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EPS et éducation à la santé : un problème de définition ?

Dans les programmes officiels de 2008 concernant la discipline « éducation physique et sportive » (EPS), on peut lire trois grands objectifs pour cette discipline :

  • « le développement et la mobilisation des ressources individuelles favorisant l’enrichissement et la motricité » ;
  • « l’éducation à la santé et à la gestion de la vie physique et sociale » ;
  • « l’accès au patrimoine de la culture physique et sportive ».

Même si chacun de ses objectifs est suffisamment détaillé, et que, pour notre sujet, il est écrit que « la prise en compte de la santé doit s’envisager dans plusieurs dimensions : physique, psychique et sociale », l’éducation à la santé reste majoritairement centrée sur la dimension physique dans les pratiques d’enseignement de l’EPS. Pour étayer notre propos, nous ferons référence à des recherches récentes qui avaient pour but d’analyser les pratiques d’enseignement de l’EPS.

Ce qui s’enseigne en collège et en lycée

Les professeurs d’EPS font souvent référence à la dimension physique qu’ils associent à la « gestion de la vie physique d’adulte » des programmes. Pour eux, c’est surtout le bienêtre physique qui compte avant tout. Par contre, ils ne font aucun lien avec l’éducation au choix, telle qu’elle est proposée dans la définition de la circulaire de 1998 : « L’éducation à la santé vise à aider chaque jeune à s’approprier les moyens d’opérer des choix, d’adopter des comportements responsables, pour lui-même comme vis-à-vis d’autrui et de l’environnement ».

Les pratiques nous apportent plus de renseignements et nous constatons à chaque fois que les professeurs d’EPS filmés durant les séances d’EPS enseignent plus de choses qu’ils ne le déclarent lors des différents entretiens. Pour affirmer cela, nous nous référons aux travaux de Carine Simard et Didier Jourdan[[Carine Simar, Didier Jourdan, « La contribution spécifique de l’éducation physique à la lumière de travaux de recherche récents », Revue EPS n° 329, 2008.]] qui nous présentent un cadre très intéressant avec trois pôles pour définir l’éducation à la santé. Un premier pôle que nous avons qualifié de « dimension corporelle » constitué de connaissances de soi, de son corps, de sa santé, des comportements à risques et de leurs effets. Un second pôle qualifié de « dimension psychosociale » centré sur le développement de compétences psychosociales, comme savoir gérer le conflit, le stress, exprimer ses émotions et les gérer, travailler ensemble, se respecter. Un troisième pôle appelé « dimension critique », avec la nécessaire distance critique à tenir face à l’environnement, la capacité à garder sa liberté face aux médias, face à la pression des pairs.

Nous observons que tous se centrent effectivement sur le physique, avec l’échauffement qui vise à apporter des savoirs spécifiques pour se préparer à l’effort ; d’autres mobilisent et développent des ressources énergétiques au travers de certaines activités comme la course longue ou la lutte. Par contre, le développement des compétences psychosociales est bien présent dans les leçons d’EPS, mais les enseignants ne l’évoquent pas comme une des composantes de l’éducation à la santé lors des entretiens. Pour ce qui concerne le développement de l’attitude critique, nous n’avons rien observé sur ce registre, ni dans les cours auxquels nous avons assisté, ni dans les déclarations des enseignants, comme si cette dimension n’existait pas pour nos collègues.

Ce qui s’enseigne en formation

Quatre grands domaines de savoirs relatifs à la santé sont enseignés dans la formation des professeurs stagiaires en EPS, surtout en relation avec l’enseignement de la course longue.
Premier domaine : l’hygiène de vie. Il s’agit surtout de savoirs tels que l’alimentation, le sommeil, le tabac, l’alcool et les drogues, c’est-à-dire tout ce que relève de la prévention des conduites addictives. Les formateurs donnent des connaissances en insistant sur les effets positifs ou négatifs d’une certaine hygiène de vie (« J’aborde souvent avec eux la question de l’alcoolisme ou de la prise de drogue, car je sais que cela les intéresse »). Mais c’est plutôt dans l’interaction avec les étudiants dans les cours pratiques que se délivrent ces savoirs ; ils ne sont pas planifiés à l’avance, mais ils surgissent bien souvent suite à des questions ou à des remarques. La pratique de la course ou de la danse dans le cadre de la préparation aux épreuves optionnelles de course ou de danse pour le concours de professeur des écoles est un moment propice pour transmettre ces savoirs.

Deuxième domaine : des savoirs très spécifiques sur l’entrainement en course. Les formateurs insistent plus particulièrement sur les processus énergétiques sollicités dans l’effort. En EPS, le développement de la santé est intimement lié au choix des activités physiques et sportives qui sont les moyens par lesquels l’enseignant peut développer par exemple les filières énergétiques. Pour l’un d’eux, « la mobilisation des processus aérobies, anaérobies sur le long terme permet de viser un capital santé » ; là encore, on se retrouve sur la santé, et pas sur l’éducation à la santé.

Pour un de nos collègues formateurs particulièrement impliqué dans un projet autour de la course en durée, la pratique effective de l’activité course lui permet d’articuler de manière très efficace des connaissances théoriques et des connaissances sur soi : « L’étudiant va mettre en relation différents repères liés à l’essoufflement et à la fréquence cardiaque avec le type d’effort aérobie ou anaérobie qu’il a produit ». C’est bien le premier registre des connaissances sur soi dans l’effort physique qui est mobilisé dans ce cas-là.

Ces savoirs spécifiques sur l’entrainement sont enseignés sous deux formes, soit sous forme de cours théoriques en PE1 pour « permettre aux étudiants de les mettre directement en relation avec leur entrainement », soit dans les cours pratiques de préparation à l’option course ou danse. Les connaissances sont alors remobilisées au service de l’entrainement ou de la préparation.

Troisième domaine : la motricité ainsi que la gestion de l’effort. Nous avons observé certaines différences dans ce domaine, car certains formateurs mettent particulièrement l’accent sur des aspects de la motricité comme « les principes liés à l’équilibre », « la qualité des appuis que l’on trouve dans de nombreuses activités physiques », ou encore « la dissociation segmentaire » ou « la coordination », alors que d’autres insistent plus la gestion de l’effort et sur la récupération (« les grands principes de l’échauffement »,« la manière dont on peut étirer les muscles », « des connaissances sur les techniques de relaxation »). Ces cours se font d’une manière générale plus de façon théorique, mais les savoirs sont réactivés dans les cours pratiques.

Quatrième domaine, des savoirs enseignés surtout après le concours, constituant des ressources pour le développement aux compétences professionnelles. Ces savoirs concernent la sécurité des élèves, qu’elle soit active ou passive[[Claire Perrin, « La santé en EPS : de l’évidence à l’éducation », Spirale n° 25, pp. 83-88, 2000.]]. Pour la sécurité passive, les formateurs font référence au lieu de pratique qui doit être sécurisé pour éviter tout risque d’accident (« Je leur dis de faire attention aux tapis en gymnastique »). Pour la sécurité active, c’est le processus didactique qui est au cœur de l’enseignement, avec tous les savoirs relatifs à la progressivité des apprentissages. On retrouve là tout ce qui touche à « l’échauffement tout particulier de la colonne vertébrale en gymnastique » pour éviter les accidents. Cet enseignement spécifique de la sécurité des élèves est fondamental pour tous les formateurs qui interviennent auprès de professeurs des écoles ou des professeurs du secondaire. Chez eux, l’éducation à la sécurité fait partie intégrante de l’éducation à la santé, car « préserver son intégrité physique, c’est un des moyens de rester en bonne santé ».

S’il y a concordance entre ce qui est déclaré et ce qui est enseigné réellement, au niveau de ces quatre grands domaines de savoirs, l’observation des cours de formation montre, comme pour les professeurs d’EPS, que les formateurs sont très attentifs à la constitution des groupes et qu’ils valorisent énormément le développement des compétences psychosociales. Pour un collègue qui prépare à l’épreuve de danse, « c’est très important d’apprendre à se montrer devant les autres, d’assumer son corps devant un groupe », mais pour développer cette compétence, il faut « toute une progressivité pour ne pas bloquer les étudiants ». Ce qui est valable pour les enfants l’est aussi pour les jeunes adultes pour qui certaines situations peuvent devenir très stressantes. Les travaux de groupe sont souvent privilégiés, soit en amont des cours pour préparer certaines situations d’apprentissage, soit durant les cours pour produire des actions spécifiques (« Je leur ai demandé de préparer une chorégraphie qu’ils présenteront devant leurs camarades », « ce que je veux, c’est qu’ils apprennent à travailler ensemble »). À la fin de ces travaux, les formateurs reviennent souvent sur les productions, pour souligner les compétences sociales ainsi développées ; mais pour eux, cela ne relève pas de l’éducation à la santé, car cela n’est jamais évoqué dans les entretiens réalisés après les enregistrements des cours.

Pour les formateurs EPS, les constats sont donc les mêmes que ceux concernant les enseignants : une définition de l’éducation à la santé qui se résume bien souvent à la dimension médicale ou physiologique ; des savoirs enseignés plus nombreux que ceux qui sont déclarés. Si pour certains savoirs l’enseignement est planifié, pour beaucoup d’autres, c’est au carrefour des remarques et observations que ceux-ci sont transmis, ou bien après des questions d’étudiants. Ce sont aussi de nombreux conseils qui sont donnés, soit sur le plan professionnel (exemple de la sécurité), soit dans le cadre de la préparation aux concours.

Quelques hypothèses explicatives

Comment expliquer cette situation, aussi bien du côté des professeurs EPS que du côté des formateurs ?
D’abord une hypothèse historique : l’EPS entretient depuis le début de son histoire un rapport particulier avec la santé physique. « La multiplicité des références en EPS est son histoire même[[André Terrisse, Didactique des disciplines. Les références au savoir, De Boeck Université, 2001.]] ». La référence à la gymnastique suédoise fut particulièrement prégnante à la fin du XIXe siècle. Elle s’est poursuivie jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale sous forme de gymnastique corrective puis de maintien. Il s’agissait de maintenir les corps en bon état de fonctionnement, voire de les redresser. Cette gymnastique s’adressait au corps physique et physiologique dans un cadre qui se voulait éducatif. C’était surtout la fonction sociale de l’EPS qui prévalait devant sa fonction scolaire. « À la fin du XIXe et durant la première moitié du XXe siècle, la discipline est sous ingérence médicale ; ses objectifs se confondent avec ceux des médecins. En soumettant l’élève à l’exercice, l’EPS contribue au bon développement, voire à la restauration de l’état de santé. » (Voir note 2).

C’est donc sur la base de ces rapports historiques que nous formulons ensuite notre deuxième hypothèse que nous qualifierons d’institutionnelle : la relation entre EPS et santé physique est toujours entretenue dans les textes officiels les plus récents. À lire les programmes 2008 pour l’EPS en collège, on constate que l’éducation à la santé ne consiste pas à permettre à l’élève de faire des choix raisonnés. « En proposant une activité physique régulière, source de bienêtre, l’EPS favorise l’acquisition d’habitudes de pratiques nées souvent du plaisir éprouvé, et contribue à la lutte contre la sédentarité et le surpoids. Elle participe ainsi à l’éducation à la santé… »

Troisième hypothèse explicative : c’est toute une profession et une culture professionnelle qui véhiculent la référence à la santé physique.

Militant pour une éducation physique qui va participer de l’éducation à la santé en incitant les jeunes à la pratique, Didier Delignières et Christine Garsault rappellent que « le thème de la santé traverse l’évolution de la discipline depuis ses origines[[Didier Delignières, Christine Garsault, « Libres propos sur l’éducation physique », Revue EPS, 2004.]] ». Les auteurs proposent « comme finalité ultime de l’EPS d’inciter les futurs adultes à pratiquer tout au long de leur vie des activités de loisir sportif ».

Dans l’ouvrage qu’il a dirigé sur les contenus d’enseignement en EPS pour les lycées, Raymond Dhellemmes présente des thèmes d’étude et des compétences spécifiques très centrés sur la dimension physique. Il valorise le « savoir s’entrainer physiquement » et précise qu’une véritable éducation à la santé consiste à « s’engager dans une pratique continue pour conquérir ou maintenir un état de forme[[Raymond Dhellemmes, « Contenus d’enseignement en EPS pour les lycées », Dossier EPS n° 52, Revue EPS, 2000.]] ».

Évoquant les rapports entre EPS et éducation à la santé, Thierry Tribalat énonce trois registres de savoirs qui doivent être enseignés en EPS :

  • « Des savoirs sur la santé (connaissances sur le corps, les conduites addictives, le système énergétique…) » ;
  • « Des savoirs pour sa santé (indicateurs sur son état de santé comme l’IMC, sur son alimentation, etc.) » ;
  • « Des compétences pour agir sur soi dans le respect de son intégrité physique et de celle des autres (concevoir ses programmes d’entrainement, ses séances de travail, savoir s’échauffer…)[[Thierry Tribalat, « Santé et EPS », Actes du Forum international de l’éducation physique et du sport, 4-5-6 novembre, Paris, SNEP-Centre EPS et Société, CD-Rom, 2005.]] ».

On voit bien ici la centration sur le corps physique, avec le rappel du respect de l’intégrité physique. Plus loin, l’auteur continue en précisant que « l’appropriation de ces connaissances et compétences devrait permettre l’accès à une meilleure « connaissance physique de soi » dans un souci de bienêtre. L’ensemble étant traversé par des valeurs fortes sur la personne en général, et le corps en particulier ».

Ces quelques exemples viennent montrer combien la culture professionnelle de l’EPS est marquée par ce rapport au corps physique au travers de la pratique d’activités physiques et sportives. Quand l’histoire de la discipline, la culture professionnelle et les textes officiels privilégient la dimension purement physique de la santé, on comprend mieux que les professionnels (enseignants et formateurs) soient eux aussi « formatés » par cette dimension.

Quelques perspectives en matière de formation

Trois axes de formation me paraissent envisageables pour les enseignants d’EPS, voire pour l’ensemble des enseignants.

Travailler sur les conceptions de l’EPS

En formation, le lien très étroit que font les enseignants entre EPS et santé pourrait être mis en évidence à partir de l’énoncé des conceptions de chacun. Plutôt que de prescrire une éducation à la santé perçue comme une discipline qui viendrait se rajouter en plus aux savoirs de l’EPS, la prise de conscience de ce qui est « déjà là » chez les enseignants pourrait leur permettre de comprendre qu’ils sont déjà dans l’éducation à la santé. Il y a là, me semble-t-il, un levier important, pour rapprocher le travail réel des enseignants vers le travail prescrit.

Vers une définition plus précise de l’éducation à la santé

Un deuxième axe de formation pourrait se situer dans la continuité de ce que nous avons développé plus haut. Il s’agirait en effet de permettre aux enseignants d’énoncer leur définition très personnelle de l’éducation à la santé et de la confronter aux définitions « officielles », pour mettre en évidence ce qui reste à compléter, c’est-à-dire, compte tenu de nos résultats, essentiellement la notion de choix et la dimension critique. Il ne resterait plus à l’enseignant qu’à tenter de réduire l’écart entre ce qu’il fait déjà (travail réel) et ce qu’il pourrait faire. Nous noterons que ce deuxième axe pourrait concerner aussi bien les enseignants du premier degré[[Dominique Berger, Frank Pizon, Lela Bencharif, Didier Jourdan, « Éducation à la santé dans les écoles élémentaires. Représentations et pratiques enseignantes ». Didaskalia n° 34, pp. 15-25, 2008.]], que ceux du second degré ainsi que les formateurs d’enseignants[[Denis Loizon, « Éducation à la santé : quels savoirs enseignés en EPS à l’IUFM ? », Revue EPS n° 141, pp. 27-29, 2009.]] pour qui ce travail serait très utile puisqu’ils ont la charge de former aussi à l’éducation à la santé.

De l’éducation à la santé au travail en équipe sur des projets

Il nous semble enfin que le travail de réflexion et de formation qui devrait se faire en formation initiale et continue des enseignants nécessitera immanquablement un développement de leurs compétences psychosociales. En effet, si ces compétences sont importantes dans le cadre de l’éducation à la santé pour les élèves, elles le sont aussi pour les futurs enseignants, si l’on veut qu’ils puissent élaborer ensemble des projets en travaillant en équipe. Nous avons vu dans nos études que les enseignants essayaient, dans leurs cours, d’enseigner des savoirs et de développer des compétences relatives à l’éducation à la santé, mais comment enseigner des attitudes, comment les faire évoluer, aussi bien en formation que dans les cours avec des élèves ? Même en matière d’éducation, la tâche s’avère toujours difficile et incertaine…

Denis Loizon
Maitre de conférences en STAPS, IUFM de Bourgogne, SPMS (EA 4180), Université de Bourgogne.