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Formateurs d’enseignants : un métier impossible ?

Dominique Bucheton et Yann Mercie-Brunel, ESF sciences humaines, 2023

Cet ouvrage accessible et appuyé sur la réalité de la formation d’aujourd’hui est indispensable, en particulier aux formateurs et aux candidats au CAFFA, mais aussi à tous les pilotes et politiques qui agissent sur la formation. Il propose des analyses et des pistes pour mieux accompagner les enseignants. Une focale particulière est consacrée aux entretiens, qui permettent aux auteurs de mieux comprendre ce qui se joue, côté formé et côté formateur, en particulier par l’analyse du langage et des interrelations, tout en finesse, loin des protocoles et des préconisations stéréotypées. « Les référentiels de compétences, pour le métier de formateur d’enseignants, comme pour le métier de formateur, ne sont pas des outils formatifs car ils ne peuvent rendre compte de l’extrême complexité de l’agir enseignant comme de l’agir formateur. »

Dominique Bucheton commence par réaffirmer que le métier de formateur est impossible : terriblement complexe, au cœur de dilemmes, d’évolutions du système éducatif et de la société, il souffre d’un manque de reconnaissance, les formateurs étant souvent invisibilisés, peu reconnus, peu promus. Mais le métier de formateur est aussi décisif : quel serait l’avenir de la profession enseignante sans formation, et donc sans formateurs ? Malheureusement, cette question est d’actualité : la formation initiale est insuffisante, la formation continue si malmenée qu’elle risque de se tarir, voire de disparaître ; nombre de formateurs jettent l’éponge, depuis la rentrée 2023, car ils désapprouvent les réformes en cours. Les deux auteurs évoquent cette crise d’identité des enseignants et des formateurs d’enseignants.

L’ouvrage est organisé en une première partie consacrée à une description du métier de formateur, en contexte : les taches dans les missions, les dilemmes associés, les grands courants théoriques qui ont pensé et pensent la formation, la passionnante question du langage : un chapitre court mais dense le présente d’emblée comme « un impensé de la classe et de la formation ». Il interroge la réflexivité des registres de langage, avec pour priorité « apprendre à parler pour penser ». Ailleurs dans cette partie, le CAFFA (Certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique) et le CAFIPEMF (Certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles maître formateur) sont interrogés, dans leur forme évaluative, qui semble très normative et en contradiction avec la nature même du métier de formateur, mais aussi dans les contenus de formation pour préparer ces certifications, en inadéquation avec les besoins réels.« Contrairement à Boileau, “les mots pour les dire” ne sortent pas facilement ; Ils sont l’objet d’un rude travail réflexif. »

La deuxième partie du livre analyse des entretiens qui ont étayé la recherche rapportée dans ces pages, en s’intéressant particulièrement aux gestes professionnels. On y propose « six grands principes fondamentaux pour l’agir formateur, avec une vision intégrative et émancipatrice de la formation » : avant tout autre, le principe de l’éthique professionnelle du formateur s’impose. A cet incontournable s’ajoute le temps (avec lequel on peut jouer, mais qu’il faut prendre en compte), l’ajustement du formateur (progressif, constant, complexe, tourné vers le formé), la capacité à dire le métier (on revient au « faire parler pour penser »), la culture (articulée entre la culture théorique et la culture de terrain, du pratique) et enfin le sens de savoirs enseignés.

La troisième partie de l’ouvrage propose un retour réflexif sur deux expériences de recherche et se termine par un envol vers ce qui pourrait être et qui transformerait les possibles de la formation, pour tous. Yann Mercier-Brunel pose finalement la question centrale : quels formateurs veut-on, au niveau politique ? Le métier de formateur demeure impensé. On devient formateur sur l’encouragement ou la proposition de son inspection, mais ni les tâches, ni les fondamentaux culturels et méthodologiques, ni l’organisation du métier (y compris financière ou en temps de travail effectif) ne sont clairement définis. Des « idéologies alternant au gré des gouvernements » rendent actuellement le métier de formateur impossible. Ces idéologies se fondent en étant coupées des enseignants, des formateurs et des chercheurs, qui pourtant aspirent et auraient intérêt à travailler ensemble. Peut-on espérer une prise de conscience politique ?

Claire Lommé