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Entre ambition et nécessaire déclinaison

Alors que plus de trente années séparent le présent dossier d’un premier dossier des Cahiers pédagogiques, publié en 1985 (le 239), consacré à la « pédagogie différenciée », il est légitime de se demander si elle est encore d’actualité.

Dès les années 1970, Louis Legrand et une équipe de militants ont expérimenté des dispositifs (groupes de niveau), qu’ils ont eux-mêmes critiqués par la suite au profit de l’idée de « groupes de besoin » avancée par Philippe Meirieu. C’est eux qui ont introduit le terme « pédagogie différenciée ». Il s’agissait pour ces expérimentateurs d’œuvrer à la mise en place d’un « tronc commun » pour le collège unique.

Depuis lors, les volontés de différenciation pédagogique se sont incarnées dans des formes multiples. L’ingéniosité pédagogique est grande et s’exerce dans un contexte profondément modifié.

Le processus qui avait abouti à la création du collège unique s’est amplifié. L’actualité de la pédagogie différenciée, c’est aujourd’hui la volonté d’une école inclusive capable de prendre en charge les besoins particuliers liés aux handicaps ou aux migrations.

L’actualité de la pédagogie différenciée, c’est aussi la visée des compétences. Les élèves ne doivent plus se limiter à exécuter des actions stéréotypées listées sous forme d’objectifs. Ils doivent pouvoir repérer, dans une tâche nouvelle, les traits pertinents pour résoudre le ou les problèmes qui y sont liés, repérer, parmi leurs acquis, les instruments intéressants pour cette résolution, et combiner ces instruments, en vue de la résolution des problèmes posés par la tâche complexe.

L’actualité de la pédagogie différenciée, c’est encore le nécessaire renoncement à la confortable illusion que la difficulté scolaire serait liée à la nature des élèves et à des profils particuliers de ces derniers. C’est la conviction que des malentendus qui inhibent les apprentissages scolaires valorisés se construisent et s’enracinent dans la rencontre avec les savoirs et la culture de l’école. L’actualité de la pédagogie différenciée, c’est la prise de conscience que lorsque le pédagogue méconnait, même partiellement, les réquisits[[Au sens de ce qui est indispensable pour apprendre, au-delà des seuls prérequis, en particulier dans la dimension du rapport à l’univers scolaire.]] des apprentissages scolaires et des tâches proposés aux élèves, son action peut faire basculer les meilleures intentions pédagogiques et creuser toujours plus les écarts entre les élèves, durcir toujours plus les malentendus entre les élèves les plus en difficulté et l’école, les pérenniser, voire en créer d’autres. Toute pédagogie court le risque d’être différenciatrice, c’est-à-dire constructrice de différences potentiellement sources d’inégalités scolaires, toute pédagogie différenciée court également ce risque.

Ce dossier épuisera-t-il le sujet ? Sans doute pas. Le lycée par exemple est très peu représenté, aucune contribution consacrée au nouveau dispositif d’aide personnalisée ou à des dispositifs marquants comme les TPE (travaux personnels encadrés) ne nous est parvenue. Aucune contribution de l’école maternelle également. Des collègues ont partagé des exemples parfois très concrets de leur pratique, mais on ne trouvera pas de recette à transplanter. En effet, ces pratiques décrites sont fondées sur l’analyse d’une situation, preuve que la différenciation pédagogique, acte essentiel d’un métier qui s’apprend, devra prendre toute sa place dans la formation (à reconstruire) des enseignants.