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Exercer une autorité éducative : principes d’action et dispositifs de formation possibles pour les professeurs

Cet article fait suite à celui publié dans le numéro 472 des Cahiers Pédagogiques , intitulé « Sauvons notre école… des professeurs « teneurs de classes » ». Les deux textes constituent une réponse aux formations animées par Sébastien Clerc à la demande du recteur de l’académie de Créteil.

Pour ne pas me limiter à une critique, même constructive, je me propose d’indiquer des principes d’action susceptibles de permettre au professeur de ne pas en rester au « vide » des recettes inopérantes, mais d’être acteur et auteur des réponses qu’il construit pour conforter sa posture professionnelle, dans l’exercice d’une autorité éducative soucieuse de maintenir le lien avec les élèves malgré les difficultés du métier. Je décrirai ensuite brièvement quelques dispositifs de formation auxquels j’ai participé. Mon propos peut donc intéresser les professeurs et les formateurs.

Des principes d’action pour l’exercice d’une autorité éducative

Les principes ci-dessous sont issus de mes recherches1. Je les ai classés en deux catégories : principes relatifs aux représentations du concept d’autorité, principes susceptibles de guider l’action.

Dix principes relatifs aux représentations du concept d’autorité

1 – Savoir de quoi l’on parle lorsque l’on utilise le terme d’ « autorité »2.
2 – Se libérer des représentations et des manières d’agir relevant de l’autorité autoritariste ou évacuée3, ce qui implique de travailler le rapport que les enseignants entretiennent avec la norme et avec le conflit, avec leur place générationnelle (adultes ayant un rôle éducatif) et institutionnelle (enseignants créant les conditions pour que les élèves apprennent). En ce sens, la dimension statutaire de l’autorité est une condition nécessaire à son exercice, mais non suffisante.
3 – L’autorité n’est pas naturelle. Elle peut s’apprendre, se développer.
4 – L’autorité n’est pas un « mal nécessaire » de la relation humaine. Aux fondements de l’humanisation, elle est consubstantielle du lien humain et principe régulateur du lien social. Elle ne peut donc pas ne pas s’exercer.
5 – L’autorité est un phénomène personnel et un fait de relation : phénomène personnel, elle est une responsabilité qui ne se délègue pas (contrairement au pouvoir). Aucun sujet ne peut faire autorité à la place d’un autre, sinon l’autorité disparaît ; fait de relation, l’autorité n’existe pas en soi mais en référence à un cadre institutionnel qui définit des statuts distincts.
6 – Il n’y a pas de recettes miracles. La relation d’autorité s’exerce lorsque le professeur mobilise des savoirs d’action adéquats (c’est-à-dire opérants et reconnus comme tels par l’élève puisqu’au final il obéit) dans une situation spécifique et toujours contextualisée. Dans d’autres situations, ce seront d’autres savoirs d’action que le professeur devra utiliser. S’il peut lui arriver de reprendre un savoir d’action issu de son répertoire personnel, il devra vraisemblablement l’adapter. Certains dispositifs de formation – tels les groupes d’analyse de pratiques, les déconstructions de situations… – accélèrent ce processus de professionnalisation, qui relève d’une construction s’inscrivant nécessairement dans la durée.
7 – Les savoirs d’action concernent deux domaines : les dispositifs pédagogiques au sens large (cadre éducatif contenant, médiations entre soi et les élèves, apports didactiques), la communication verbale et non verbale (regards, gestes, position dans l’espace, déplacements et distance…).
8 – Ces savoirs d’action ne sont pas seulement jugés adéquats du fait de leur efficacité fonctionnelle, mais d’abord d’une éthique de la relation éducative : les enseignants n’exercent pas de violences psychiques ou physiques érigées en principes de fonctionnement ; ils n’utilisent pas de sanctions dégradantes, humiliantes ou anti-éducatives. Le pouvoir de contrainte associé au recours possible à la force n’est pas l’autorité.
9 – L’autorité éducative comprend trois caractéristiques : 1) asymétrie et symétrie. Si une asymétrie première inhérente aux statuts assure l’indispensable distinction des fonctions et des places, la relation d’autorité effective ne pourra s’établir que par la symétrie (processus de légitimation) ; 2) influence du détenteur de l’autorité statutaire ; 3) reconnaissance de la légitimité du détenteur de l’autorité statutaire par celui sur lequel elle s’exerce (processus de légitimation qui passe par l’identification de savoirs dans l’action).
10 – Deux tensions sont constitutives de l’exercice de la relation d’autorité éducative : 1) la tension « soumission, contrainte / autonomie, liberté », dont la reconnaissance et le dépassement peuvent permettre d’identifier les conditions d’une influence favorable (obéissance, consentement), puisque l’autorité a pour but l’émergence du sujet auteur de lui-même ; 2) la tension « nécessité d’une mise en question, d’une instabilité permanente/recherche de solidité, de sécurité », qui inscrit le processus de légitimation de l’autorité dans un rapport à la durée : l’autorité se construit. Elle n’est jamais acquise une fois pour toutes.

Quatorze principes susceptibles de guider l’action

1 – La qualité et l’expertise des informations sensorielles (visuelles, auditives et spatiales) prises par le professeur, avant et dans l’action, orientent la qualité des actions qui suivent.
2 – Plus encore, l’interprétation juste des intentions prêtées par l’enseignant aux élèves sur lesquels les prises d’informations s’exercent est déterminante, pour qu’il mobilise des savoirs d’action allant dans le sens de l’exercice d’une autorité éducative reconnue comme telle par les élèves.
3 – Les capacités de prises d’informations de qualité ne sont pas homogènes selon les enseignants, d’où la nécessité de développer des savoirs qui concernent l’observation des actions des professeurs et des comportements des élèves dans les classes.
4 – La parole professorale est le savoir d’action dominant en relation d’autorité. Dans les situations que nous avons analysées4, certains types d’interventions s’avèrent particulièrement efficaces : l’appel à la réflexion de l’élève ; le haussement de ton ; la modification du contenu de la communication ; l’inscription des interventions dans une temporalité basée sur l’information des élèves, l’explication, la persuasion, la justification des décisions prises, la réflexion, l’énoncé des buts poursuivis par l’enseignant. Nous y ajoutons la variété des interventions verbales chez un même enseignant ; ou au contraire l’absence d’intervention verbale, la non intervention ; l’attente (l’interruption de l’action), utilisée en particulier lorsqu’un élève transgresseur cherche à mettre en spectacle le conflit.
5 – L’importance du questionnement et du dialogue interne (« se dire, analyser la situation ») démontre l’intensité de l’activité réflexive des enseignants dans l’action.
6 – Les savoirs d’action faisant référence à la dimension statutaire de l’autorité ne sont efficaces qu’accompagnés de savoirs d’action complémentaires. Il s’agit donc bien de penser et « d’agir » ensemble l’asymétrie et la symétrie. La variété des savoirs d’action pour signifier cette référence au statut du professeur est un gage d’efficacité.
7 – Bien moins utilisés comparativement aux interventions verbales, les déplacements sont pourtant très efficaces dans quelques situations : déplacement avec l’élève pour l’écouter, jouant de la proximité et de la distance pour inciter l’élève à suivre l’enseignant ; conservation de la distance ou au contraire, plus grande proximité de l’élève ou des élèves transgresseurs ; déplacements de l’enseignant seul comme ressource pour la réflexion dans l’action, pour se recentrer sur sa position statutaire et sur lui-même afin d’augmenter la confiance en soi indispensable à l’action. Ces savoirs d’action gagneraient à être conscientisés en formation.
8 – Les savoirs d’action relevant d’un habitus professionnel (assemblages, combinaisons d’actions simples résultant d’élaborations complexes)5, de même que les signes et les gestes, sont très efficaces, du fait qu’ils sont attachés à un seul enseignant et extrêmement contextualisés.
9 – L’efficacité d’un savoir d’action ne tient pas à sa fréquence d’utilisation. Dans plusieurs situations en effet, c’est un savoir d’action mobilisé à un moment-clé qui s’est avéré déterminant pour sa résolution dans le sens d’une autorité éducative.
10 – Le différé est un savoir d’action efficace dans toutes les situations où il est évoqué. Tout en dédramatisant et en apaisant le conflit, il permet la poursuite de l’action ordinaire du professeur. Au contraire, lorsqu’un professeur cherche à obtenir d’un élève une obéissance immédiate et inconditionnelle sous la forme d’une soumission, il augmente le risque d’être la victime de violences physiques de la part de celui-ci.
11 – Des enseignants disposent d’une gamme de savoirs d’action substitutifs en cas d’échec. Augmenter le répertoire des savoirs d’action disponibles chez ceux qui parviennent difficilement à entrevoir d’autres modalités d’action possibles est un objectif de formation essentiel.
12 – Certains savoirs d’action utilisés s’avèrent moins efficaces, dans certaines situations étudiées : les interventions verbales pour expliquer, persuader, convaincre ; celles qui tiennent du discours même varié ; les propos qui visent à faire réfléchir l’élève ; une communication verbale ou non verbale qui dramatise la situation.
13 – Enfin, la tendance des enseignants à être au clair avec ce qui guide leur action est inversement proportionnelle au nombre de sous-buts formulés. La multiplication des sous-buts peut être, soit le signe d’une fragilité professionnelle ou personnelle, à moins qu’elle ne traduise une capacité du professeur à ajuster ses sous-buts dans l’action en référence à son but générique.
14 – Dans ce cas, ce savoir relevant de l’habitus professionnel du professeur est une composante du « processus de légitimation » de l’autorité éducative, que nous décrivons ainsi : après qu’il a énoncé – et parfois aussi maintenu – une exigence ferme et non arbitraire dans la logique de son but générique, et si l’exigence est remplie même partiellement, le professeur doit être capable de ne pas exiger des élèves qu’ils atteignent l’ensemble des sous-buts qu’il a défini. Pour que son autorité puisse être reconnue comme acceptable, l’enseignant doit opérer une sélection de certains sous-buts avant d’agir : il retiendra – ou redéfinira si besoin sur un temps très court – les sous-buts opératoires ; il éliminera ceux qui sont inopérants.

En posant la nécessaire tension entre exigence et souplesse, ce dernier résultat ouvre à une problématique centrale de la professionnalisation enseignante, celle du non négociable du professeur, c’est-à-dire de sa capacité à poser et à tenir devant ses élèves un cadre contenant porteur de limites structurantes. Encore faut-il au préalable que le non négociable soit précisé, défini. C’est là le domaine du rapport à la loi, qui renvoie selon nous à la dimension statutaire de l’autorité à l’école, dans ses deux composantes générationnelle (adulte/enfant) et institutionnelle (enseignant/élève). La composante générationnelle institue l’adulte comme garant du respect des grands interdits anthropologiques fondateurs de toute vie sociale – interdit de violence, d’inceste, de parasitage – qui assurent l’existence, la survie et la pérennité de la société à laquelle il appartient. Quant à la composante institutionnelle, elle relève de la définition même de l’école comme lieu d’enseignement et se rapporte aux missions du professeur transmetteur de savoirs. C’est donc en s’appuyant sur les trois interdits anthropologiques mentionnés ci-dessus et sur les fondements de sa mission6 que l’enseignant peut déterminer les situations où il aura à poser un acte – geste ou parole d’autorité[[Ginet, D. (2004). Aux racines de l’autorité… dans Chappaz, G. (2004). L’autorité en pannes… Entre besoin de soumettre et désir d’éduquer (pp. 41-56). Aix-Marseille : Université de Provence ; Ginet, D. (2007). La portée structurante de l’interdit : éléments pour une « clinique » de l’autorité. Tréma, 27, 47-55 ; Herfray, C. (2005). Les figures d’autorité. Ramonville : Erès.]] -, par lequel il cherchera à arrêter net l’acte transgressif ou la discussion permanente. L’enjeu consiste à demeurer dans un acte d’autorité éducative, acte non autoritariste, mais qui signifie un « non » sans ambiguïté ni remord.

Une fois l’acte posé, une reprise éducative est possible dans un temps différé. Elle passe par l’explication de l’acte, l’écoute et le dialogue limités car il ne s’agit pas de tomber dans la justification. Dans une perspective de pédagogie coopérative ou institutionnelle, des échanges peuvent même avoir pour but la production de décisions et de règles communes.

Des dispositifs de formation possibles

Avant de présenter ces dispositifs, je voudrais faire deux remarques préalables. Premièrement, si tous les professeurs de lycées et collèges en deuxième année de formation initiale à l’IUFM sont concernés par certaines propositions (Unité de Formation intitulée « Autorité et gestion de la relation pédagogique »[[Elle comprend un cours magistral de deux heures et une séance de travaux dirigés de trois heures.]] , groupes d’analyse de pratiques professionnelles), le nombre de ceux qui bénéficient d’autres dispositifs proposés par l’IUFM reste inégal, basé davantage sur l’inscription volontaire que sur une analyse des besoins. La situation de la formation continue est pire encore, puisqu’à l’inscription volontaire s’ajoute souvent l’accord du chef d’établissement.

En conséquence et c’est ma deuxième remarque, former les professeurs à l’exercice de l’autorité mériterait une réflexion approfondie sur l’articulation des différentes formations en un continuum ; d’une part, en termes de contenus et de modalités pédagogiques proposés ; d’autre part, entre ce qui relève de chacune des deux années de la formation initiale, des premières années de professionnalisation, de la formation continue.

Je vais maintenant décrire brièvement deux actions de formation mises en place par l’IUFM de Versailles. La première concerne la formation initiale des PLC2 (professeurs de lycées et collèges, en deuxième année de formation initiale), la seconde les T1PLC (professeurs de lycées et collèges, en poste à l’issue de leurs deux années de formation initiale à l’IUFM). Je détaillerai davantage la troisième action proposée en formation continue par le Centre académique d’aide aux écoles et aux établissements (CAAEE), dispositif académique de prévention de la violence en milieu scolaire dans l’académie de Versailles.

Deux actions mises en place en formation initiale

La première action de formation, qui s’adresse aux PLC2, s’intitule « Gestion de la classe »7. D’une durée de six heures, elle a pour objectif principal de développer chez les professeurs des savoirs d’actions susceptibles d’améliorer leur gestion du groupe-classe et l’activité d’apprentissage des élèves, en prenant en compte les phénomènes de groupe et les interactions enseignant/élève, selon deux aspects : les dispositifs pédagogiques et didactiques, au sens large ; les communications dans toutes leurs dimensions corporelles.

Pour cela, le travail porte sur l’analyse de situations plus ou moins développées et complexes apportées par le formateur, à partir desquelles des points de repère et des éléments invariants sont recherchés, et différentes façons d’agir possibles élaborées. L’analyse s’appuie sur divers apports théoriques de la recherche en sciences humaines et en sciences de l’éducation, ainsi que sur des pratiques pédagogiques identifiables : distinction entre négociable et non négociable ; importance des communications verbales et non verbales du professeur en interaction avec le (ou les) élève(s) ; rôle préventif et facilitant de dispositifs pédagogiques et didactiques ; selon les préoccupations des participants, référence aux notions de discipline scolaire, d’autorité et de sanction éducatives, de respect, de rituel (de début et de fin de cours)…

La seconde action de formation qui concerne les T1PLC dure également six heures et a pour titre : « Exercer son autorité : ressources et outils pour le professeur ». Ses objectifs sont les suivants : mener une réflexion sur les fondements et l’exercice de la relation d’autorité à l’école, afin d’acquérir une posture et des savoirs professionnels nécessaires à la construction d’une autorité légitime. S’inscrivant dans la continuité de l’unité de formation « Autorité et gestion de la relation pédagogique », ce module prend appui sur les pratiques professionnelles des enseignants, interrogeant les manières dont ils ont construit leur autorité et repérant les éventuelles difficultés qu’ils rencontrent pour l’exercer.

Cette réflexion collective s’appuie, d’une part, sur les apports de la sociologie, de la psychologie, des sciences de l’éducation et, d’autre part, sur les ressources institutionnelles dont disposent les enseignants. Il y est question de la posture professionnelle de l’enseignant (distinction entre différentes conceptions et pratiques de l’autorité, incidences sur la relation d’enseignement), de la relation pédagogique (perception des publics scolaires et adaptation à leurs caractéristiques socioculturelles), de l’exercice de la discipline (définition de la règle distincte de la loi, recours aux punitions et aux sanctions) et des ressources de l’établissement (mobilisation de l’équipe éducative et de partenaires, conception d’outils). Il s’agit également de déconstruire des situations où l’exercice de l’autorité s’avère difficile, afin de développer des compétences réflexives permettant aux enseignants de les appréhender différemment8.

Un stage académique proposé en formation continue

La troisième action de formation s’adresse aux professeurs et aux conseillers principaux d’éducation titulaires. Portée par le rectorat de Versailles à l’initiative du Centre académique d’aide aux écoles et aux établissements avec ma participation, elle prend la forme d’un stage, qui s’intitule « Exercer une autorité éducative pour prévenir la violence dans la classe ». D’une durée de deux jours (deux fois six heures) non consécutifs, cette formation s’appuie d’abord sur les représentations que les stagiaires se font de l’autorité, pour en clarifier le concept et les définitions. Des situations mettant en jeu la relation d’autorité (refus d’obéissance en classe ou dans l’établissement) sont ensuite proposées par les formateurs puis par les stagiaires.

L’originalité de ce stage tient à l’objet (centration sur les interventions du professeur) et aux modalités pédagogiques mises en œuvre pour travailler les situations (de l’analyse par groupe, avec support écrit et consignes, à la mise en jeu par le théâtre-forum). Je me propose de décrire cette seconde modalité utilisée lors de la deuxième journée du stage, après que les stagiaires ont déjà travaillé ensemble.

Le théâtre-forum est issu du théâtre de l’opprimé, développé et conceptualisé par Augusto Boal9. Les formateurs qui l’animent – deux en général – ont été initiés à cette pratique théâtrale, adaptée ici à l’examen des situations potentiellement violentes en milieu scolaire10.

Parce qu’elle est impliquante, une telle démarche repose sur un cadre contenant explicite garanti par les formateurs : ponctualité (respect des horaires), présence au groupe (respect mutuel), participation et implication dans le jeu à sa mesure (y compris en sachant dire « stop »), bienveillance vis-à-vis de soi et des autres (droit à l’erreur ; non jugement ; acceptation de chacun tel qu’il est, avec ses manques, ses valeurs et ses croyances).

Lors du débat théâtral, les échanges font l’objet d’une grande vigilance : il ne s’agit pas d’évaluer des performances d’acteurs ; les propos portent sur les personnages mis en scène, pas sur les personnes. La parole est d’abord donnée aux acteurs. Chacun s’exprime sur son ressenti au cours du jeu, mais toujours à travers le personnage qu’il a joué. Les observations portent sur ce qui a fait que la situation a dégénéré ou pas, sur le repérage de moments de glissement ou de perte de contrôle de tel ou tel protagoniste dans l’échange. Les participants se demandent également comment ils réagiraient si l’événement se produisait dans leur classe, et avec quels objectifs. Les généralisations sont évitées, les interprétations « sauvages » proscrites11.

L’animateur privilégie la formulation de propositions qui pourront être jouées, correspondant à des moments-clés de la situation. Le débat théâtral se conclut par une synthèse effectuée par les animateurs : les différentes propositions sont évaluées au regard de leur capacité à débloquer la situation ; des principes d’action peuvent être retenus (par exemple, « entrer dans l’espace intime de l’autre, c’est toujours prendre le risque d’un passage à l’acte »).

Ajoutons que la démarche est progressive. La journée débute en général par des exercices corporels préalables au jeu théâtral. Certains exercices proposés mettent déjà en jeu des représentations subjectives des relations d’autorité ou des situations violentes. Les verbalisations des stagiaires qui les accompagnent permettent les premières prises de conscience : ainsi, « nous possédons tous une communication non verbale ; il existe chez chacun des espaces personnels différents (intime, proche, lointain) ; nos réactions sont aussi émotionnelles, souvent non conscientes ; nos postures provoquent des ressentis chez l’autre… ». On le voit, ce dispositif de formation est attentif à l’état émotionnel de chacun et respectueux de son niveau d’implication dans le groupe.

Je terminerai en soulignant les objectifs poursuivis par cette formation pour le professeur ou le conseiller principal d’éducation, regroupés selon trois thématiques.

S’agissant du rapport au temps, ce dispositif a pour but de permettre au stagiaire :
– de prendre conscience de ses réactions premières, immédiates, les plus fréquentes ; ces réactions corporelles réflexes qui s’affranchissent de l’intellect ;
– de se demander si ces réactions sont adaptées, préventives de la violence ; quand et comment il est pertinent – voire indispensable – d’intervenir ou pas ; si la question « qu’est-ce que bien réagir ? » a un sens.
Partant de l’analyse des ruptures temporelles, il s’agit d’y repérer l’émotion qui peut submerger et fait agir dans l’instant, puis de la contenir pour pouvoir différer l’action12. Sont ainsi réintroduits une réflexivité que la réaction spontanée avait émoussée et un rapport à la durée, qui permettent la distanciation.

S’agissant du rapport au corps, la formation permet au participant :
– de tenir compte d’indicateurs corporels personnels, verbaux mais surtout non verbaux, souvent négligés ;
– d’éprouver physiquement les différentes postures et les changements de position (par exemple, en jouant un rôle différent de sa fonction statutaire habituelle) ;
– de prendre conscience de l’extrême variété des intentions prêtées aux autres et des interprétations implicites que les postures peuvent renfermer ;
– d’explorer d’autres réponses possibles en se mettant corporellement en action, afin de gagner en conscience et en confiance.

Précisons qu’une telle formation s’interdit de doter les enseignants de comportements réflexes qu’il leur suffirait d’adopter pour garder, à coup sûr, le contrôle de la relation. Cet écueil comportementaliste est contourné par un dispositif qui d’une part, fait du rapport entre ressenti et action un objet de travail ; d’autre part, évalue toujours les savoirs d’action « joués » au regard des obligations légales des professeurs et en conformité avec une éthique de responsabilité respectueuse de la personne de l’élève13.

Du côté du positionnement professionnel, le travail cherche à réguler les équilibres entre les trois significations indissociables de l’exercice de la relation d’autorité14 :
– entre dimension statutaire de l’autorité (être l’autorité) et savoirs d’action (faire autorité) ;
– entre les émotions légitimes qui envahissent le sujet (avoir de l’autorité), mises en relation avec les actes à poser en tant que professionnel (être l’autorité et faire autorité).
La formation se donne pour but d’améliorer les savoirs d’action que chacun possède en les explorant plus avant (gestes professionnels obstacles/ ressources), d’en construire d’autres qui pourront être intégrés à la pratique, mais aussi de réorienter la personne vers des objets de travail professionnels (mise en œuvre pédagogique, par exemple).

« Pour tout maître, l’objectif ultime d’une formation réussie est de se trouver en mesure d’exercer son métier, fort des connaissances acquises et des capacités à les mettre en œuvre et fort de ces dispositions d’esprit qui construisent le respect des élèves et permettent d’exercer pleinement son autorité de professeur ». Cet extrait du Cahier des charges de la formation des maîtres en IUFM, qui associe respect des élèves et autorité du professeur, nous convient tout à fait.

Bruno Robbes,
Maitre de conférences en sciences de l’éducation
à l’université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles
Laboratoire CREF – EA 1589, université Paris Ouest Nanterre La Défense

Notes
  1. Bruno Robbes, Du mythe de l’autorité naturelle à l’autorité éducative de l’enseignant : des savoirs à construire entre représentation et action, thèse de doctorat en sciences de l’éducation non publiée, 2007, université Paris X, Nanterre.
  2. Bruno Robbes, Les trois conceptions actuelles de l’autorité, 28 mars 2006. En ligne sur ce site.
  3. Ibid.
  4. Un ouvrage en préparation reprendra l’ensemble de ces situations. Le lecteur intéressé peut d’ores et déjà consulter les quelques situations présentées dans les articles suivants : Bruno Robbes, « Des savoirs d’action mobilisés par les enseignants dans la pratique d’une autorité éducative : trois situations recueillies lors d’entretiens d’explicitation », Les cahiers de Cerfee n° 22, mars 2007, p.131-150 ; Bruno Robbes, « Des savoirs d’action d’un enseignant dans une situation d’autorité éducative », communication au congrès international AREF (Actualité de la recherche en éducation et en formation), 28-31 aout 2007, Strasbourg. http://www.congresintaref.org/actes_pdf/AREF2007_Bruno_ROBBES_134.pdf.
  5. Philippe Perrenoud, La formation des enseignants entre théorie et pratique, L’Harmattan, 1994 ; Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, ESF, 1996. ; « Le travail sur l’habitus dans la formation des enseignants. Analyse des pratiques et prise de conscience », dans Léopold Paquay, Marguerite Altet, Évelyne Charlier et Philippe Perrenoud, Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?, De Bœck, 1996, p. 181-208 ; Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant, ESF, 2001.
  6. Dominique Bois, « La loi », dans Jacques Pain (dir.), De la pédagogie institutionnelle à la formation des maîtres, Matrice, 1994, p. 103-110).
  7. En début d’année, ces étudiants ont suivi l’unité de formation « Autorité et gestion de la relation pédagogique ».
  8. À partir de la méthodologie proposée par Rémi Casanova, Hervé Cellier et Bruno Robbes, Situations violentes à l’école. Comprendre et agir, Hachette Éducation, 2005.
  9. Augusto Boal, Théâtre de l’opprimé, La Découverte, 2007, traduction française, 1977 ; Jeux pour acteurs et non-acteurs. Pratique du théâtre de l’opprimé, La Découverte, 2004, traduction française, 1978.
  10. La conception et la mise en œuvre de cette formation doit beaucoup à mes anciens collègues du Caaee : Jean-Luc Estellon (professeur de lettres-histoire en lycée professionnel), Élisabeth Martin (professeure de SVT), Roselyne Taborisky (conseillère principale d’éducation) et surtout Joëlle Penati (professeure d’EPS et psychologue clinicienne) et Anne-Elisabeth Weber-Ladant (professeure de SVT biotechnologies et psychologue clinicienne de l’enfant et de l’adolescent) avec lesquelles j’ai effectué ces formations.
  11. Le terme d’interprétation est à entendre ici au sens de la clinique psychanalytique.
  12. Certains chercheurs parlent à ce propos de compétences émotionnelles. Bénédicte Gendron, et Louise Lafortune (dir.), Leadership et compétences émotionnelles dans le changement, Presses universitaires du Québec, 2009.
  13. Nous ne faisons que reprendre la première compétence du cahier des charges de la formation des maitres en Institut universitaire de formation des maitres – « Agir de façon éthique et responsable » – dont nous extrayons cette phrase que nous soulignons : « L’éthique et la responsabilité du professeur fondent son exemplarité et son autorité dans la classe et dans l’établissement », ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Cahier des charges de la formation des maîtres en Institut universitaire de formation des maitres, 4 janvier 2007, Arrêté du 19 décembre 2006 publié au Journal officiel du 28 décembre 2006.
  14. Voir note 2.