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Familles populaires – L’accompagnement du travail scolaire à l’épreuve de l’entrée au collège

Le travail à la maison est rarement un travail solitaire[[Pour toutes les données quantitatives qui figurent en introduction, nous nous référons aux travaux de M. Gouyon, « L’aide aux devoirs apportée par les parents », Insee Première, n° 996 – Décembre, 2004.]] : en primaire ou dans les premières classes du collège, un enfant reçoit pour faire ses devoirs, en moyenne, près de vingt heures d’aide chaque mois de la part de ses parents. S’il est vrai qu’une partie des parents, très peu ou pas scolarisée, est dans l’incapacité de prendre pédagogiquement part au traitement des devoirs, le taux de ceux qui aident leurs enfants en dépit d’un faible niveau d’études reste cependant très élevé ; c’est d’ailleurs dans les familles culturellement les moins favorisées que les devoirs sont les plus longs et que les mères y consacrent le plus de temps. Gagnées par la montée de la préoccupation scolaire (Lahire, 1995 ; Périer, 2005), acquises à l’idée que la réussite scolaire se joue de plus en plus hors de l’école, les familles populaires (dès lors qu’elles disposent des ressources minimum et du temps nécessaire) se mobilisent massivement pour tenter de peser sur le destin scolaire de leurs enfants. L’implication pédagogique de ces parents, des mères le plus souvent, ne se limite d’ailleurs pas au seul accompagnement du travail hors la classe ; dans une logique de surscolarisation qui se fonde sur une forte croyance en « l’équivalent-travail », c’est-à-dire en un postulat de proportionnalité de la réussite par rapport à la quantité de travail fourni (Barrère, 1997), certains n’hésitent pas à prescrire d’eux-mêmes du travail « en plus » (Glasman, 2005).
Les parents des catégories populaires sont donc fortement mobilisés autour du travail scolaire mais ne disposent évidemment pas des mêmes ressources culturelles que ceux appartenant aux classes moyennes et supérieures. Dès le primaire, un parent sur cinq (toutes catégories confondues) a l’impression, assez souvent ou très souvent, de ne pas avoir les connaissances nécessaires pour aider son enfant ; ce sentiment est très étroitement corrélé au niveau scolaire puisque plus de 50% des mères peu ou pas diplômées ont l’impression de manquer de connaissances. À l’entrée en 6e, ce sentiment d’incompétence s’accroît fortement en raison du saut qualitatif que suppose le passage du 1er au 2e degré : les mères peu ou pas diplômées sont alors 80% à se sentir plus ou moins « dépassées ». Un certain nombre d’entre elles « décroche » à cette occasion mais, consciente des enjeux liés à la réussite de cette transition qui s’apparente à un passage à risque pour les enfants dont les acquis sont les plus fragiles, la grande majorité « persévère ». Dans quelles conditions s’amorce ce « décrochage » ou encore s’organise le maintien de l’encadrement pédagogique familial ? Quelles formes de délégation peut-on voir à l’œuvre, à l’interne et à l’externe ? Dans le cadre de cette contribution[[Ce texte s’appuie sur une enquête qualitative en cours de réalisation (thèse de doctorat, Université Paris 8, dir. P. Rayou). Les données auxquelles nous nous référons ont été recueillies au moyen d’entretiens et observations. Nous disposons à ce jour des cas d’une quinzaine de familles. ]], nous nous proposons d’examiner quelques aspects singuliers de cette « liaison », qui prend parfois la forme d’une « dé-liaison », à partir du cas d’Augustine et de sa nièce, Précila, scolarisée en classe de 5e dans un établissement ZEP situé dans une commune populaire de la petite couronne parisienne. À travers l’étude de ce cas, qui présente des traits assez largement généralisables aux autres familles enquêtées, nous voudrions mettre en évidence les tiraillements et les arbitrages qui s’opèrent à l’occasion ce passage qui met fortement à l’épreuve les logiques familiales d’accompagnement du travail scolaire.

« Décrocher » des apprentissages à l’entrée au collège mais « garder la face »

Originaire des Antilles, Augustine (61 ans, aide-soignante à la retraite) élève trois de ses neveux et nièces, dont Précila (14 ans), qui vit avec elle depuis de nombreuses années et a développé précocement des difficultés d’apprentissage. Augustine a accompagné la scolarité primaire de sa nièce avec une attention scrupuleuse, suivant de façon systématique le traitement de ses devoirs et prescrivant régulièrement du travail « en plus ». Les années de scolarisation primaire de Précila sont décrites par la tante comme une période de collaboration pédagogique harmonieuse avec les enseignants : c’est l’encadrement pédagogique intensif dont Précila a bénéficié à la maison qui, conjoint aux efforts des enseignants, lui aurait permis de progresser tout au long de sa scolarité et d’achever son CM2 avec des résultats somme toute honorables. La légitimité de l’intervention d’Augustine ne semble faire aucun doute puisque les enseignants eux-mêmes ont régulièrement requis ses services :
Augustine : Parce que la maîtresse à l’école (…), [elle me disait] : « M’dame Caron, vous voulez aider Laura [une autre de ses nièces] à mémoriser ses chiffres et à travailler l’orthographe un petit peu ? Parce que vous en êtes capable, on m’a dit… Parce qu’on a fait une table ronde et les professeurs ont dit que vous étiez capable, que, quand vous preniez les enfants, les enfants étaient vraiment machins…
Enquêtrice : Progressaient ?
Augustine : Progressaient beaucoup beaucoup et vite encore. (…) Pour Précila, c’était comme ça aussi. Une table ronde pour me dire que ça n’allait pas dans telle matière (…). On m’a dit est-ce que je pouvais l’aider.

Nous ne disposons pas des données nécessaires à l’évaluation rigoureuse de cette collaboration mais formulons cependant l’hypothèse que cette coopération, dotée d’une grande efficacité sociale (Rayou & Ripoche, 2008), n’est sans doute que très partiellement rentable sur le plan cognitif dans la mesure où l’encadrement familial porte essentiellement sur l’apprentissage, l’inculcation, de savoirs « mécaniques » et participe donc indirectement – par son efficacité même – à masquer l’ampleur des autres difficultés, notamment réflexives, que rencontre Précila. C’est d’ailleurs sur la base des nombreux progrès réalisés par la jeune fille en la matière que la possibilité d’une orientation en SEGPA a été écartée en fin de CM2 : « J’ai dit non (…) et la maîtresse disait : « je ne suis pas d’accord pour la SEGPA, c’est elle qui mène la classe en grammaire ! (…) Elle monte en Maths, elle fait les additions, les soustractions, les divisions, les multiplications mais en problème, elle n’est pas bonne ». Mais y avait que le problème ». Quelle que soit l’efficacité réelle de cette collaboration pédagogique, Augustine, confortée par les progrès substantiels de Précila et par la reconnaissance des enseignants, conduit sa nièce au terme de sa scolarité primaire avec le sentiment du travail bien fait et du devoir accompli.
Mais le saut qualitatif que suppose le passage de l’école primaire au collège confronte très rapidement la tante aux limites des ressources dont elle dispose pour accompagner sa nièce. Issue d’une famille de cultivateurs pauvres et analphabètes, Augustine a mis fin à sa scolarité secondaire, en classe de 3e, contrainte de seconder sa mère dans la gestion du foyer et l’éducation de la nombreuse fratrie dont elle est l’aînée. La tante est non seulement faiblement diplômée mais elle a aussi effectué sa scolarité à une époque où l’enseignement secondaire – quoiqu’en dise les tenants du discours de la « baisse de niveau » – n’avait pas nécessairement les même exigences. Si Augustine rapporte fièrement avoir pu « mener jusqu’au bac » ses frères et sœurs, elle peine aujourd’hui à conduire sa nièce au terme de sa première année de scolarisation secondaire. La confrontation aux exigences du collège engendre donc, tout d’abord, une raréfaction de l’accompagnement du travail de Précila, qui s’en trouve pour le moins déstabilisée. C’est seule que la jeune fille doit faire face au dévoilement progressif d’une « non-conformité scolaire » (Bonnéry, 2007), jusqu’alors relativement masquée.

Du statut valorisant de « parent » d’élève responsable qui entretient des rapports de connivence pédagogique avec les enseignants, Augustine déchoit alors à celui de parent « défaillant », au même titre que ce père stigmatisé dont elle rapporte le cas :
Un professeur m’avait dit une fois…, je n’oublierai jamais ça. Je lui ai dit [au sujet d’un camarade de classe de Précila] : “écoutez, cet enfant a des problèmes, mais vous savez que les parents sont magrébins, la maman parle arabe. Le papa parle arabe, c’est pas évident”. Il m’a dit… Le professeur a répondu : “le papa parle le français, il n’a qu’à s’occuper de son enfant”. Alors que le monsieur est tout seul à travailler mais la femme, la dame, elle sait pas lire, elle sait pas écrire et elle parle que l’arabe ! Alors, moi, j’ai pas répondu mais c’est pour vous dire que vous devez vous occuper de vos enfants.

Pour arbitrer le conflit qui l’anime – entre impératif moral (« il faut s’occuper de ses enfants ») et « incapacité » intellectuelle – mais aussi pour garder la face vis-à-vis d’elle-même, de sa nièce, des enseignants ou encore de l’enquêtrice qui l’interroge, Augustine reconstruit l’histoire de ce « décrochage » en avançant l’idée qu’elle était alors confrontée à la nécessité impérieuse de venir en aide à un autre de ses neveux : « l’année dernière [durant l’année de 6e de Précila], j’avais pas le temps, j’avais Johnny à rattraper, il fallait que je rattrape Johnny ! (…) Que Johnny. En CM1. Parce que moi, j’ai tout fait sur Johnny. Johnny, Johnny, Johnny, Johnny et elle [Précila] s’est débrouillée toute seule ». En se confiant et en menant à bien une nouvelle mission, Augustine restaure pleinement son image : « à la fin de l’école, Johnny est sorti avec 17 virgule (…) dans toutes les matières ! ». Au moment où nous réalisons cet entretien, Précila vient de faire son rentrée en classe de 5e et sa tante vient, quant à elle, de se fixer le nouvel objectif de venir au secours de Laura (CM1), qui « l’année dernière, a fait toute seule parce que y avait le frère ».

Déléguer mais perdre le contrôle sans garantie d’efficacité

Une autre façon de résoudre le conflit qui anime Augustine consiste à confier à un tiers la tâche d’accompagnement de sa nièce. Parmi les parents enquêtés, un certain nombre a opté pour un système de délégation à l’interne, confiant cette responsabilité à un aîné disposant de davantage de ressources. Ainsi Fathia (49 ans, employée de caisse) s’est-elle, depuis l’entrée de sa fille en 6e, complètement désengagée du suivi pédagogique de sa scolarité au profit de son aînée (20 ans, niveau bac, employée). Cette mère, qui ne maîtrise que partiellement le français écrit, continue de suivre de près le travail de son plus jeune enfant, scolarisé en CE1, mais ne se limite plus qu’à des contrôles d’ordre « symbolique » en matière de travail collégien. Lorsque les configurations familiales ne permettent pas ce type d’arrangement, reste la possibilité de déléguer à l’externe en recourant aux différents dispositifs institutionnels d’accompagnement scolaire. Opter pour cette solution ne relève pas nécessairement de l’évidence pour tous les parents ; certains enquêtés se refusent à endosser le stigmate qui y est associé – « c’est pour les mères africaines qui ne parlent pas le français », souligne Mounia (42 ans, garde à domicile) et se montrent méfiants vis-à-vis de dispositifs qu’ils jugent souvent peu individualisés, peu professionnalisés (même lorsque qu’il s’agit d’études organisées par l’institution scolaire, ils déplorent l’absence des enseignants) et pas suffisamment contraignants. Nombreuses sont les familles rencontrées qui ont tenté l’expérience de l’externalisation du travail mais ont finalement procédé à sa réintégration.
Le cas d’Augustine et de Précila est, à ce titre, encore particulièrement significatif. Durant l’année de 6e, la tante incite sa nièce à prendre part au dispositif d’aide aux devoirs que propose le centre social du quartier mais Précila n’y reçoit pas l’aide attendue : « moi, j’avais pas le temps, j’avais Johnny ! Et, je disais : “mais descends, va en bas, va en soutien, va en soutien !” (…) mais ils faisaient rien là-bas ! ». Pour Augustine, l’inefficacité du dispositif tient surtout au manque de sérieux des encadrants qui ne prennent pas suffisamment à cœur leur rôle de substituts parentaux. Pour s’assurer que la tâche qu’elle leur confie soit bien remplie, Augustine n’a d’autre choix que de se rendre elle-même sur place : « au soutien, chaque fois qu’elle rapportait une bonne note, c’est quand je descendais et je disais au monsieur [à l’encadrant] : “je ne comprends pas, je vous paie[[Ce texte s’appuie sur une enquête qualitative en cours de réalisation (thèse de doctorat, Université Paris 8, dir. P. Rayou). Les données auxquelles nous nous référons ont été recueillies au moyen d’entretiens et observations. Nous disposons à ce jour des cas d’une quinzaine de familles. ]] mais je ne vois pas Précila [travailler]”. Alors, le monsieur, il se mettait… Tout de suite y avait un qui l’aidait ! ». Nous avons pu assister à quelques-unes de ces séances d’aide aux devoirs et il est bien évident que les étudiants qui les encadrent – au regard de leur absence de formation pédagogique, du nombre de participants et de l’ambiance qui règne[[Les séances d’aide aux devoirs s’organisent, en effet, en deux temps : un premier temps est dévolu au traitement du travail scolaire et un second est consacré à des activités sportives ou de détente. L’organisation même du dispositif incite donc fortement les participants à se débarrasser au plus vite de leurs devoirs pour aller jouer et se détendre.]] – peuvent certes procéder à quelques réajustements cognitifs de surface mais ne peuvent en aucun cas venir réellement en aide à un enfant ou un adolescent en grande difficulté scolaire. Il est d’ailleurs fort peu probable que la seule présence in situ d’Augustine aie pu avoir pour conséquence immédiate la réussite d’une épreuve scolaire, il s’agit d’un nouvel exemple de cette forte croyance en « l’équivalent-travail » qui caractérise la tante. L’expérience de l’externalisation s’avère donc peu concluante ; pour le peu de « soutien » que reçoit Précila et pour toute la dispersion scolaire qu’il lui en coûte (« Précila avait une copine qui s’asseyait à côté d’elle et ça parlait et ça parlait et ça parlait »), le calcul est fait : « cette année, Précila, elle va pas en soutien ! ».

Persévérer mais à contre courant des logiques scolaires

Au terme de sa première année au collège, une orientation en SEGPA est proposée à Précila mais sa tante s’y oppose, convaincue que l’échec de sa nièce n’est imputable qu’à ses défaillances d’accompagnante. Ne pouvant se résoudre à « décrocher » complètement et ne pouvant confier le suivi de son travail aux étudiants du centre social, Augustine n’a d’autre choix que de « reprendre du service ».
Puisqu’elle n’est plus en mesure de proposer à sa nièce des remédiations, Augustine se focalise sur une des seules fonctions de l’aide parentale qui ne requiert pas d’expertise pédagogique, à savoir la répétition des leçons. La veille de notre entretien, Précila a travaillé en classe sur la « progression thématique du récit », un point du programme emblématique de la forte spécialisation qui caractérise les savoirs secondaires. Des devoirs prenant la forme d’exercice d’application ont été prescrits : « [la prof] m’avait dit de commencer ça en classe, mais, moi, j’arrivais pas (…), j’avais rien compris et j’ai demandé si elle pouvait m’expliquer et elle était énervée, elle m’a pas expliqué ». De retour à la maison, Précila tente de se mettre au travail et demande de l’aide à sa tante qui peine elle aussi à comprendre la leçon :

Augustine : [Faisant référence au premier exercice] parce que y avait trois récits et moi j’avais lu comment qu’on expliquait l’autre récit [celui donné en exemple dans la leçon]. J’ai dit… Alors, moi, d’après le récit qui était devant moi, je lui ait dit : “regarde quelque chose, là, elle te parle de ça ; ça, c’est le début ça”. J’ai dit : “après, elle te montre la progression au fur et à mesure… ” mais j’ai pas fait tout le devoir de Précila ! J’ai dit : “Précila essaie de comprendre, mets-toi à la place de l’auteur, essaie de comprendre”. Alors, elle s’est mise à lire, à lire, à lire, à lire.

Augustine parcourt la leçon mais n’est pas mesure d’entrer dans sa logique comme en atteste l’évidente confusion et imprécision de ses propos. Dans un premier temps, elle recommande à sa nièce d’essayer de comprendre par elle-même la leçon. Mais, comme Précila est toujours dans l’incapacité de faire ses devoirs, Augustine finit par re-prescrit la tâche première en une tâche secondaire, qui se trouve cette fois à la portée de la jeune fille :

Augustine : Je lui ai dit de commencer à apprendre la leçon (…) mais comme Précila, c’est un enfant qui est têtu et qui veut pas apprendre la leçon, il faut que je sois tout le temps à côté de Précila ! (…) Ce midi encore, je vais prendre Précila et je vais lui dire : “la leçon que je t’avais dit. Viens à côté de moi, viens, on va le lire, tu vas me montrer la leçon puis il faut apprendre la leçon parce que [tapant du poing sur la table] si tu n’apprends pas ta leçon, tu ne peux pas arriver à quoi que se soit ! ». Et, tout le temps, je suis à côté de Précila comme ça !

La re-prescription la tâche permet à la tante comme à la nièce de s’acquitter de leurs devoirs (d’accompagnante ou d’élève) mais cela ne va sans un lourd « coût psychologique » car on imagine aisément ce que peut avoir d’éprouvant le fait d’apprendre ou de faire apprendre une leçon qui ne fait pas sens.
N’étant plus en mesure d’aider à la réalisation du travail prescrit par les enseignants, Augustine persévère également en prescrivant quantité de travail en plus : « ma tante, elle crie toujours sur moi pour lire. Tout le temps, elle me fait… Tous les matins, elle me fait : « réveille-toi pour lire, réveille-toi pour lire ». À l’aide de manuels qu’elle conserve précieusement du temps de sa propre scolarité, Augustine espère « reprendre en main » sa nièce et lui faire regagner les bases qu’elle aurait perdues depuis son entrée au collège. Nous avons pu observer l’une de ces séances de lecture dont l’objectif est faire accéder Précila à une parfaite maîtrise de la lecture oralisée, maîtrise dépourvue de toute considération pour le sens des textes comme en témoigne les « négligences » de la tante (la syntaxe, la ponctuation) mais aussi ses attentes incongrues (Précila doit lire « en mettant le doigt », prononcer tous les « e » muets afin de « mémoriser l’orthographe des mots » etc.). Nous avons pu en conclure (Kakpo, 2009) que, loin de remédier aux difficultés de sa nièce, ces séances participaient sans doute aux renforcements des malentendus déjà constitués chez Précila au sujet des processus intellectuels qu’il convient de mobiliser pour lire et comprendre un texte.

L’institution scolaire, en appelant les familles des quartiers populaires à « s’impliquer » dans la scolarité de leurs enfants, encourage des formes de mobilisation dont elle ignore le plus souvent les logiques et les effets. Le cas d’Augustine nous semble emblématique du conflit dans lequel se trouvent placés les parents les moins favorisés sur le plan culturel qui, définitivement acquis à l’idée qu’ils sont des partenaires indispensables de la réussite scolaire, se retrouvent inévitablement, à un moment donné de la scolarité de leur enfant, renvoyés aux limites des ressources dont ils disposent pour les aider à réussir. Le passage entre école primaire et collège constitue bien à cet égard une mise à l’épreuve des logiques familiales d’accompagnement.

Séverine Kakpo, Doctorante en Sciences de l’Education – Université Paris 8, CIRCEFT-ESCOL


Références bibliographiques

Barrère, A. (1997). Les lycéens au travail. Paris : PUF.
Bonnéry, S. (2007). Comprendre l’échec scolaire. Paris : La Dispute.
Glasman D. & Besson L. (2004). Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école. Rapport pour le HCEE
Kakpo, S. (2009) « Travail hors la classe : familles populaires, familles hyperpartenaires ? ». In Diversité, Ville-Ecole-Intégration, 156, 98-103.
Lahire. B. (1995), Tableaux de familles. Paris : Gallimard/Seuil.
Périer P. (2005). École et familles populaires. Sociologie d’un différend. Rennes : PUR.
Rayou P. & Ripoche L. (2008). « Le travail scolaire à la maison ». In (van Zanten (dir.). Dictionnaire de l’éducation. Paris : PUF. 664-666.