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Éveiller l’élève à la culture informationnelle
« Homo numericus », « generation Y », « digital native », les expressions ne manquent pas pour définir la génération de nos élèves, cette génération pour qui le numérique n’aurait pas de secret.La sollicitation des écrans est en effet omniprésente et il est possible d’avoir accès à une telle quantité d’informations que des chercheurs n’hésitent pas à évoquer une réelle info-pollution, voire infobésité. Nos élèves « pratiquent » le numérique, ils savent trouver des informations. Comment aider l’élève à transformer des pratiques personnelles intuitives, une certaine « débrouillardise », en de réelles compétences informationnelles ?Une récente étude britannique déclare que ces compétences « doivent être acquises pendant les années de formation à l’école et que les programmes de remédiation autour de la culture informationnelle à l’université ont de grandes chances de ne pas aboutir »[[Etude de l’UCL citée dans Chapron, F. Serres, A. Quelle culture de l’information pour les élèves et étudiants ? In Cahier d’Education & Devenir, n° 9, octobre 2009 La documentation : histoire, enjeux et perspectives, p. 10-15.]]C’est donc dès l’école, et au collège et au lycée que l’élève doit acquérir les savoirs, savoir-faire et savoir-être info-documentaires.
Professeure documentaliste, académie de Rouen Angèle Stalder
Professeur documentaliste, lycée professionnel Leloup-Bouhier à Nantes
Des compétences spécifiques convoquées
Rechercher, sélectionner, exploiter l’information requièrent des compétences bien repérées en documentation, mais les conditions d’acquisition de celles-ci sont profondément modifiées par le numérique.Un dossier publié sur Educnet fait le point sur les changements qui s’opèrent pour le lecteur entre une lecture papier, qualifiée de linéaire, et une lecture dite numérique qualifiée de globale : segmentée, fragmentée et discontinue, elle fait appel à plusieurs habiletés informationnelles simultanées et non plus à une seule. Alain Giffard, spécialiste des pratiques culturelles de l’Internet, parle d’une lecture compliquée qui présente plusieurs difficultés cumulées pour le lecteur : « la visibilité du texte sur l’écran, la typographie et la mise en page, le détournement de l’attention par les bifurcations de l’hypertexte, l’absence d’intégration des opérations de lecture qui empêche le lecteur de projeter son modèle de compréhension du texte lu. Le lecteur doit en permanence recadrer son idée du texte au risque d’oublier les versions antérieures, et donc de couper le fil de lecture. Les principales conséquences de ces insuffisances technologiques sont la surcharge cognitive, fondamentalement opératoire, et la désorientation du lecteur. » A cette nécessité d’apprendre à lire le numérique s’ajoute celle d’acquérir des concepts clés en information documentation.Les notions à acquérir par l’élève
Le numérique change le statut de l’usager qui, de simple lecteur peut devenir scripteur. Ainsi, l’élève est lui-même producteur d’informations sur le web. Au filtre et à l’expertise du circuit éditorial et de l’acquisition — indexation des documents par le professeur documentaliste répond désormais une multiplicité d’auteurs à la fois usagers et producteurs de cette information numérique. Il convient ici de définir la notion d’information et d’en distinguer trois acceptions : l’information en tant que donnée numérique, l’information d’actualité et l’information transformée en réelle connaissance. L’enjeu pour l’élève est d’apprendre à sélectionner et à analyser cette masse informationnelle afin de se l’approprier et de la transformer en savoirs. L’expertise est diluée avec le numérique et les notions traditionnelles s’en trouvent modifiées.– La sourceConnaître la source d’une information permet « d’identifier le type d’information produit […] et d’estimer sa validité »[[FADBEN. Wikinotions, accessible sur le site de la Fadben, consulté le 31 mai 2011.]].Apprendre à repérer, identifier et caractériser la source, l’origine d’une information permet à l’élève de « questionner son rapport à la vérité, c’est-à-dire d’identifier la nature particulière du regard qu’elle porte sur le monde »[[Ballarini, I. et Duplessis, P. (2011).]]. Il est ainsi indispensable de pouvoir distinguer l’intention de publication de telle ou telle source : commerciale, associative, gouvernementale, scientifique… Connaître les différents types de sources permet également de pouvoir évaluer ses propres critères de recherche afin de ne pas négliger d’acteur (par exemple, lors de l’étude d’un sujet d’actualité).– Fiabilité de la source, évaluation de l’information, autorité et… autoritativitéL’analyse de la source pose la question de l’évaluation de l’information (sa fiabilité, sa crédibilité). Comment évaluer le rapport entre le contenu de l’information et la vérité ? Une des pistes consiste à étudier l’autorité du document. Cette notion est « attachée à la condition d’auteur »[[Broudoux, E. (2003).]]. L’autorité d’un document papier provient de la reconnaissance de sa légitimité par une communauté ou une institution à travers l’acte de publication. Si de tels circuits peuvent également exister sur le web, nombre de documents sont auto-produits par les auteurs « sans passer par l’assentiment d’institutions de référence référées à l’ordre imprimé »[[Ibidem.]]. C’est ce fait d’accéder, par soi-même au statut d’auteur qu’E. Broudoux qualifie d’autoritativité.– Droit de l’information Enfin, que l’élève soit en processus de recherche ou de production d’informations, il doit maîtriser un certain nombre de notions relatives au droit de l’information : le droit d’auteur et la propriété intellectuelle, les licences de diffusion des documents, le droit de et à l’image, l’identité numérique…Face à ces enjeux, une priorité émerge pour le professeur documentaliste : faire acquérir ces compétences, contextualisées dans une situation pédagogique qui favorise l’autonomie de l’élève et donne du sens aux apprentissages.Une situation pédagogique : la veille
La veille se définit comme « un processus continu et dynamique faisant l’objet d’une mise à disposition personnalisée et périodique de données ou d’information/renseignement, traitées selon une finalité propre au destinataire, faisant appel à une expertise en rapport avec le sujet ou la nature de l’information collectée »[[Cacaly, S., et alii. (2004).]].C’est donc une démarche qu’il faut acquérir, avec des étapes bien définies : cibler, moissonner, collecter, classer. Ces étapes ne sont pas linéaires, il faut sans cesse ré-évaluer les résultats de sa démarche et ne pas hésiter à changer de stratégie pour obtenir un résultat pertinent. Les écoles supérieures ont déjà saisi l’importance de cet apprentissage et intègrent des modules de veille dans leurs cursus (écoles d’ingénieurs, CNAM…).La veille est nécessaire aux élèves pour saisir les enjeux scientifiques et techniques actuels. Il s’agit également d’un enjeu économique : un dossier récent (2011) de la revue Documentaliste intitulé « Veille et Innovation » présente la veille dans le monde professionnel et plus particulièrement dans l’entreprise comme une condition à l’innovation. Au-delà de la formation initiale, il s’agit surtout d’un enjeu sociétal, de citoyenneté. Dans la perspective d’une formation tout au long de la vie, acquérir une démarche de veille informationnelle est la condition pour agir en responsabilité dans un monde en évolution constante.L’objectif est donc de sensibiliser le lycéen à la veille afin de l’éveiller à la société de l’information, de la connaissance. Cette démarche place l’élève dans une situation pédagogique concrète qui fait appel à des compétences non seulement scolaires mais qui le préparent « à la vie dans toutes ses dimensions »[[Perrenoud P. (2003).]] : associative, privée, publique, professionnelle…Ne pas former l’élève à la culture de l’information c’est risquer d’augmenter la fracture numérique qui existe déjà, marquant une différence entre l’élève débrouillard et l’élève info-lettré. Éveiller l’élève à la culture informationnelle c’est donner à chacun les moyens de se former tout au long de la vie pour tous les aspects de la vie.Marie-Astrid MédevielleProfesseure documentaliste, académie de Rouen Angèle Stalder
Professeur documentaliste, lycée professionnel Leloup-Bouhier à Nantes