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Faire alliance avec les élèves

Depuis plusieurs années, les enseignants de 2de bac pro bois ont constaté des problèmes de gestion de classe importants dès le début de la formation. Les éléments d’explication, souvent croisés, sont les suivants : un manque flagrant de motivation lié au projet professionnel et à une affectation par défaut ; la méconnaissance de la filière bois liée à une image parcellaire et déformée de la matière première de notre formation, le bois, avec des élèves qui ignorent tout du matériau, alors que d’autres le pratiquent à la maison ; des codes scolaires peu intégrés à cause d’une scolarité difficile au collège où les apprentissages ne font pas sens.

Traditionnellement, un cours en classe de 2de se déroule dans l’alignement des établis sur deux ou trois rangées. On donne aux élèves des pièces d’entrainement à tailler à la main, afin de répéter le geste professionnel sur une « pièce poubelle ». Tout le monde fait la même chose en même temps et la production n’est pas valorisée par la suite. Cette méthode permet à l’enseignant de professer son savoir et d’en faire une démonstration parfaite devant un groupe d’élèves novices. C’est aussi un moyen pour lui d’imposer une autorité très stricte, car le moindre écart de comportement est facilement identifiable avec les établis alignés.

Une casquette de manageur

Or, cette méthode ne convient plus du tout à la réalité. Le public accueilli en lycée professionnel est sans cesse en mouvement ou en demande d’aide. Il se dissipe rapidement. Plutôt que de perpétuer cette méthode légèrement archaïque, nous avons désormais, avec mes collègues, l’habitude de travailler par projet. Nous proposons assez rapidement à nos élèves de travailler sur des chantiers clients : pose de parquet, fabrication et pose d’agencements, etc. Cette pédagogie de projet nous permet d’intéresser beaucoup plus les élèves aux fabrications et de les valoriser. Mais nous avons remarqué que ce n’était pas suffisant, car tous ne trouvent toujours pas un sens à leur formation. Il en résulte des problèmes disciplinaires qui mettent à mal l’autorité de l’enseignant et la tranquillité de travail des élèves motivés, et qui entrainent chez certains un vrai décrochage scolaire.

Ainsi, avec quelques collègues, nous avons souhaité faire évoluer la situation positivement en cherchant une solution alternative. Notre idée était de reproduire ce que nous avions tous connu en entreprise dans notre première vie professionnelle, c’est-à-dire se positionner comme chef d’équipe ou gérant d’une petite entreprise qui serait dans le même bateau que ses ouvriers, avec une casquette de manageur. L’objectif ici ne serait pas de livrer un chantier dans les délais pour être payé mais, dans ce cas, de tous les amener, ensemble, à l’examen. Cette méthode nous permettrait d’installer un climat de confiance en mettant en place non pas une autorité basée sur la peur de l’enseignant, mais plutôt un pari sur le respect mutuel. Ce qui signifie pour les enseignants prendre le temps d’apprendre à connaitre leurs élèves, et pour ces derniers, se rendre compte que les enseignants sont là pour les aider et non pour les piéger.

Cette distinction entre ce que je qualifie d’autorité de l’enseignant et d’autorité du chef d’entreprise se situe au niveau de la posture. Si les deux ont une relation hiérarchique avec les élèves ou les ouvriers, le chef d’entreprise partage davantage le travail et les contraintes de son équipe. Un enseignant bienveillant est à la fois cadrant et accompagnant avec les élèves, mais il reste tout de même celui qui maitrise le savoir et le savoir-faire et qui met à disposition de l’élève les ressources pour les acquérir. Un chef d’entreprise représente également la figure d’autorité, mais partage l’expertise avec son équipe. Il n’en est pas le seul détenteur. Nous, enseignants d’atelier, détenons certes l’expertise et la position de l’enseignant, mais souhaitons réduire la distance entre professeurs et élèves, afin de les préparer au travail en autonomie en entreprise. Cela ne nous délégitime pas, au contraire. Nous posons le cadre (sécurité, consignes, compétences, savoirs), nous analysons les capacités de chacun à entrer en activité, nous déterminons les échéances de réalisation, nous veillons à l’acquisition des compétences et connaissances nécessaires à la validation de l’examen, mais laissons davantage le champ libre aux élèves dans la période de réalisation des objets confectionnés, afin qu’ils gagnent en autonomie et en prise d’initiative.

Mise à l’épreuve

Ainsi, après un temps de réflexion, nous nous sommes mis d’accord sur l’organisation d’un séjour de cohésion. Celui-ci devait absolument se dérouler dans les premières semaines de la rentrée, afin de répondre à trois objectifs : créer une identité collective au groupe, travailler sur la motivation inhérente à la profession et poser les bases d’une relation entre élèves et enseignants basée sur la relation d’autorité décrite précédemment. Il nous fallait donc proposer des activités en adéquation avec ces finalités. Nous sommes donc partis quatre jours et trois nuits dans un chalet vosgien en pleine forêt, où nous avons proposé aux élèves des animations basées sur l’entraide et le travail de groupe, à l’image de ce qu’ils vivront au lycée et dans leur future vie professionnelle.

Nous avons commencé, le jour de notre arrivée, entre autres, par les faire jouer au rugby. Un intervenant extérieur est même venu évoquer les usages du numérique et des réseaux sociaux, souvent à l’origine de conflits au sein de la classe. Le sport collectif et les réactions des uns et des autres lors de la présentation nous ont permis d’observer l’attitude des élèves au sein d’un groupe. Par ailleurs, la participation des enseignants à la partie de rugby a permis aux uns et aux autres d’évoluer sans rapports hiérarchiques, et ce, dès le premier jour.

Le deuxième jour, nous leur avons proposé une marche de vingt-et-un kilomètres, en grande partie sur des chemins de montage. Avec cet exercice, épuisant pour certains, nous avons travaillé leur esprit d’équipe en permettant aux plus forts physiquement de soutenir les plus fragiles. Les aptitudes mobilisées ne relevant pas du champ professionnel, élèves et enseignants occupaient donc la même place sur le plan de l’expertise.

Le troisième jour, nous leur avons proposé une activité de travail collaboratif par le biais du froissartage. Ce dernier, d’origine scoute, demande de fabriquer, avec des outils rudimentaires, des installations à l’aide de perches de bois. Par le biais de cet exercice, ils ont fabriqué les tables et les bancs qui nous ont servi à prendre le repas du soir. Cette phase a été très importante pour leur faire comprendre la valeur d’un travail bien fait. De plus, ils ont retiré de cette activité une certaine fierté d’avoir rempli leur objectif de la journée. De notre côté, nous avons partagé nos compétences pour la réalisation d’un ouvrage utile à l’ensemble du groupe. Certains d’entre nous ne connaissaient pas les techniques et étaient du coup apprenants au même titre que les élèves. Le rapport hiérarchique a, encore ici, été mis de côté, ainsi que l’expertise inhérente à la position d’enseignant. Nous avons appris ensemble, jeunes et moins jeunes. Ce moment de partage a été l’un des piliers pour construire une relation privilégiée avec les élèves, tout en gardant nos différences de statut.

Le dernier jour, nous avons organisé une sortie en forêt avec l’ONF (Office national des forêts), afin d’aborder les prémisses du métier (l’arbre dans son environnement et la gestion des forêts) et de sensibiliser les élèves à des aspects du métier abordés en cours théoriques pendant la formation. Cela nous a permis de toucher l’aspect identité du groupe en tant que « boiseux ». Ici, la connaissance disciplinaire des enseignants était sans conteste plus approfondie que celle des élèves, mais la pédagogie choisie pour aborder le contenu disciplinaire excluait tout rapport autoritaire. Les éléments seront repris théoriquement dans les semaines suivantes.

Enfin, pour conclure la semaine, nous avons proposé aux élèves de planter « l’arbre de la section ». Ce pommier nous a permis de clore le séjour sur une touche positive. Chaque élève a pu mettre sa pelle de terre au pied de l’arbre afin qu’il prenne racine. Ce symbole nous a permis de leur rappeler leur objectif commun.

Lors de ce séjour, nous étions quatre collègues. Nous avons eu tous les quatre des attitudes qui représentaient l’autorité de manière différente, en fonction de nos personnalités : à la fois à l’écoute et bienveillants, nous avons de même recadré les élèves lors d’activités non autorisées, leur rappelant la règle, les responsabilités et les devoirs de chacun. Notre particularité était de le faire même lors des activités où nous étions acteurs au même titre que les élèves, et donc sans position hiérarchique de fait. Par ce séjour, les élèves ont pu appréhender le niveau de tolérance de leurs enseignants. Et les enseignants ont pu prouver aux élèves qu’ils étaient leurs alliés pour réussir dans leur formation.

Un bilan positif

Le bilan immédiat de ce séjour est assez positif. Le temps de concentration de cette classe est supérieur à celui des groupes précédents. Il en est de même en ce qui concerne l’assiduité, l’investissement et l’intérêt pour la formation. Si j’affirme que nous avons posé les bases d’une autorité du monde de l’entreprise, c’est que nous poursuivons ce travail au jour le jour. Connaissant déjà bien les élèves, leurs aptitudes à prendre des décisions, leur autonomie dès le début de la formation et leur position dans le groupe, nous pouvons dès la première année de formation faire travailler les élèves différemment. En effet, nous pouvons d’ores et déjà les mettre en activité en équipe, par projet, avec au sein de chaque groupe un chef d’équipe qui organise le travail et rend compte au professeur.

La différence s’est fait clairement sentir entre les élèves ayant participé au séjour et ceux qui ne sont pas partis. Ce séjour étant payant et donc facultatif, quelques élèves n’y ont pas participé, malgré le faible cout et les aides financières proposées. Ils n’avaient simplement pas envie de venir ou n’étaient pas encore affectés à la formation. C’est avec ces élèves que nous retrouvons le plus de comportements déviants vis-à-vis de l’autorité de l’enseignant ou vis-à-vis des règles à suivre au sein d’un établissement scolaire au premier trimestre. Cette différence s’atténue au fil des mois.

Nous ne pouvons évidemment pas tirer de règle générale pour une expérience que nous n’avons menée qu’une seule fois. Mais en ce qui concerne cette promotion, notre objectif est atteint. Nous reconduirons donc cette expérimentation l’an prochain, car en plus du succès pédagogique, les parents comme les élèves ont été ravis.

Rémi Mougenot
professeur de lycée professionnel en génie industriel bois, académie de Strasbourg