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Faire avec, faire contre

À propos des événements dramatiques qui ont enflammé les banlieues populaires en novembre, il faut une fois encore fustiger la logique binaire qui nous enferme dans des analyses simplistes et dans des impasses de pensée.

Doit-on choisir entre une acceptation résignée de la réalité (« la société française doit reconnaître le communautarisme et renoncer à l’intégration républicaine ») et un volontarisme qui nie la réalité et se réfugie dans les déclarations ronflantes où on se gargarise du mot « République », où on pourfend toute trace de « discrimination positive » ? Faut-il faire avec, ou faire contre ? Probablement les deux.

Quand on enseigne en ZEP, et c’est mon cas, il faut bien prendre en compte la réalité. Celle des réactions impulsives des élèves, toujours prêts à se braquer pour défendre leur « honneur perdu ». Mesurer le poids des mots, donc… Je me souviens de la consternation de mes élèves entendant une jeune collègue qui travaillait en commun avec moi lorsqu’elle s’était énervée en termes grossiers et que, ramenant ainsi son langage au niveau de leur énervement, elle avait quitté son statut d’adulte responsable. Je me bats à chaque fois contre ce raisonnement : « Ils me parlent mal, je leur parle mal. » Oui, il faut faire avec leurs réactions agaçantes, leurs références aux pires émissions de télévision, leur ignorance de mots courants, leurs excuses incessantes pour ne pas faire le travail, etc. Il serait facile de poursuivre cette liste que certains allongent avec mépris, mais ce serait oublier qu’elle ne concerne que certains élèves, dans certaines occasions. Oublier tous ces signes de gentillesse, ces marques de curiosité enthousiaste et d’envie de progresser, ces moments de grâce y compris avec les élèves par ailleurs fatigants ou insupportables.

Faire avec ne veut surtout pas dire tout « supporter », mais relativiser, répondre par l’humour si possible, en tout cas déjouer les provocations.

De même, il faut faire avec la culture des jeunes de banlieue, avec les tentations de renfermement, avec ce sentiment de révolte qui peut mener à des postures de victime justifiant le manque de courage et les pires comportements.

Et en même temps, il faut faire contre. Se battre pour promouvoir une culture qui n’appartient pas plus aux élites qu’à un groupe particulier et qui mène à un certain universel. Choisir d’être un passeur culturel qui aide chacun à s’affranchir des stéréotypes. Tenir bon sur la qualité de notre langue lorsque nous nous adressons aux jeunes, ce qui n’est en rien contradictoire avec le fait de se faire comprendre, d’être clair, soucieux d’explicitations. Être un exemple d’exigence intellectuelle, de curiosité pour le savoir, mais aussi d’enthousiasme, contre les attitudes systématiquement négatives. Et j’ajouterai : à la fois comprendre le malaise, les récriminations des élèves, y compris contre certaines pratiques de collègues, et les inciter à passer outre, plutôt qu’à se complaire dans une atttitude d’auto-excuse permanente. Le but étant que la révolte possible se transforme en volonté d’agir, sur un terrain citoyen, même si c’est difficile, même s’il faut bien mesurer le côté dérisoire, voire angélique, de nos propos.

Deux attitudes à récuser tout autant : diviser le monde des banlieues en bons et méchants, méritants et délinquants sous couvert de défendre inconditionnellement la république bafouée ; ou affirmer qu’au fond, les jeunes n’ont pas tort, malgré les excès, que leur révolte est politique, même inconsciemment, et que les vrais délinquants sont en haut, etc.

Ce n’est qu’en liant le « avec » et le « contre », la lucidité nécessaire et le refus de renoncer aux idéaux et aux valeurs qui sont les nôtres qu’on peut avancer aujourd’hui.

Et ce sera le thème des prochaines Rencontres d’été du Crap-Cahiers pédagogiques !

Jean-Michel Zakhartchouk