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« Fatiguer le doute par la force de l’exemple. »

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philippe_et_v._peillon.jpgPeut-être que ce ne devrait pas être moi à la tribune pour vous accueillir, M. Le Ministre, et vous souhaiter la bienvenue. Ce devrait être un des deux rédacteurs en chef ou la directrice de publication de la revue “Les Cahiers Pédagogiques”. Ou le comité de rédaction ou même encore l’ensemble des contributeurs bénévoles des Cahiers. Mais cela ferait beaucoup de monde à la tribune !
Mais comme le CRAP dont je suis le président est l’association éditrice de la revue et qu’il y a peu de place sur cette tribune, ceci explique que j’aie l’honneur d’ouvrir cette journée.

Monsieur le Ministre, chers amis, je voudrais d’abord vous dire ma fierté de présider une association où se sont succédés tant de personnalités et de contributeurs bénévoles. C’est aussi une lourde responsabilité tant on peut se sentir comptable de l’héritage de ceux qui nous ont précédé. Car l’histoire de notre revue et de notre association se confond avec l’histoire de l’innovation pédagogique et de l’éducation nouvelle. Le premier numéro indique que la revue créée par François Goblot et Gustave Monod est un “bulletin de liaison des enseignants des classes nouvelles” issues du plan Langevin-Wallon. Au delà des dénominations les choses ont-elles beaucoup changé ?
Il y a quelque temps, j’ai consulté la liste des revues de sciences humaines proposée par l’AERS (agence d’évaluation de la recherche scientifique). Non sans une certaine fierté, j’ai pu constater que nous y figurions. En face du nom de la revue : on pouvait lire un mot : “interface”. Quel beau mot que celui-là !

Et comment mieux résumer qu’avec ces deux mots “liaison” et “interface”, ce qu’est la fonction de notre revue depuis sa création.
“Liaison” car nous tentons de créer du lien entre des enseignants désireux de réfléchir sur leurs pratiques et les faire évoluer et qui se sentent souvent isolés dans leurs établissements. Nous essayons de faire connaître les initiatives et les expérimentations menées dans tous les niveaux d’enseignement, dans toutes les classes. C’est ce qu’écrivait déjà le fondateur de la revue, François Goblot dans l’éditorial du premier numéro qu’on peut retrouver dans le “collector” (supplément au n°500) qui rassemble quelques textes marquants : « L’équipe de rédaction est constituée par les lecteurs eux mêmes, écrivait-il, Faites nous part de vos expériences. Soyez concis, précis et pratiques. Ne ménagez pas les détails concrets. Ainsi les essais que aurez faits dans l’enceinte de vos classes ne seront pas réservés aux bénéfices de vos seuls élèves »
“Interface” car notre fonction est aussi de faire connaître l’état de la recherche et la réflexion des chercheurs sur les thèmes des dossiers que nous choisissons de développer. Sans avoir la prétention de nous présenter comme une revue scientifique, ni même au sens strict une revue de vulgarisation, nous essayons de donner à nos lecteurs des éléments pour nourrir leur réflexion et leur action. Si nous ne sommes pas (que) une revue de vulgarisation, c’est aussi parce que l’on donne une vraie place et valeur aux récits et analyses des pratiques. Notre revue a vocation à organiser la circulation entre les différents savoirs.
Lors de la concertation pour la refondation de l’École que vous avez organisée, Monsieur le Ministre, et à laquelle plusieurs de nos responsables ont participé activement pour ma part, j’étais à l’atelier 4 “Des personnels formés et reconnus”. Parmi les nombreux thèmes abordés, il y a eu évidemment celui de la création des ESPÉ. De nombreux participants considéraient que ceux-ci devaient avoir un lien fort avec la recherche. Et certains proposaient de créer des revues pour populariser les travaux des chercheurs auprès des enseignants. En oubliant que cette revue existe déjà depuis 1945… En oubliant aussi qu’elle sert de support de formation depuis bien longtemps !

philippe_discours.jpgMais notre revue est aussi depuis sa création et aujourd’hui avec le site qui la complète, un espace de propositions et de débats sur la politique éducative. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous vous proposons aujourd’hui cette journée de réflexion sur la place de la pédagogie dans le débat public, les médias et les réseaux sociaux.
Je voudrais donc, pour poursuivre cette brève introduction, dire quelques mots sur ce qui se joue aujourd’hui dans le système éducatif. Sans en faire une tribune politique je voudrais réaffirmer quelques principes et rappeler notre place singulière dans ce débat. Car lorsqu’on a comme devise inscrite sur la couverture depuis 1976 “changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école”, on comprend aisément que ce qui nous fait agir, c’est la transformation de l’École.
J’ai rappelé tout à l’heure le contexte de la naissance des Cahiers Pédagogiques. Je pourrais aussi évoquer bien d’autres moments comme 1963 où le CRAP lors de sa création publie un manifeste qui reste aujourd’hui d’une grande modernité. Dans la période plus récente, nous avons souvent été à l’origine de déclarations, d’appels et de manifestations où nous défendions nos idées. En 2004, un texte à notre initiative signé par de très nombreuses organisations s’intitulait “Pour la réussite de tous les élèves, faisons avancer l’école”, en 2007, nous donnions comme titre à nos assises “résister et proposer”, en 2009 “Changer l’école, avec les enseignants”. En 2011, dans la perspective des présidentielles nous avons élaboré dans nos troisièmes assises des propositions “pour une école plus juste et plus efficace”. Plus récemment encore, nous avons créé avec d’autres organisations, un collectif pour défendre le socle commun et son ambition démocratique.
Ces propositions, cette volonté de faire évoluer l’École nous la partageons avec de nombreuses associations complémentaires et mouvements pédagogiques que je tiens à saluer ici. Ces organisations s’inscrivent aujourd’hui dans un collectif des associations partenaires de l’École (CAPE) qui aura l’honneur de vous retrouver Monsieur le Ministre, le jeudi 22 novembre lors du salon de l’éducation.
C’est aussi dans ce cadre que nous avons participé avec enthousiasme et optimisme à la concertation pour la refondation de l’École que vous avez initiée. Nous étions présents dans la plupart des ateliers et nous avons produit des contributions sur tous les sujets. Nous croyons en effet à la capacité des acteurs de l’École à se saisir des marges de manœuvre pour faire évoluer le système. Nous avons en partage, Monsieur le Ministre, une idée positive de l’École.
Mais nous savons aussi qu’en France, on est prompt à juger d’une politique ou d’une idée avant même qu’elle soit appliquée. L’expérimentation, l’innovation est souvent difficile lorsqu’elle est confrontée à l’ « esprit de critique » (pour reprendre une expression de Claude Lelièvre) et à tous ceux qui préfèrent les grands discours et l’attente d’un grand bouleversement aux progrès quotidiens. Lors de votre discours dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, Monsieur le Ministre, vous nous appeliez à “fatiguer le doute et [à] montrer qu’un pessimisme français, qui fait tant de ravages dans notre Nation et qui se permet de sacrifier tellement de notre jeunesse, peut être vaincu. ”

“Fatiguer le doute”, c’est ce que modestement, nous essayons de faire avec notre revue. Face aux « docteurs tant-pis » qui affirment que “ce n’est pas faisable”, “pas transposable” que “ça ne marchera pas”, nous opposons la force de l’exemple, des analyses des pratiques pédagogiques d’enseignants qui, au quotidien, travaillent dans leurs classes, leurs établissements, pour une école plus juste et plus efficace.
Refonder l’école pour la rendre « plus juste et plus efficace » nécessite de tenir compte des contraintes, mais aussi d’arbitrer entre des logiques et des intérêts qui peuvent être divergents. Pour nous, la priorité doit aller à des décisions qui favorisent les apprentissages des élèves et en particulier les plus fragiles avant tout autre considération Nous faisons nôtre cette belle affirmation du rapport « la refondation sera pédagogique ou ne sera pas ».
Nous interprétons votre venue à notre journée de réflexion et de célébration comme le signe fort que vous partagez avec nous cette conviction. Nous sommes très honorés de vous accueillir ici dans cet amphithéâtre de la MGEN pour l’ouverture de cette journée. Nous vous en remercions.

peillon_philippe.jpgJe clos cette intervention par des remerciements qui vont d’abord à la MGEN qui nous accueille et qui a largement contribué à ce que cette manifestation puisse se dérouler ici. Un merci tout particulier à Jérôme Calmels et bien sûr à Roland Berthillier.
Je remercie également nos partenaires de l’Association des Journalistes Éducation et Recherche (Ajé) qui se sont associés avec dynamisme à notre proposition de réflexion commune. Je tiens particulièrement à remercier Isabelle Maradan, la secrétaire générale de l’Ajé qui a initié les entretiens avec de nombreuses personnalités sur le blog de l’association. Malgré son absence, elle est présente par sa forte contribution.
Je voudrais associer aussi à mes remerciements la troupe d’ « Entrées de jeu » et son directeur Bernard Grosjean qui nous ont déjà accompagné tant de fois dans nos évènements. Ils proposeront cet après-midi aux participants de s’impliquer dans un théâtre-forum sur un thème d’actualité : l’évaluation et la notation.
Mes remerciements vont aussi à tous ceux qui, au sein du CRAP-Cahiers Pédagogiques ont œuvré pour la réussite de cette journée et la réalisation du numéro 500. Je ne peux les citer tous, mais je salue particulièrement Nicole Priou et Patrice Bride qui ont co-coordonné le n° 500. Je remercie aussi Christine Vallin qui a organisé avec tant de talent une communication inventive autour de cette journée. Elle est la cheville ouvrière avec Jean-Michel Zakartchouk de l’organisation de cette journée. Un grand merci enfin à Thierry Foulkes qui a réalisé les vidéos qui vous seront projetées. Merci aussi à Jack Koch qui réalisera des dessins en direct tout au long de cette journée.

Merci enfin à vous tous qui êtes venus en ce début de vacances d’automne pour nous accompagner et participer à cette réflexion sur la place de la pédagogie dans le débat public et dans les médias. « le mot “pédagogique” n’a pas toujours bonne presse, déplorait Gustave Monod dans le numéro de novembre 1946, Il fait sourire ou il irrite. Il est laid et prétentieux : “pédagogie” et “pédantisme” ont même racine » poursuivait-il.
Et si nous faisions mentir un de nos fondateurs en montrant aujourd’hui que la pédagogie est modeste et belle à la fois et qu’elle mérite une meilleure place dans les médias ? Sans oublier une revue pour la soutenir !
Pour finir vraiment, je vais vous faire une révélation… Nous ne fêtons pas le 500e numéro de la revue, mais le numéro 500 de la série en cours. Il s’agit en fait de la 637e publication depuis 1945 !
Je vous remercie.

Philippe Watrelot

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28 octobre 2012