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Formation des maîtres : le retour au Moyen Âge ?

République a annoncé pour 2010 le recrutement des enseignants au niveau du master (bac + 5), ce qui permettrait de mieux les rémunérer… en début de carrière, mais retarderait d’un an leur entrée dans le métier ; et en même temps, la suppression des IUFM remplacés par le compagnonnage. Beaucoup d’universitaires et de formateurs ont approuvé la première décision mais sont plus que surpris par la seconde.

La formation à l’heure de la démocratisation

Le compagnonnage est le premier modèle de formation connu. Un maître forme ses disciples en se fiant à l’observation. Pour devenir maître à son tour, le compagnon doit réaliser un chef-d’œuvre. Cela prend des années, voire des décennies. Aucune rationalisation de la production n’est envisagée et les objets restent uniques.
Qui voudrait retourner au Moyen Âge ?
Les écoles normales symbolisent une deuxième façon de faire qui repose sur la standardisation et la production en masse. L’uniformisation des « hussards de la république » formés sans aucun rapport avec l’université atteint ses limites au cours des années 1960 : raréfaction des vocations, promotion de l’individualisme, fermeture progressive de l’entrée sur concours au niveau de la 2de et premiers recrutements avec le Deug.
La fin des « Trente glorieuses » coïncide avec le plein effet du décret Berthoin (1959) qui prolonge l’instruction élémentaire obligatoire jusqu’à seize ans. Sans l’exprimer clairement, la France a fait le choix du secondaire pour tous les élèves. L’école à deux vitesses avec le « petit lycée » pour les élites et la « communale » pour les enfants du peuple a vécu. La démocratisation définie comme l’accès de tous au collège unique est confirmée par la loi Haby de 1975.
Qu’est-ce qui a changé à cette époque dans la formation initiale des enseignants ? Rien ou presque rien : les uns sont « normalisés » et les autres dispensés de toute formation ou presque dans les centres pédagogiques régionaux : trois stages chez un enseignant chevronné et le tour est joué. J’ai vécu ce compagnonnage, comme stagiaire, avec un charmant collègue qui se payait des radiateurs grâce à ses indemnités ou qui prenait scrupuleusement en notes le cours que je faisais pour « savoir ce qui se faisait à l’université ».

Les liens avec l’université

En 1989, la loi d’orientation prévoit la création des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et la naissance d’une « culture commune ». Aucune évaluation sérieuse n’est faite si ce n’est quelques enquêtes de satisfaction en fin de stage et avant la réelle prise en charge d’un enseignement. Au fil des ans, la proportion d’enseignants-chercheurs s’accroît. Des colloques sur la recherche et la formation des enseignants sont organisés et l’insatisfaction diminue même si elle reste forte (Les dossiers de la DEPP, 176, d’août 2006) ; elle s’estompe quand les professeurs sont interrogés quelques années après leur formation. Finalement, ils ont bien appris une partie de leur métier grâce à l’IUFM comme l’a montré le numéro 435 des Cahiers pédagogiques (« Enseigner, un métier qui s’apprend ») que j’ai coordonné avec Alain Zamaron : l’alternance entre des stages et des moments réflexifs permet de mieux affronter les aléas des premiers emplois. Les autres pays (Suisse, Québec) sont engagés dans un mouvement général d’implantation des centres de formation dans les universités : le lien avec la recherche y est évident et ces universités ont fait le choix de la professionnalisation. Elles coopèrent avec des réseaux d’établissements partenaires. En France, ce lien se noue surtout avec les écoles annexes et d’application, parfois avec des collèges et des lycées. Avec le processus de Bologne (enseignement supérieur pensé en Europe à bac +3, +5 et +8), réparer l’injustice faite aux enseignants recrutés (théoriquement) avec la licence impose de faire bénéficier au moins les lauréats du master puisqu’ils consacrent deux années de plus à leur formation (préparation du concours et année de stage).
Un troisième modèle commence à être suivi par bien des centres, celui du projet et de la personnalisation, de l’alternance intégrative liée à une prise en mains progressive de la classe. Les situations authentiques rencontrées nécessitent une analyse qui conduit dans deux directions complémentaires : acquérir des gestes professionnels pour faire face aux imprévus et ressentir le besoin de lier entre elles les connaissances et les compétences que le métier nécessite de combiner.

Les enseignants en formation ne sont pas d’abord des « moyens »

C’est ce travail patient et humble d’une vingtaine d’années qui est maintenant abattu d’un revers de mains. L’entrée des IUFM dans les universités était une chance, elle n’a que quelques mois et elle est déjà lettre morte. Pourtant, les trois défis à relever pour la formation des enseignants sont connus :
– rehausser le niveau de leurs connaissances dans leurs disciplines d’enseignement et dans le maniement de la langue française ;
– développer leurs compétences didactiques car il ne suffit pas de savoir pour savoir transmettre ;
– diversifier leur savoir agir dans les situations de classe, en commençant par la relation d’autorité et la stimulation de la motivation.
Penser une formation universitaire dans une logique de réussite consiste à obtenir un regard différent de l’Éducation nationale qui devrait cesser de considérer les enseignants en formation comme des moyens d’enseignement. Penser cette formation revient à cibler des établissements ou des écoles qui coopèrent avec l’université et lui proposent des postes précis avec des classes hétérogènes et des équipes qui font de la formation une de leurs priorités. Son principal ressort est l’analyse des situations éducatives pour aller vers la réalisation du socle commun grâce au développement des compétences formulées par le Haut comité de l’éducation. Les formateurs, de l’établissement ou de l’école (ils ont des classes et des élèves, ils éprouvent parfois les mêmes difficultés que les collègues qu’ils forment), de l’université ou de l’institut (ils ont fait leurs preuves dans la démarche scientifique allant de la difficulté à son expression sous forme d’un problème ouvert à résoudre) deviennent des ressources pour les enseignants en formation. Penser la formation en ces termes ne revient pas à dépenser plus pour former moins mais à investir autant pour améliorer la qualité de l’enseignement et diminuer l’inconfort des premières années d’exercice.

Revaloriser… pour former moins ou pas du tout

Ce qui inquiète c’est le tour de bonneteau qui consiste à jouer sur une revalorisation des débuts de carrière pour dissimuler la fin de la formation et le mauvais coup porté aux jeunes enseignants qu’on laisse démunis. Promouvoir un compagnonnage dévoyé fera exploser le nombre de démissions en début de carrière et nous rapprochera des États-Unis et de leurs 30 % d’abandons au cours des cinq premières années.
Les raisons de cette duperie sont à chercher ailleurs, notamment dans la révision générale des politiques publiques qui vise 100 000 suppressions de postes et en regagne plus de 10 000 d’un seul coup. Les IUFM ont toujours été trop humbles par rapport à leurs réussites et ont laissé le champ libre à leurs détracteurs. C’est une bonne idée de les faire entrer dans des universités qui s’engagent dans la recherche sur l’éducation, la formation et le développement professionnel car ce n’est certainement pas en renonçant à l’alternance entre l’action et son analyse que l’on parviendra à recoller au peloton de tête des pays de l’OCDE dans les évaluations internationales et à réussir la démocratisation voulue depuis cinquante ans.

Richard Étienne, Sciences de l’éducation, université Montpellier 3, ancien directeur du site IUFM de Montpellier.