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Faut-il avoir peur de l’autoformation ?

Autoformation ? Bien sûr, l’idée n’est pas neuve. Plusieurs textes souligneront dans les pages qui suivent les liens de l’autoformation avec la notion d’ « auto-socio-construction du savoir » proposée par le GFEN, ou, remontant plus encore dans l’histoire, les origines de pratiques pédagogiques libératrices, autonomisantes,  » autoformatrices », dès Pestalozzi par exemple. La contestation de la domination du processus  » enseigner » sur le processus  » apprendre » ne date pas non plus d’hier (ni de l’autoformation), du moins pour ce qui concerne la formation initiale. Le  » renversement de paradigme », ou, plus simplement, le changement radical de perspective qui caractérise l’autoformation est en effet plus récent, plus sensible aussi sans doute, en formation des adultes qu’à l’école ; mais là comme ici, il est étayé sur les témoignages de nombreux et illustres prédécesseurs, de Platon à Augustin, puis Descartes, Montaigne, Rousseau, Condorcet, Kant.

La nouveauté vient plutôt du choc de deux mots :  » autoformation » et  » école ». Car se former par soi-même évoque des fantasmes de solitude, de  » mort des profs », de survie des plus aptes, de robots éducatifs aveugles et d’inégalités aggravées. Pour des adultes, passe encore. Mais à l’école ! Le sujet vaut débat.

Tout d’abord, de quelle autoformation s’agit-il ? Il y a en effet place pour un débat sur les risques réels de développement d’une autoformation  » déviée » de sa finalité de libération pédagogique et sociale, devenue  » soloformation », plus ou moins installée dans une vague illusion technologique Sur les dangers d’une autoformation  » à la carte » (bancaire), réservée aux bien-portants de la culture, ou au contraire sur la menace d’une autoformation  » au rabais », fausse solution palliative des échecs scolaires répétés des publics les plus fragilisés.

Certes. Mais n’y a-t-il pas aussi avantage à réfléchir sur les limites de tous les systèmes éducatifs institués dans les sociétés dites  » cognitives », face à l’obsolescence accélérée des techniques, à l’accroissement exponentiel des savoirs scientifiques, à la dilution des savoirs culturels dans des réseaux sociaux de plus en plus sensibles aux sirènes des sous-cultures commerciales ou de divertissement ? L’inexorable poussée de l’autonomie des sujets sociaux de tous âges face aux institutions, depuis les parlements d’enfants jusqu’aux politiques de la vieillesse, ne donne-t-elle pas à penser aux défenseurs de l’éducation permanente de demain ? N’y a-t-il pas aujourd’hui urgence à concevoir, expérimenter, évaluer, des dispositifs d’aide à l’autoformation individuelle et collective, dans et hors le système scolaire, pour favoriser, faciliter, accompagner la formidable poussée de la demande éducative à l’orée d’un siècle dont chacun s’accorde à jurer qu’il sera celui de la connaissance comme condition de survie et de développement social et économique ? La finalité de l’école n’est-elle pas, comme on l’a souvent proclamé, de produire des  » apprenants permanents » ?

Ce sont ces questions qui guident un nombre grandissant d’acteurs et de chercheurs de l’éducation et de la formation, en Europe et en Amérique, dans leur intérêt, enthousiaste et critique à la fois, pour les manifestations de ce mouvement socio-pédagogique émergeant qu’on appelle  » autoformation ». Mais n’oublions pas que, comme souvent, c’est de l’institution éducative que sont partis les premiers encouragements dans cette voie innovante : Joffre Dumazedier, pionnier visionnaire et accompagnateur infatigable de l’autoformation en France, a réuni les premiers textes sur  » l’autoformation et les jeunes » dès 1980, à la demande d’un inspecteur général, après avoir orienté en ce sens ses premiers cours de socio-pédagogie des adultes, en Sorbonne, dès la fin des années soixante.

Faut-il avoir peur de l’autoformation ? Les textes qui suivent éclaireront, nous l’espérons, une question d’autant plus urgente que le terme, qu’il séduise ou heurte les sensibilités des pédagogues, est promis à un certain succès : beaucoup d’intérêts convergent aujourd’hui vers lui.

Dans ces intérêts convergents, du moins en apparence, nous avons dû trier, éliminer, classer. Il reste donc des manques, importants, que nous nous étions promis de traiter, comme les aspects politiques des choix éducatifs : à qui profiterait une véritable autoformation ? Quel lien existe-t-il ou pourrait exister entre une autoformation et un minimum culturel de base commun ? Qui validera les gains et savoirs de l’autoformé et pour qui ? On voit bien que notre modeste numéro ne fait qu’initialiser une réflexion que nous allons, d’accord ou pas, être obligés d’affronter de plein fouet.

Dans ce contexte, nous vous proposons le découpage suivant :
– Un tour d’horizon pour savoir de qui parle-t-on ou croit-on parler avec ce mot-valise très flou et très galvaudé.
– Un petit tour du côté de la formation des adultes et de tout ce qui se fait hors l’école.
– Un zoom sur ce qui se fait, malgré tout, à l’école.
– Et, par ci par là, quelques textes que l’on a voulus  » éclairants » sur des pratiques, des définitions, des stabilisations (provisoires) de notions, somme toute assez aléatoires.

Lectrices et lecteurs, nous savons que nous sommes incomplets, que nous n’avons pas pris en compte tous les témoignages que vous avez eu la gentillesse de nous envoyer, mais nous demeurons persuadés que nous tenons là une préoccupation forte et durable, à laquelle nous serons toutes et tous un jour confrontés : si, vraiment, s’en sortir demain c’est savoir  » faire feu de tous bois », savoir transformer l’expérience en apprentissage, que faisons-nous, au quotidien, en tant que maîtres, profs, parents, éducateurs divers et variés pour essayer de faire déboucher nos enfants dans ce champ infini de l’apprentissage à vie, de la formation permanente ? Celle qui permet d’échapper un tant soit peu aux lourdeurs du quotidien, parce qu’elle redonne à l’humain sa singularité d’être apprenant, à l’infini.

Nous rêvons d’une université d’été sur ce sujet, et avant, d’un  » Retour sur » Lecteurs, à vos plumes, cela aussi, c’est de l’autoformation !

Philippe Carré, Directeur d’Interface Recherche (Paris), Professeur associé à l’Université des sciences et technologies de Lille.
Odile Brouet, Ancienne professeur de Lettres, Responsable de centre de formation chez Renault.