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Faire des sciences : quels enjeux ?
Un enfant de cinq ans est passionné par les questionnements sur les phénomènes du monde ; à dix ans, ses capacités de raisonnement et de langage lui permettent de pratiquer « sérieusement » une démarche de recherche en sciences. À quinze ans, cet intérêt semble perdu pour beaucoup. Pourquoi ?
Aujourd’hui soulevée par de nombreuses disciplines scolaires, la question du sens est singulièrement pertinente dans le cas de l’enseignement des sciences physiques et chimiques (SPC). Les évolutions et interrogations autour de cette discipline lors des vingt dernières années révèlent un état qui ressemble bien à un état de crise. Révélatrices de son acuité sont les multiples reconfigurations des programmes de SPC depuis vingt ans. Si la contribution des SPC à la formation du citoyen de demain est affirmée par leur présence dans le socle commun, le dernier projet en date a bien failli faire disparaître les sciences expérimentales du tronc commun en 2de. Révélateur aussi, le constat fait depuis deux décennies de la désaffection des étudiants dans les filières scientifiques, particulièrement en physique. À cela s’ajoutent les interrogations des professeurs de terrain qui constatent une baisse de l’intérêt des élèves pour l’enseignement de sciences au long de leur scolarité.
Avec la massification de l’enseignement secondaire, les enjeux de l’enseignement des sciences se sont déplacés. Il ne s’agit plus seulement de former des scientifiques, mais de fournir une culture scientifique à tout citoyen – ce qui suppose une réflexion de fond, comme le demande Hervé Grau dans le texte qui clôt le dossier. On ne se préoccupe plus aujourd’hui de la seule connaissance scientifique, mais de culture scientifique : ce qui relie, et donc qui fait sens. Faire sens en sciences, c’est d’une part faire comprendre en profondeur les démarches et les contenus – de façon à munir de véritables outils et non d’un simple vernis – d’autre part faire saisir la place qu’a la science dans la culture humaine.
Comment ? Ce dossier explore la question par trois entrées.
La première partie se propose de réfléchir à la place de l’expérimentation dans les apprentissages en SPC : une place centrale mais un rôle toujours interrogé, à travers les discours officiels (Hulin), comme dans la réflexion sur les apprentissages en classe (Astolfi, D’Ham, Lauginie). Les programmes actuels préconisent la « démarche d’investigation » (Robardet, Boilevin) ; enseignants, chercheurs, inspecteurs explorent cette entrée ainsi que d’autres : situations-problèmes (Lanfrey), y compris en maternelle (Cagnon), difficultés et mise en œuvre d’une démarche expérimentale basée sur l’investigation (Buffière, Despres, Francony), pistes pour permettre à chacun d’entrer en sciences (Aldebert, Hafi-Mével, Médout-Marère-Schmitt), ateliers scientifiques (Jeanjacquot), apports d’une approche par compétences (Courtillot), formation des enseignants (Aldebert, Riassetto, Lauginie).
Le socle commun, à la construction duquel toutes les disciplines sont appelées à contribuer, obligera aussi à avoir une vision plus large de ce qui se fait dans le cours de sciences : des séances de sciences pour apprendre les sciences, mais pas seulement. Il ménage par exemple une vraie place pour l’argumentation, pour le débat entre élèves ; il permet de mettre les élèves dans des situations où ils sont eux-mêmes producteurs, et surtout émissaires des connaissances (Glatz, Houlette).
Les enquêtes Pisa révèlent un défaut de culture scientifique chez les étudiants français (Coppens). Ce alors même que les indications pour une intégration des SPC dans la culture (histoire des sciences, formation du citoyen amené demain à faire des choix impliquant des éléments scientifiques…) se multiplient dans les textes officiels. La seconde partie de notre dossier, « Mettre la science en culture », explore diverses pistes pour faire de la science un élément de culture : travailler explicitement la dimension épistémologique (Coince), en s’appuyant sur l’histoire des sciences (Rosmorduc) et en profitant de la contribution de nos collègues de philosophie (Bachler, David), voire en répétant des expériences historiques (Lauginie), partir à la rencontre des sciences telles quelles se font, sans en masquer « l’aspect rugueux » (Barthélémy), s’appuyer sur de grandes questions d’actualité (proposition de l’Unesco analysée de façon critique par Dupin)…
L’enseignement des SPC est tiraillé par des questions d’identité, déjà abordées dans la deuxième partie et plus particulièrement traitées dans la troisième. Quels objectifs pour les SPC dans le tronc commun ? Quels enseignements fondamentaux en termes de contenus de savoirs et de démarches (Hulin, Robine) ? Quelle participation des SPC à la formation intellectuelle des futurs citoyens ? Quelle participation des sciences au socle commun (Robine) ?
Le morcellement des disciplines est souvent vu comme un obstacle à la perception du sens des apprentissages (Martinet). Face à cela, des tentatives sont faites en vue d’éclairer l’identité des sciences, de les lier entre elles, d’en faire apparaître les spécificités et les complémentarités : rapport des sciences entre elles (Martinet), rapport à l’histoire des idées et à l’épistémologie (Coince, Bachler, David, Bocher), place des mathématiques dans le cours de sciences physiques (Colsaët, Grau) ; tentatives aussi pour faire le lien entre les sciences en classe et en dehors, par exemple à travers la découverte des métiers (Martinet). Certaines de ces tentatives passent par des expériences hardies, qui restructurent le curriculum (Martinet, Bocher).
Au terme de la lecture de ce dossier, nul doute que de nombreuses questions demeureront. Elles nous interpelleront probablement dans notre identité d’enseignants (Lorillot). Espérons qu’elles nous mettront en mouvement, en mouvement vers plus de sens…
Évelyne Chevigny, professeur de sciences physiques et chimiques en collège.