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Eric Favet : « Faire reculer l’arbitraire de ceux qui voudraient penser pour nous »

 

Éric Favey, secrétaire national adjoint de la Ligue de l’enseignement et membre du Conseil supérieur des programmes, retrace pour nous son parcours scolaire, politique et associatif, à la source de ses convictions et de son engagement au long cours.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance ?

L’image marquante pour moi lorsque je suis en primaire et au collège, c’est celle de mon père instituteur, inspiré de Freinet. L’amicale laïque est très présente, avec des activités culturelles, sportives et solidaires. J’y découvre la diversité sociale, puisque mes copains sont fils d’ouvriers, de postiers, ou issus de classes moyennes.

Ma mère est couturière puis Atsem. Ma chambre est aussi le bureau de mon père, abonné aux éditions Rencontre. Alors je dors entouré de bouquins et je lis tout ce qui me tombe sous les yeux et la main : Bel Ami de Maupassant, et puis La Terre de Zola, Les Fruits de l’hiver de Clavel, ou La Guerre des boutons. Mais aussi le catalogue de Manufrance, Bonne soirée, les journaux ou France Observateur ! Je pense que c’est comme ça que je suis devenu un picoreur.

Et vous avez connu le lycée juste après 68.

Oui, j’ai décidé de partir en lycée agricole, sans doute influencé par le modèle d’un de mes jeunes oncles, ingénieur agricole. Je suis interne. On a avec les enseignants des relations de grande complicité mêlée d’autorité intellectuelle, et des discussions littéraires et politiques enflammées. Mon entrée politique à moi passe par les mouvances libertaires, via le Larzac, la défense des droits des agriculteurs, l’antimilitarisme au moment du Vietnam et une vague de manifestations en 72-73.

Je suis président de l’association des élèves, dans des activités débordantes : nous faisons les vendanges, tondons des moutons pour récupérer des fonds et organisons des soirées et évènements forts : Ferré est même venu au lycée ! Les débats autour de la contraception, du droit à l’avortement sont intenses. Je décide que je ne serai pas ingénieur agronome. Je veux devenir professeur d’éducation socioculturelle.

Et après le lycée ?

Je vais en sociologie à Dijon. Plus exactement, je mets les pieds deux jours en amphi, et je plonge dans l’alphabétisation dans un bidonville en bordure de Dijon et continue mes activités militantes. À 17 ans, je découvre l’autonomie complète, je fais les marchés, je suis pion dans un lycée agricole, puis maitre d’internat à Vesoul quand je change de fac, où je ne vais toujours pas. On me donne des heures d’action culturelle, avec organisation de débats de société. J’entre aussi au conseil d’administration de la fédération de la Ligue et je découvre que l’on peut devenir professeur d’éducation socioculturelle en devenant instituteur. C’est ainsi que j’intègre l’école normale de Vesoul. Je m’investis beaucoup dans la fédération de la Ligue et à 20 ans, en 1975, on me propose un poste de responsable culturel, chargé d’un bibliobus qui passe sur 350 communes, de diffusion culturelle dans dix communes, des cinéclubs, etc. Je ne suis pas préparé, mais j’en envie de le faire. C’est l’envie qui, depuis ce temps, a continué de m’animer au sein de la Ligue.

Si vous deviez tirer trois fils, de votre enfance jusqu’à ce jour, quels seraient-ils ?

Je pense d’abord à ce côté picoreur que j’ai attrapé dans le bureau-bibliothèque de mon père qui a fait de moi un lecteur tous azimuts de journaux, revues, plus encore que de livres. Et si j’ai par exemple puisé la sève d’une conscience politique dans L’Homme révolté de Camus, je n’ai pas de grands auteurs de prédilection.

Ensuite, l’insoutenable de l’injustice et de l’arbitraire me conduit depuis toujours, avec une question obsédante à laquelle je tente de répondre : pourquoi les injustices perdurent-elles dans nos sociétés qui pourtant globalement progressent ? L’école en est un exemple désespérément flagrant. Il s’agit alors, face à ce problème, tout à la fois de ne pas s’insensibiliser, de ne pas s’habituer, de lutter donc contre toute forme d’accoutumance ; et de lutter aussi contre un sentiment de fatalité qui conduirait à baisser les bras. La démocratie me parait être le meilleur rempart, propre à faire reculer l’arbitraire de ceux qui voudraient penser pour nous.

Enfin, j’ai eu la chance, depuis mes 15 ans, de croiser des gens exceptionnels, comme le général de Bollardière lors d’une soirée débat, ancien résistant, catholique, qui a refusé la torture en Algérie au nom de sa foi. Voilà une figure qui fixe des repères. Je pense aussi, beaucoup plus tard, à ma rencontre avec Jovan Divjak, qui a organisé la résistance à Sarajevo de 1992 à 1995. Un homme rayonnant, qui nous a montré la ville, nous racontant comment les snipers tiraient sur les habitants assiégés.

Mais au-delà de ces rencontres extraordinaires, je suis toujours curieux, et happé par les gens autour de moi : je les regarde vivre. Je tente de lire ce qui se cache derrière leurs gestes, les meilleurs et les pires aussi. Je suis particulièrement fasciné par le savoir-faire. Ce matin, c’était devant la précision de grutiers, dans un véritable ballet aérien. Pour moi aucune rencontre n’est insignifiante. Chacune me nourrit.

Propos recueillis par Christine Vallin

Article paru dans notre n°515, Vers l’école du socle commun, coordonné par Francis Blanquart, Céline Walkowiak et Jean-Michel Zakhartchouk, septembre-octobre 2014.

La loi de la refondation a réaffirmé le socle commun. Ce dossier veut mutualiser les expériences et réflexions menées sur le terrain. Nous touchons là à un rôle fondamental de l’école : Que s’agit-il d’enseigner ? Dans quel objectif ? Qui pour le faire, dans quel cadre ? Dès maintenant, des réponses…

https://www.cahiers-pedagogiques.com/no-515-vers-l-ecole-du-socle-commun/