à la priorité de la multiplication par rapport à l’addition qui permet de gagner 2 signes ! Les élèves ont observé, au-delà des notations, des abréviations ou des symboles utilisés, le fait que l’ensemble des groupes a finalement eu la même idée, celle de figurer et de représenter ce que l’on ne connaît pas. Enfin, l’aspect court et opératoire du texto, également appelé formule, a été retenu comme un avantage par rapport à la phrase française.

Séance 5 : La formule, au service du tableur-grapheur

Les élèves entrent en classe et s’installent par groupe – opérateur. Les dossiers cartonnés leur sont remis. Ils contiennent :
– le slogan publicitaire de l’opérateur du groupe ;
– un téléphone-papier vierge ;
– une fiche ressource tableur et grapheur ;
– une fiche d’activité.

Les professeurs rappellent le travail réalisé lors de la précédente séance, en particulier le recours à une formule texto et à un symbole. Afin de réactiver ce travail de traduction, les professeurs donnent la consigne suivante :

Traduire votre slogan publicitaire à l’aide d’une formule texto qui permet à un client de déterminer le montant d’une facture mensuelle, connaissant le nombre de sms consommés.

Chaque groupe réalise aisément la tâche demandée. Le professeur de technologie dévoile alors, au vidéo projecteur, la langue informatique utilisée dans le tableur. Il explique les termes de cellule et de formule et établit un parallèle entre la formule texto et la formule tableur. Le professeur de mathématiques, quant à lui, profite de cette occasion pour souligner le lien entre l’identification d’une cellule et le repérage cartésien par abscisse et ordonnée.

La seconde partie de la séance se déroule devant les postes informatiques. La fiche d’activité précise le travail à faire. Il s’agit de mettre en application la formule texto dans un tableau où figurent différentes valeurs du nombre de sms consommés. Les élèves découvrent les spécificités de la langue informatique et se familiarisent rapidement avec les règles de syntaxe propre au logiciel.
Certains saisissent très clairement l’aspect automatique de la formule et apprécient en particulier l’effet du geste cliquer sur la poignée et glisser. L’aisance dont ils font preuve leur permet ainsi d’exploiter les fonctions grapheur du tableur en réalisant des graphiques et des diagrammes à partir des valeurs numériques obtenues.
L’opportunité de la situation permet au professeur de mathématiques d’inciter ses élèves à observer les graphiques obtenus. L’alignement des points ou non est utilisé par certains d’entre eux pour comparer et valider les résultats numériques.

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Avant la dernière séance, les professeurs remettent aux élèves un document de révision. Celui-ci retrace les différentes étapes du travail réalisé, au sein de chaque opérateur.

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Séance 6 : Evaluation écrite et synthèse

Cette séance vise à évaluer de manière formative les élèves en les incitant à prendre du recul par rapport au travail effectué durant cette première séquence. Un questionnaire individuel leur est distribué.

Il s’agit également de prolonger une réflexion personnelle par une synthèse collective au sein des groupes. Les élèves doivent dans un premier temps analyser et comparer les résultats obtenus. Dans un second temps, ils doivent dégager les atouts des notions rencontrées ou construites. Quatre thèmes sont retenus par la classe : La lettre (en tant que symbole) ; la formule ; le tableur et les graphiques.

Prolongement de la séquence

Cette 6ème séance clôt une initiation au langage algébrique. Toutefois, cette activité doit évidemment se prolonger en mathématiques afin de consolider, chez les élèves, la pensée algébrique et les objets associés, la lettre et la formule. De nouvelles situations mathématiques devront leur permettre d’une part d’exploiter et d’approfondir le langage algébrique et d’autre part, de se familiariser avec l’écriture symbolique. Le travail sur la langue et le langage se poursuit donc, dans la perspective du calcul littéral et des pratiques algébriques des classes ultérieures.

Olivier Arrouch, Professeur de mathématiques Collège Roger Martin du Gard, Épinay-sur-Seine, Seine-Saint-Denis.