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ESPE, temps éducatifs : l’école à l’heure de la société ?

Il se passe quelque chose à l’éducation nationale. Dans une institution où la référence à Jules Ferry et aux lois de 1881 a une dimension mythologique, c’est peut-être autrement que par une décision politique majeure que va se jouer la « refondation de l’école ».

Les premières annonces du président de la République et du ministre de l’éducation nationale suscitent de vives réactions, sur le thème de la déception, du manque d’ambition, de l’absence de prise en considération des conditions de travail réelles, etc. Tout ça pour ça, entend-on, avec un double reproche un peu paradoxal de ne pas assez en faire par rapport aux attentes et de trop en faire par rapport aux acquis. Le retour aux neuf demi-journées de cours, au détriment du mercredi matin des enseignants, les services inchangés à l’école primaire, et même pas discutés au secondaire ; le concours en fin de première année de master et une seule année de fonctionnaire stagiaire ensuite, renouant avec le modèle des IUFM : ça ressemble fort à un sage retour au bon vieux temps d’avant Sarkozy plutôt qu’à un grand chambardement progressiste. Et pourtant…

Sur ces deux dossiers, une même logique d’ouverture sur l’extérieur de l’école pourrait bien avoir beaucoup d’effets à long terme. À l’école primaire, le projet ministériel prévoit une intervention des collectivités locales sur une partie du temps scolaire. Le volume horaire concerné est modeste, mais c’est une façon de reconnaitre que les apprentissages ne sont pas du seul ressort de l’école, ce qui n’est pas rien, de créer des temps qui devront être pensés en commun par les professeurs des écoles et des partenaires territoriaux. Pour les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, le ministre affirme l’ambition que l’élément final de l’intitulé de ces écoles, « et de l’éducation », ne soit pas que formel : il s’agirait bien de lieux de formation communs à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, comme les IUFM, mais également à des éducateurs ou animateurs, et ces écoles seraient donc ouvertes, dans leur direction et leur composition, à des formateurs issus des collectivités locales ou des associations.

L’éducation de la jeunesse n’est plus la seule affaire de l’école. Énoncé ainsi, cela peut sembler une évidence à une époque où l’on sait bien que les enfants apprennent quantité de savoirs et développent quantité de compétences indépendamment des enseignements scolaires. Ces évolutions sont déjà largement prises en compte dans les pratiques quotidiennes. Mais il n’est pas anodin, du tout, que l’institution le reconnaisse. Organiser des possibilités de travail en commun entre différents intervenants dans l’éducation des enfants à l’école primaire ou dans la formation initiale est un début modeste. Mais c’est précieux.

À l’école primaire, les expériences menées dans des villes restées à la semaine de neuf demi-journées ont montré tout l’intérêt de temps éducatifs pensés à l’échelle globale, avec les différents intervenants. Ce serait consternant d’en rester à une distinction pédagogiquement très limitée entre le temps des « leçons », conduites sous la baguette de l’enseignant et le temps des « devoirs », du « travail personnel » des élèves (mais que font-ils donc alors pendant les cours ?). Il est autrement plus intéressant de travailler à l’articulation des différentes activités d’apprentissage à mener dans le milieu scolaire, avec un encadrement associatif ou dans le milieu familial. La nouvelle organisation de la journée proposée peut en donner l’occasion, et plus encore d’autres mesures annoncées du type « plus de maitres que de classe » ou la relance des cycles pluriannuels.

Dans la formation initiale, imaginer des temps de formation communs entre enseignants et éducateurs, la possibilité d’accomplir des stages dans le cadre d’associations éducatives ne peut que contribuer à aider les lauréats des concours à se construire une identité professionnelle de professeurs travaillant avec des collègues à la prise en charge des apprentissages d’enfants et adolescents.

On ne peut que souhaiter que cette ouverture de l’école se poursuive sur d’autres plans. Le ministre annonce la création d’une nouvelle instance chargée de la réflexion sur les programmes d’enseignement : comment ne pas l’ouvrir à des acteurs de la société civile, comment l’inviter à ne surtout pas se contenter d’une déclinaison de savoirs universitaires à destination des élèves du primaire et du secondaire, pour élargir la réflexion aux savoirs sociaux, une approche large du patrimoine culturel à transmettre ? Une nouvelle version du livret de compétences est annoncée : comment ne pas en profiter pour élargir ses formulations et ses modalités de validation à d’autres acteurs que les seuls enseignants, pour prendre en compte toute la diversité des apprentissages des élèves ?

Il ne s’agit pas de diluer l’institution scolaire dans la société, pas plus qu’il ne s’agit de scolariser la vie des enfants hors de l’école. Il s’agit de repenser toute l’éducation de la jeunesse en articulant intelligemment les interventions des uns et des autres. Voilà un beau programme pour une refondation du système éducatif.

Patrice Bride
Rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques