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EPS et socle commun : trois scénarios pour une rencontre

L’articulation entre les macrocompétences du socle commun et celles, par activités, indiquées dans les programmes de l’enseignement de l’éducation physique et sportive sont envisageables suivant trois scénarios d’enseignement. Présentation et illustration de chacun à partir de deux APSA, l’escalade et le rugby.

Trois logiques, descendante, ascendante et interactive, définissent les possibles contributions de l’EPS à l’acquisition des compétences du socle commun. Chaque logique entraine une dérive qui lui est propre : une dérive éducative abstraite, une dérive de repli disciplinaire et une dérive intellectualiste.

Scénario n° 1. Une logique descendante

Ici, l’acquisition des compétences du socle commun apparait comme première. La logique est descendante. Certes, comme pour les deux autres scénarios, les APSA sont envisagées comme « un lieu d’expériences concrètes »1), mais, ici, l’expérience vécue n’a de sens que si elle contribue directement aux acquisitions du socle commun. La pratique de l’escalade, du rugby est pensée de telle sorte qu’elle permette par exemple « l’acquisition d’une culture sportive qui mérite d’être examinée dans tous ses aspects pour comprendre les richesses et les excès » (compétence 5) ou « la construction d’un élève plus autonome, plus responsable et capable de prendre des initiatives » (compétence 7). Dans le cas de la compétence n° 5, l’escalade et le rugby permettent par exemple d’appréhender les problématiques de la prise de risque ou de la violence dans le sport. La compétence n° 7 peut amener à aborder le choix d’une difficulté de voie adaptée à ses ressources, l’écoute des consignes, la contribution à une sécurité mutuelle en escalade, l’élaboration d’un projet de jeu adapté, la construction d’équipes d’homogènes ou la prise en charge d’un échauffement collectif en rugby. Restent en suspens les enrichissements moteurs spécifiques que permettent de développer ces deux pratiques sportives.

Si on se réfère aux niveaux de compétences attendues dans chacune des activités citées et fixées par les programmes, il est difficile d’identifier une relation explicite avec ces deux compétences. Pour autant, la nécessaire structuration des compétences en connaissances, capacités et attitudes laisse à penser que le développement d’une culture sportive critique et l’autonomie ou le sens des responsabilités sont plutôt du domaine des connaissances ou des attitudes, quelle que soit, d’ailleurs, l’activité enseignée. Cette perspective pose alors la question du statut des capacités et celle de l’apport singulier de chaque APSA.

L’entrée par les compétences du socle commun, dans la mesure où elle ne peut pas prendre appui sur un pilier directement indexé à la diversité des « cultures motrices », ne permet pas d’aller jusqu’à la prise en compte effective des capacités, des habiletés, des techniques et des savoir-faire. Dans la mesure où l’idée est de privilégier le « commun scolaire » au détriment du « singulier disciplinaire », elle ne permet pas de mettre en valeur les apports originaux contenus dans chaque discipline sportive ou artistique.

Si la référence explicite à l’enrichissement du domaine de la motricité n’est pas présente, et si chaque activité sportive peut être remplacée par une autre, alors elles ne sont qu’un prétexte. Cette ambition est, certes, fidèle à la demande institutionnelle, mais elle peut aussi mener à une dérive éducative abstraite détachée de tout enracinement culturel.

Scénario n° 2. Une logique ascendante

Un deuxième scénario peut se caractériser par une logique ascendante. C’est en partant de la motricité spécifique des élèves dans chaque APSA que sont visées des ambitions éducatives plus larges. L’enracinement culturel de l’expérience motrice que vit l’élève est privilégié, au détriment d’apprentissages plus interdisciplinaires et transversaux. Cette démarche met en avant les capacités, au détriment des connaissances et attitudes susceptibles d’être développées au cours de la scolarité. Le socle devient une caution éducative à laquelle on tente artificiellement de se rattacher.

Poursuivons avec notre exemple en escalade. Si le niveau 1 de compétences des programmes préconise « d’assurer un partenaire en toute sécurité », les contenus d’enseignement concernant les manipulations de matériel ou la communication entre grimpeur et assureur mettent au premier plan les capacités liées aux techniques d’escalade, afin de garantir une sécurité bien légitime dans la leçon, au détriment des connaissances et attitudes du socle commun, plus générales et méthodologiques et, par conséquent, moins spécifiques à l’APSA. Les acquisitions liées à la gestion du projet d’escalade, par exemple, apparaissent alors lacunaires.

Nous nous trouvons face à une dérive disciplinaire. L’obligation institutionnelle du socle obligera l’enseignant à une justification à postériori, fondée essentiellement sur les capacités des compétences 6 (sociales et civiques) et 7 (autonomie et initiative), sans pour autant les mettre en œuvre réellement ou en les extrapolant à partir des capacités retenues des contenus moteurs.

En rugby, les alternatives de choix du porteur de balle et d’organisation dans la gestion du rapport de force sont souvent le centre des intérêts, dans le respect de la dialectique entre attaque et défense. Les contenus se trouvent focalisés sur la confrontation des deux équipes. Peu de lien avec le socle, eu égard à la rareté des contenus liés à l’expérience corporelle, et on se contente de l’usage d’un vocabulaire adapté ou de l’utilisation d’outils chiffrés pour aborder les piliers 1 (la maitrise de la langue française) et 3 (les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique).

Nous sommes ici face à une situation de repli, privilégiant les contenus intradisciplinaires, c’est-à-dire focalisés sur l’expérience culturelle. La contribution au socle commun devient alors une obligation artificielle, encourageant les relations abstraites ou stéréotypées entre l’EPS, les contenus des APSA et celui-ci.

Scénario n° 3. Une logique interactive

Le dernier scénario renvoie à une logique interactive entre les compétences attendues dans une APSA et les compétences du socle commun. Les deux types de compétences s’enrichissent mutuellement, sans rapport hiérarchique entre les unes et les autres.

Ainsi, en escalade pour des élèves débutants, les compétences sociales et civiques dans la relation entre l’assureur et le grimpeur permettent à ce dernier de tenter d’atteindre des prises plus éloignées, sans crainte de tomber. En retour, cette prise de risque et le développement d’une nouvelle motricité (équilibre controlatéral par exemple) renforcent la relation et la responsabilité entre le grimpeur et l’assureur, qui doivent communiquer et fonctionner ensemble dans des situations de plus en plus complexes sur le pôle moteur.

En rugby, l’autonomie et la prise d’initiative, ou bien encore la maitrise de la langue française peuvent par exemple s’envisager au sein du projet collectif de l’équipe. Dans un match, l’enseignant peut proposer une mi-temps d’une minute, pour permettre à chaque équipe de faire le bilan de la première mi-temps et de faire un projet pour la seconde. Ce temps mort permet aux élèves de s’exprimer, de se réguler sans intervention directe de l’enseignant, et ainsi viser les compétences du socle annoncées un peu plus tôt. Mais il permet aussi de modifier sa motricité pour la seconde mi-temps, par exemple en demandant à un élève d’aller davantage vers la défense adverse, pour la fixer avant de faire la passe. Cette motricité qui risque d’évoluer va, par la suite, alimenter le prochain temps mort de l’équipe, puisque les élèves pourront évaluer l’efficacité de cette nouvelle façon de faire.

Schéma récapitulatif

Contrairement aux deux scénarios précédents, il existe ici une relation forte entre les connaissances, les capacités et les attitudes, et non une prépondérance de l’une au détriment de l’autre. L’enjeu de ce troisième scénario est de maintenir un équilibre dynamique au sein de l’interaction entre les compétences attendues dans une APSA et les compétences du socle commun. Le risque est de tomber dans une dérive intellectualiste, qui ne retiendrait que le côté formel de cette interaction, sans s’interroger sur son efficacité professionnelle. Cette interaction dynamique n’empêche donc pas, en fonction des moments du cycle ou de la leçon, de mettre plutôt l’accent sur un type de compétences. Pour autant, la logique interactive reste prioritaire, sans oublier que l’EPS doit idéalement fixer cette ambition sur l’expérience physique, sportive et artistique vécue par l’élève.

Ce troisième scénario, qui met en avant la logique interactive entre les deux types de compétences, nous semble le plus prometteur de par son dynamisme, à condition de bien rappeler que l’EPS est avant tout une discipline fondée sur l’expérience motrice culturellement signifiante, ce qui en fait sa spécificité et son originalité.

Nicolas Mascret
Maitre de conférences, IUFM Aix-Marseille
Olivier Rey
Professeur d’EPS, IUFM Aix-Marseille
Maxime Travert
Maitre de conférences, IUFM Aix-Marseille

Notes
  1. Programmes de l’enseignement de l’éducation physique et sportive, BOEN spécial n° 6 du 28 aout 2008.