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Former les enseignants à l’éducation à la santé

Dans notre pays, il n’est rien d’évident à ce que l’école, dont la mission se cantonne à la sphère publique, prenne en charge l’éducation à la santé, domaine perçu comme relevant d’abord du privé, de l’intime. Il n’existe pas non plus de consensus sur la façon de l’aborder. À minima, deux lectures émergent dans les différents discours : la référence à la sécurité d’une part, et la référence à la promotion du bienêtre individuel et social d’autre part. La première fait appel à l’idée d’urgence préventive (si nous n’agissons pas maintenant, les conséquences seront terribles dans le futur et risquent de mettre en cause l’équilibre même de notre société) ; la seconde renvoie à des fins plus larges (prendre du pouvoir sur sa santé et celle de la communauté). Si la première a été longtemps dominante, le souci grandissant dans la société du bienêtre individuel met en avant la seconde. Ces deux sources de légitimité coexistent dans le système éducatif et conduisent nécessairement à des façons différentes de percevoir le rôle de l’école et des enseignants.

Santé et finalités de l’école

La spécificité de l’action de l’école tient au fait qu’elle est nécessairement ordonnée au projet démocratique de notre pays, fondé sur la confiance en la capacité du citoyen à agir de façon libre et responsable. C’est l’éducation qui apprend à décider par soi-même, à prendre du pouvoir sur son existence, à tenir à distance les discours des médias, des marchands, des gourous ou des experts. En matière de santé, le rôle de l’école et des autres acteurs de l’éducation, en particulier la famille, est d’accompagner les élèves dans leur apprentissage de la liberté et de la responsabilité.

La santé ne saurait être considérée comme une fin en soi, comme le but ultime de l’existence. La santé, en régime démocratique, ne peut se substituer aux valeurs d’émancipation de chacun. Elle est une condition de possibilité de l’exercice plein et entier de la citoyenneté, non un objectif.

Il nous semble illusoire d’avancer sur la question de la formation des enseignants en éducation à la santé en faisant comme si tout relevait de l’évidence et que les seuls obstacles étaient l’ignorance (ils ne savent pas que l’affaire est grave, il suffit de le leur dire pour qu’ils en soient convaincus), la bonne volonté des acteurs (s’ils ne le font pas, c’est qu’ils résistent pour de mauvaises raisons, comprenons la nature des différents verrous pour être en mesure de les faire sauter) et le manque de temps (il y a d’autres priorités, c’est vrai, mais il faut agir pour que la santé remonte dans la liste). La première étape d’un travail de formation est sans doute constituée par l’élucidation de ce qui est en jeu.

Un ciment pour la formation

Le cahier des charges de la formation des enseignants de 2007[[Circulaire du 4 janvier 2007 relative au cahier des charges de la formation des maitres.]] accorde une place significative aux questions liées à la santé. Il indique que la formation des maitres doit s’insérer dans un cadre national et s’appuyer sur les textes officiels précisant les engagements éducatifs de l’institution scolaire, notamment l’éducation à la santé. Les questions de santé et de prévention relèvent des compétences professionnelles des maitres, aussi bien comme objet d’enseignement avec l’ensemble des « éducations à… » que comme constitutives de la mission du fonctionnaire (agir de façon éthique et responsable) « pour le repérage des difficultés des élèves dans le domaine de la santé et des comportements à risque » et « pour la prise en charge des élèves en situation de handicap ». Enfin, la question du partenariat, centrale en éducation à la santé, est mise en avant : il s’agit de travailler en équipe, de coopérer avec les parents et les partenaires de l’école.

D’une façon plus générale, le cahier des charges souligne la dimension éducative de l’exercice professionnel des enseignants. L’éducation à la santé n’est pas un domaine supplémentaire se superposant à d’autres, renforçant le morcèlement de la formation, elle est au contraire appelée à en constituer un ciment.

Tous les enseignants sont confrontés aux questions posées par les conduites à risque et s’interrogent sur la nature de leur mission comme sur celle de l’école : en quoi puis-je contribuer à l’éducation des élèves sur ces sujets qui, bien que fondamentaux, se situent à la frontière de la sphère publique et de la sphère privée ? Que dois-je dire à un élève qui consomme du cannabis ou présente des signes de malêtre ? Comment agir sur l’aliénation générée par les stéréotypes en ce qui concerne la « ligne », l’alcool, la sexualité ? Est-ce que l’école doit participer à la chasse aux fumeurs, à la stigmatisation des gros ? Doit-elle contribuer à l’idéalisation du corps telle que nos sociétés individualistes tendent à le promouvoir ? Doit-elle renoncer à tout discours sur la sexualité, la violence ou la drogue ?

Dans la vie des établissements, l’enjeu premier est souvent la gestion du quotidien, de l’urgent. Mais les questions de prévention et d’éducation demeurent le cœur des préoccupations des professionnels. Traiter de telles « questions vives » de citoyenneté avec les étudiants et stagiaires leur permet de faire le lien entre divers apports académiques (scientifiques, historiques, juridiques, déontologiques) ou issus de leur expérience. L’éducation à la santé est alors l’un des éléments de la « culture commune » à tous les enseignants du primaire comme du secondaire.

Quelles conditions ?

Dans le domaine de l’éducation à la santé comme dans tous les autres, l’activité des enseignants ne consiste pas en la simple mise en œuvre de circulaires ou de programmes. Ce qui la conditionne est beaucoup plus complexe. Elle est dépendante, certes, de paramètres institutionnels (les prescriptions liées aux programmes, les circulaires, le projet d’établissement), personnels (nature des représentations de l’enseignant quant à sa mission dans le champ de l’éducation à la santé, parcours personnel) et liés au public (les élèves, leurs besoins, leurs attentes). La formation se doit de laisser une place à ces trois aspects complémentaires. Cela ne signifie pas que chaque module ou chaque séance doive conduire à les travailler tous, mais qu’il faut veiller à ce qu’ils soient pris en compte.

Mettre en œuvre une formation ne peut ainsi se limiter à prôner de « bonnes pratiques ». Il s’agit d’accéder à la compréhension des contradictions inhérentes au métier d’enseignant, entre les exigences des apprentissages et celles de l’exercice réel du métier, pour offrir une formation adaptée. L’enseignant n’est pas un robot agissant sous l’action de prescriptions, mais un sujet pris dans un ensemble de contraintes qui influent sur l’exercice de son activité. De la maternelle au lycée, « les enseignants prennent quotidiennement de multiples décisions dans bien d’autres buts que de favoriser les apprentissages des élèves : par exemple pour préserver l’affection que ceux-ci leur portent, pour ne pas « les mettre en échec », pour maintenir la paix sociale dans la classe, pour entretenir leur propre motivation ou pour économiser leurs forces. Tous s’efforcent de trouver en classe un bienêtre suffisant pour « tenir » chaque jour ou « durer » toute une carrière[[Roland Goigoux, « Un modèle d’analyse de l’activité des enseignants », Éducation et didactique n° 3, 2007.]] ».

Une prescription parmi d’autres

Le fait de se situer dans un champ marginal de l’activité enseignante rend nécessaire la prise en compte des différents déterminants de l’activité en éducation à la santé, mais aussi de travailler sur son articulation avec les autres dimensions du métier. Elle n’est, en effet, pas au cœur de l’identité professionnelle des enseignants. Même si les enseignants sont majoritairement conscients de leur rôle dans ce domaine, l’extraordinaire masse de prescriptions dans tous les domaines la fait apparaitre comme une nouvelle charge venant s’ajouter à un fardeau déjà bien lourd à porter.

Ainsi, la formation des enseignants en éducation à la santé ne se limite-t-elle pas à organiser des séances d’information sur les différents thèmes liés à la santé. C’est en lien étroit avec les autres dimensions du métier que cette question peut avancer.

Didier Jourdan
Professeur à l’université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand 2, directeur de l’IUFM d’Auvergne.


Bibliographie
Didier Jourdan, Éducation à la santé. Quelle formation pour les enseignants ?, INPES, 2010.