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Filles, garçons : savoir vivre ensemble
Ce sont 500 participants, jeunes et adultes, que le sixième forum « Adolescences » rassemblait le mercredi 3 février 2010 salle Wagram à Paris, sur le thème : « Filles, garçons : savoir vivre ensemble ». Suite à un partenariat avec la DGESCO, plusieurs lycées des académies de Bordeaux, Caen et Lyon mobilisés en amont sur la préparation, déléguèrent quelques-uns de leurs élèves comme porte-parole de leurs pairs et interlocuteurs des experts au cours des trois tables rondes qui ont ponctué la journée. À l’issue du forum, cent classes, réparties dans une dizaine d’académies, s’engagent dans un travail de réflexion. Accompagnés de leurs professeurs, les lycéens vont travailler sur les thématiques du forum national et « rediscuter » les avis émis par les experts et les jeunes présents à Paris. L’intention des organisateurs, au travers de ce dispositif, est de valoriser la parole des adolescents et de les associer à l’élaboration des changements qu’ils estiment nécessaires. Ils seront pour cela aidés par la rencontre et les échanges avec des experts sollicités dans leur académie à l’occasion des forums des lycéens et pourront s’appuyer sur les premières propositions issues de la journée du 3 février.
De la difficulté de vivre ensemble, garçons/filles, en 2010
Les trois tables rondes, animées par Michel Field, offraient, au cours de la journée, l’occasion à des adolescents et des experts d’échanger autour de trois entrées : Filles et garçons : semblables ou différents ? Garçons, filles : se construire avec ses différences ? Filles, garçons : libres d’être soi ? Chaque participant aura probablement été plus particulièrement sensible à tel ou tel message. Pour notre part nous reviendrons sur trois points :
– l’accent mis par les résultats de l’étude quantitative Ipsos sur le fait que les stéréotypes sont globalement partagés entre les générations, avec des opinions plus conservatrices exprimées par les adolescents par rapport aux adultes (et en particulier par les garçons), sur la virilité par exemple ou sur le partage des tâches ménagères ;
– l’échec scolaire masculin, massif puisqu’il représente deux tiers de ceux qui sortent du système sans qualification, pourrait trouver son origine dans une difficulté d’identification de certains garçons dans l’enceinte scolaire. Aux dires des spécialistes présents, le garçon, naturellement impulsif, porté vers l’action et vers l’extérieur aurait du mal à trouver sa place dans une école qui demande un effort sur la durée et une forme d’obéissance et de passivité : écouter, recevoir de l’information. Des exigences qui conviendraient spontanément davantage aux filles qu’aux garçons. De plus, l’école offre un encadrement à dominante féminine dans lequel certains jeunes garçons ne peuvent se projeter. Il est, selon les experts, plus difficile à un garçon qu’à une fille de dire qu’il aime s’investir dans son travail ;
– 51 % des adolescents disent avoir été victimes de discriminations : les sources principales de cette discrimination étant dans l’ordre : l’apparence physique, le sexe, l’origine. Les remarques sur les apparences, très présentes dans les interventions des adolescents, ont ponctué les échanges de la journée.
Pour l’anecdote – mais n’est-ce qu’anecdotique ? –, il a beaucoup été question de la jupe au cours de cette journée. De la minijupe surtout. Martial, l’un des adolescents de la seconde table ronde considère qu’il est préférable qu’une fille porte un jean plutôt qu’une minijupe, car — si elle s’habille ainsi, dit-il — il lui faudra assumer le genre qu’elle se donne : celui d’une « salope ». Preuve s’il en était besoin que les choses ne se sont pas simplifiées ces dernières décennies : sans doute était-il plus facile pour une fille de porter une minijupe dans les années 1970 ! La journée de la jupe — titre du film récent pour lequel Isabelle Adjani vient d’avoir le César d’interprétation féminine — est sans doute emblématique d’une vraie question vive qui touche aux relations garçons-filles dans leurs apparences et leurs attitudes sexuées…
Sur quels leviers agir pour faciliter le « vivre ensemble » ?
D’abord, ne pas fuir la mixité sous prétexte qu’elle n’est pas simple à vivre. La mixité est un véritable progrès pour le savoir-vivre ensemble. C’est la méconnaissance de l’autre qui engendre la peur. En conclusion de la seconde table ronde, Philippe Jeammet souligne, certes, que la différence est bien à la fois une chance et un risque, « elle fait peur et met en cause le sentiment d’identité ». Mais c’est aux adultes de donner des repères. L’école n’est-elle pas le lieu éducatif et d’ouverture à la différence par excellence ?
Pour que ce lieu soit réellement éducatif, il doit permettre que les acteurs se parlent. Parler est vital, nous disent les experts. Parler entre adultes et jeunes, entre garçons et filles. Avec, on le pressent, cette responsabilité particulière pour l’école d’être un lieu « contenant » pour ces échanges, d’en offrir le cadre et de les réguler. Aujourd’hui, nous dit Patrice Huerre, l’enjeu de la liberté d’être soi est celui des repères et des rencontres, des figures, notamment adultes qui accompagnent cette recherche. Car le sens ne se donne pas d’emblée : malgré les apparences, recherche d’égalité et indifférenciation ne vont pas forcément de pair. Le droit à la différence existe et il n’est pas soluble dans la parité.
Les interventions de Marie-Rose Moro mettaient l’accent sur le fait que le cœur du débat n’est pas l’existence d’une différence, mais le fait de la percevoir comme positive. Cultiver la liberté d’être et de devenir ce que l’on est, demande donc des actions éducatives dès la petite enfance, avec autant que possible un corps enseignant « pluriel », issu de la diversité, plus masculin qu’il ne l’est aujourd’hui, et sensibilisé à l’éducation à l’altérité.
Les témoignages de Jacques Grison, photographe et de Hervé Dizien professeur d’EPS au lycée Toulouse-Lautrec de Vaucresson, établissement pilote qui accueille simultanément des élèves valides et non valides, esquissent aussi la voie vers des pistes intéressantes. La question de la diversité se pose tout à fait différemment lorsque la différence n’est pas l’exception et qu’on multiplie les brassages : valides et handicapés, handicaps visibles et invisibles, etc. Ici, aux dires des élèves présents, la question des différences s’estompe largement. L’acceptation procède d’un dialogue et d’un échange permanents, rendus possibles par la participation des valides et des non valides aux mêmes cours, aux mêmes activités.
Les débats continuent dans une centaine de classes de plusieurs académies. Le 8 juin 2010, une conférence de bilan et de présentation des perspectives d’actions permettra de présenter pour le grand public des propositions issues des nombreux débats et échanges de bonnes pratiques qui auront eu lieu durant les différents forums « Adolescences » des mois précédents.
Une affaire à suivre.
Nicole Priou