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Face à la guerre : utiliser la presse ?

« Pourquoi notre pétrole à nous se trouve-t-il sous leur sable à eux ? »

Ce pourrait être une question posée par un élève américain à un professeur… et c’est en tout cas ce que demandait, en mars dernier, une pancarte dans une manifestation pacifiste de New York. Combien d’enseignants américains ont osé affronter cette question ? Mais nos petits Français de toutes familles d’esprit, de toutes religions – de tous fanatismes confondus ? – ne nous ont pas épargné non plus leurs dérangeantes interpellations. Et si nous n’avons pas su apporter à chaque fois la réponse construite et validée, l’important est que nous n’ayons pas fui les questions, et qu’elles aient été formalisées et brassées.

Cette année, la « Semaine de la presse » dans l’école tombait pendant la guerre… Ou plutôt une guerre est tombée sur la « Semaine de la presse ». Mais il tombe toujours quelque chose de l’actualité sur cette Semaine : des élections, une grève… Du 24 au 29 mars 2003, les yeux du monde, dans les objectifs des médias, étaient tournés vers l’Irak. Et les paquets de journaux qu’ont reçus les établissements inscrits [[Enfin, tous ceux qui ont reçu leur paquet, car cette année un dysfonctionnement du serveur informatique a provoqué la disparition de quelques centaines d’inscriptions.]] étaient remplis de cette insoutenable guerre. Pour les enseignants, cela supposait de travailler sans filet, en temps réel, au même rythme que leurs élèves. Prendre en compte une actualité aussi brûlante suppose de recevoir les questions des élèves, alors qu’on a une opinion mais pas de certitude, et qu’on est envahi comme les élèves de ces discours de l’instant que déversent les médias. Certes, on s’appuie sur le socle des bonnes vieilles valeurs de l’école, sur les leçons de l’Histoire, sur des auteurs visionnaires, et sur des convictions profondément ancrées quant aux droits des hommes et des peuples. N’empêche, l’Axe du Bien ou du Mal nous entraîne loin du chemin de la Raison…

Dans une guerre, quand l’enseignant a pour toute conviction qu’aucun parti n’est juste, il n’a pas le droit de se taire. Quand il attend que cela finisse au plus vite – et quand c’est fini, ce n’est pas encore fini -, l’enseignant sait qu’il a le devoir d’éclairer ses élèves. Quand le pétrole est protégé et que le patrimoine du berceau de la culture humaine est saccagé, chaque enseignant, dans tous les pays du monde, sait au fond de lui-même que sa mission va être plus difficile et peser plus lourd encore.

Parmi tous les dispositifs que l’on peut mettre en place pour réagir, il en est un qui permet de travailler dans un cadre rassurant : analyser la manière dont les médias ont traité cette guerre. Apprendre à comparer les discours, débusquer les conditionnels (« Sa majesté le conditionnel », comme ironise Daniel Schneiderman dans Le Monde télévision), déconstruire les mises en scène, observer les dispositifs d’antenne, le nombre de reporters et leur place, suivre jour après jour le travail d’une même équipe de télé, repérer les sources des images et en comprendre l’impact sur le sens. Toutes choses que l’on peut apprendre à faire sans attendre une guerre, pour être mieux armé quand l’actualité s’emballe.

Et parfois, laisser les élèves entendre d’autres voix, ce que justement la « Semaine de la presse » permettait. À Marseille, par exemple, une dizaine de classes de divers lycées ont participé à un forum-débat : « Médias et journalistes : responsables ou coupables ? » Cette rencontre avec des journalistes, préparée en classe, a soulevé chez les élèves les questions les plus aiguës de la couverture de la guerre : redondances, désinformation, concurrence, mise en scène… Ils ont pu, sans intermédiaire, interpeller les producteurs d’information de la télé, de la presse écrite ou de la radio. Ils ont pu aussi entendre la voix posée de Daniel Junqua, vice-président de Reporters sans frontières, expliquer comment chaque jour il attendait avec inquiétude des nouvelles de son fils, Yves, journaliste reporter d’images pour France 2 dans une équipe basée à Bagdad.

Mais lorsque, dans un lycée, le débat sur l’actualité est une habitude, on ne s’interrompt pas pour cause de guerre. Dans l’Institution Notre-Dame-La-Riche de Tours, paraît depuis plusieurs années un quotidien lycéen sur une feuille de format A4 photocopiée [[Cf., dans le dossier ci-après, l’article d’Olivier Boyer : « Ouvrir une Fenêtre au quotidien » ]]. Chaque élève peut quand il le souhaite y intervenir sur le sujet de son choix, avec signature complète et mini-photo, dans le cadre légal de la liberté de la presse. Voici ce qu’on pouvait lire dans La Fenêtre du 10 avril 2003 : De Pierre G : « J’ai été très touché de voir hier soir le peuple irakien avouer enfin sa haine contre l’abominable régime de Saddam Hussein et remercier en les embrassant les courageux soldats américains et britanniques… » Et Marc W. de lui répondre : « On a surtout vu les méthodes peu orthodoxes de l’administration Bush pour liquider les crises. » Et même si les propos nous paraissent téléguidés, le fait de publier son point de vue dans un billet demande de le mettre en forme, de l’argumenter, de se soumettre à la critique des lecteurs.

Tout citoyen doit apprendre à faire cela.

Odile Chenevez, Clemi Aix-Marseille.