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Innover : un choix politique

Le CNIRS a mis fin à ses travaux suite au changement de politique ministérielle. Peux-tu nous raconter pourquoi et dans quelles circonstances ?

Le CNIRS n’a pas mis fin, du moins officiellement, à ses travaux. Nous sommes nombreux à en avoir démissionné collectivement, mais le ministère avait laissé entendre que le CNIRS continuait, une fois remplacés les membres démissionnaires. Le site (http://www.education.gouv.fr/innovation/accueil.htm) existe toujours mais ne semble pas avoir bougé depuis octobre 2002.

Nous avions prévu qu’il y aurait une alternance. Même le retour de Jack Lang comme ministre aurait été une alternance. Nous avons donc élaboré un rapport avant les élections. Nous l’avons appelé « rapport d’étape » parce qu’il se situait à mi-parcours de la durée de notre mandat. Une fois les élections passées, il y a eu un été un peu chaud quant au maintien de l’existence du CNIRS. Finalement, alors que le secrétariat général du CNIRS était assuré de façon autonome par une équipe autour de notre présidente Anne-Marie Vaillé, nous avons appris que nous serions convoqués en plénière par la DESCO (bureau A 11). Cela s’est plutôt bien passé. Nous pensions pouvoir redémarrer, en particulier les commissions de travail. Au bout de quelques semaines, nous avons constaté que finalement entre ce que nous avaient dit Luc Ferry et Jean-Paul de Gaudemar et le silence radio qui a suivi, il y avait un hiatus, résultant peut-être d’une « victoire » d’un bureau du ministère sur un autre. Nous avons donc décidé de tirer les conséquences de ce décès sans faire-part, nous avons démissionné.

Le CNIRS avait pour mission, entre autres, d ‘être une instance où les initiatives locales, individuelles ou collectives pouvaient être entendues, prises en compte, évaluées et le cas échéant soutenues auprès du ministère. As-tu le sentiment qu’il a pu remplir sa tâche correctement ? Que retiens-tu pour ta part de cette mission ?

La tâche était immense ! C’était d’abord une tâche d’expertise et de conseil auprès du ministre pour concevoir sa politique éducative et « faire passer l’innovation de la marge du système scolaire à son cœur » (Jack Lang). Expertise et conseil qui ne pouvaient que s’adosser aux innovations que nous débusquions. Nous avons amorcé des chantiers : atlas de l’innovation, stimulation, soutien et accompagnement des innovations, recommandations sur la formation des enseignants et des cadres de l’éducation nationale, évaluation des innovations, création de pôles académiques de soutien à l’innovation, ergonomie scolaire… Le rapport, toujours sur le site, est riche de ce que nous avons commencé à entreprendre. Il nous fallait du temps pour faire, du temps aussi pour être entendu des corps intermédiaires. Nous avons commencé à tisser un réseau, à intervenir dans les situations d’urgence. Nous avons, je crois, fait un bon travail ; reste qu’il est inachevé faute d’avoir été poursuivi et que ses fruits sont peu palpables.

L’innovation a-t-elle pu exister sous d’autres formes que les établissements pionniers ? As-tu des exemples ?

Bien sûr ! Mieux, les innovateurs n’ont pas attendu le CNIRS pour innover, encore heureux ! Si certains d’entre nous centraient leur participation sur le développement d’établissements pionniers, j’avais centré la mienne sur l’accompagnement des équipes innovantes, la mise à leur disposition de facilités de diffusion, d’institutionnalisation, d’échanges et d’évaluation par le raccourci que nous étions potentiellement entre eux et le ministre ou tel ou tel étage et secteur de la pyramide hiérarchique. Un exemple : une école maternelle de l’académie de Nancy-Metz, installée dans une HLM et pratiquant le décloisonnement et les classes multi-âges. Nous sommes allés les rencontrer à deux (un IA et moi-même). Notre visite, en tant que membres du CNIRS, leur a permis de sortir du ghetto dans lequel les écoles du voisinage les cantonnaient et de régler quelques difficultés avec différents échelons hiérarchiques. Il faut dire que le recteur de l’époque était aussi au CNIRS… D’autres exemples ? Coanimateur du CAREP de l’académie d’Amiens, j’ai pu assurer les aller-retour entre le CNIRS et les nombreuses innovations dont j’ai eu connaissance dans le cadre de ma mission. Allez voir notre site (http://www.ac-amiens.fr/cr-aeemd) !

Comment les relations avec la DESCO – qui dans le sein du ministère est chargée aussi de relayer les innovations – ont-elles été nouées ? Cela a-t-il été un obstacle ou un travail de coopération ?

La DESCO, et en particulier le bureau A11, chargée depuis Bayrou de la mission « innovation et valorisation des réussites », a sans doute vu d’un assez mauvais œil la création du CNIRS. Elle n’a jamais bien accepté que son rôle était technique et se traduisait par un Plan national de l’innovation alors que le nôtre était politique. Des membres de la DESCO siégeaient de droit au CNIRS, des membres participaient à nos groupes de travail. Nous arrivions cependant à travailler ensemble malgré quelques escarmouches en séance plénière ou dans les couloirs des réunions. Par exemple, nous avons vraiment coopéré en commission au moment de la constitution de l’atlas de l’innovation. Pour ma part, j’ai tenu constamment informé le chargé de mission académique à l’innovation et, sans être d’accord sur tout, nous avons pu travailler localement de concert pour l’innovation. Je ne suis pas certain qu’Anne-Marie Vaillé, notre présidente, aurait la même tranquillité sur ce sujet. En tout cas, la DESCO semble avoir vécu la fin du CNIRS comme une « reprise en main de ses affaires », la fin d’une anomalie administrative.

Aujourd’hui, quelle perspective pour l’innovation dans l’EN ?

Sur ce sujet, on est revenu à l’avant Lang. Apparemment les « établissements pionniers » ont quelques difficultés. Mais l’innovation continue, l’inertie de la machine ministérielle perdure avec ses avantages et ses inconvénients. Et puis, nous avons modestement laissé quelques traces. Par exemple, la création des pôles académiques de soutien à l’innovation peut être un levier de stimulation, de soutien et d’accompagnement des innovations. Tout cela dépend de la manière de s’en servir.

Quelle que soit l’une des multiples définitions qu’on choisisse, l’innovation est indispensable au fonctionnement même du système ; le jeu qu’elle apporte dans les rouages quelque peu rigides est l’un des moyens d’empêcher que la machine se bloque et explose.

Enfin, restera qu’il nous a fallu nous coltiner à cette culture du « pour vivre heureux, vivons cachés » qui demeure majoritaire chez ceux qui innovent.

Propos recueillis par Marie-Christine Chycki