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Faire de la science ?

Au primaire, l’opération La main à la pâte met en avant une démarche pédagogique centrée sur l’exploration et l’expérimentation d’objets ou de phénomènes du monde, et le nouveau programme du cycle 3 valorise l’approche expérimentale.
Au secondaire, les travaux pratiques et la nécessité d’expérimentation sont considérés comme essentiels pour tout enseignement scientifique. Cependant plusieurs difficultés perdurent et aucun consensus ne semble avoir été défini sur les finalités des « expériences » en classe de sciences. Face à ces difficultés, et pour éviter d’avoir à trancher entre des options différentes, certains envisagent de renoncer aux pratiques expérimentales, de favoriser des pratiques essentiellement documentaires, ou d’avoir recours uniquement à des activités de traitement de données.
La polysémie du mot expérience, tout d’abord, peut entretenir une confusion et un flou sur les missions éducatives à accorder aux activités. En français, on relève deux significations sensiblement contrastées, selon que l’on parle d’avoir de l’expérience (cumulation empirique) ou de faire une expérience (validation d’une hypothèse). L’anglais dispose de deux mots différents : experience et experiment. Veut-on désigner l’expérience vécue, c’est-à-dire le sens philosophique experientia de l’épreuve, de l’expérience acquise, de la pratique et du tâtonnement empirique ? Ou bien veut-on désigner l’expérimentation du scientifique, l’experimentum qui se dégage du xvie au xixe siècle, c’est-à-dire la mise à l’épreuve de proposition et la mise au point d’un protocole dans une démarche de validation de modèle théorique ? S’agit-il donc de multiplier des références empiriques ou bien d’envisager un rôle de démonstration dans une construction intellectuelle ? Mais à quoi peuvent bien servir les « expériences » dans la classe de science ?

« Faire de la science » ou « apprendre les résultats de la science » ?

L’article de Jean-Pierre Astolfi montre que l’introduction de l’expérience en milieu scolaire semble venir d’un constat apparemment simple : puisque la connaissance progresse par l’expérience dans le laboratoire de recherche, pourquoi n’en serait-il pas de même à l’école ? L’expérience qui instruit le scientifique ne peut-elle pas aussi instruire l’élève ? Le problème vient du fait que les élèves et les enseignants sont en bout de chaîne, n’ayant à leur disposition qu’un savoir général, désincarné et coupé de sa base problématique. Toute l’activité du scientifique, toute la démarche y a été gommée. Il ne reste que des résultats, des explications à des problèmes qu’ils ne se sont jamais posés. On n’apprend donc pas aux élèves à « faire de la science », on leur apprend, le plus souvent, les résultats et un texte de science.

Dans les labos…

L’entretien avec Michel Morange témoigne que les formes contemporaines de recherche scientifique intègrent de façon très interactive expérimentation, modélisation, mise en œuvre de techniques, démarche d’enquête et observation active. Jamais, en sciences expérimentales, on ne peut concevoir une dualité entre rapport au réel et élaboration théorique, ou une opposition entre théorie et application. Des conceptions dualistes semblent cependant perdurer dans l’enseignement, en particulier dans la façon dont sont abordés les travaux pratiques. Une autre mise en tension provient des aspects sociaux, avec la nécessité d’argumentation dans les débats scientifiques, et le recours à une mise en texte et à une mise en scène d’expérimentation, comme moyens de conviction. Plus généralement, c’est à un travail collectif des « travailleurs de la preuve », selon l’expression de Bachelard, que doit se confronter toute construction de fait scientifique.
Dynamique des démarches, importance des débats et des écrits caractérisent donc des pratiques authentiquement scientifiques, et qui peuvent être mises en œuvre dans les classes, aussi bien à l’école primaire que dans le secondaire, comme en témoignent plusieurs articles.

Dans nos classes…

Dans l’éducation scientifique, la distinction et la coordination d’un registre de familiarisation pratique à la nature, aux objets et aux phénomènes et d’un registre d’élaborations intellectuelles, peut apparaître comme une condition indispensable pour l’approche progressive du monde.

Ainsi, il convient peut-être d’envisager qu’une des missions de l’école primaire se trouve dans une familiarisation pratique des jeunes aux objets et aux phénomènes scientifiques et techniques. Offrir des expériences de base, que l’enfant ne peut plus faire hors de l’école, lui permettre de pratiquer petits élevages et jardinage, développer des pratiques corporelles, permet de constituer une véritable « propédeutique » d’expériences, pour reprendre l’expression de Louis Legrand (1980). Avec cette exploration et cette appropriation du monde, la découverte du vivant et de la matière, la familiarisation pratique à des objets et à des phénomènes, l’élève peut construire une première représentation du monde, mais aussi de se rendre étranger des phénomènes trop familiers, afin de développer un questionnement scientifique et mettre à l’épreuve ses premières représentations. Des pratiques d’investigation empirique pour résoudre les problèmes scientifiques pourront alors peu à peu être proposées, et une initiation à l’expérimentation envisageable.
Au secondaire, les travaux pratiques ont toujours été problématiques, point de vue de « vérification » ou d’ « investigation » étant toujours source de contentieux : « vérification » a souvent été identifiée comme une vue de la science dogmatique, tandis qu’« investigation » privilégiait celle de découverte et de création de savoirs. La recherche scientifique comporte en fait les deux activités. Cependant, un point de vue axé sur les pratiques, sur les aspects matériels et sociaux du travail scientifique et non plus seulement sur des questions de démarche et de rationalité, serait important aussi pour discuter des finalités et des formes scolaires de l’expérimentation.
Et si, finalement, les expériences en classe étaient considérées comme des aventures pratiques et intellectuelles à partager ? Et qu’elles contribuent à faire « l’expérience de l’humain », commente Michel Develay.

Maryline Coquidé, IUFM de Bretagne

Actuellement enseignant-chercheur à l’IUFM de Bretagne, Maryline Coquidé a été institutrice, puis professeur de SVT au collège et au lycée et formatrice d’enseignants pendant plusieurs années à l’IUFM de Rouen. Elle poursuit actuellement des recherches sur des questions de culture scientifique et en didactique de la biologie.