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Enseigner, ça s’apprend

Former à l’enseignement et apprendre à enseigner sont exposés à deux conceptions erronées : la conception selon laquelle le métier de professeur ne s’apprend pas, et celle selon laquelle connaître ce qui est à enseigner suffit à enseigner.

Ce livre de la collection « Mythes et réalités » aux éditions Retz se présente comme le petit frère de Didactique pour enseigner (aux Presses Universitaires de Rennes) et entend répondre à ces deux mythes. Rédigé par le collectif Didactique pour enseigner, il est le fruit d’un travail collectif de 32 chercheur.e.s du Cread (centre de recherche éducation apprentissages et didactique).

Dès l’introduction les auteurs mettent les pieds dans le plat : enseigner, oui ça s’apprend, mais de surcroît cela s’enseigne ! (p.4). Ils questionnent également ce qu’est qu’enseigner : l’enseignant a besoin de connaître ce qu’il doit enseigner, de se rendre « savant d’un certain savoir », mais plus que cela il doit savoir extraire l’essentiel à transmettre. Si ce travail est individuel, il se développe aussi dans le collectif comprenant enseignants et chercheurs, et ceci dans un processus continu car le savoir change, évolue sans cesse. Une fois l’essence du savoir déterminée, l’enseignant doit mettre en place des dispositifs c’est-à-dire des situations qui permettront aux élèves de s’approprier ce savoir. Il lui reste alors à produire les stratégies et les gestes didactiques pour que les élèves répondent pertinemment aux dispositifs mis en œuvre.  Le collectif défend alors l’idée que le métier d’enseignant doit être reconnue comme « profession », au même titre que les métiers de médecin, d’avocat ou d’ingénieur (p.12) tout en précisant que de nombreux changements seront nécessaires pour que cela soit notamment de nouvelles relations entre chercheurs et professeurs, chercheurs et formateurs et personnels d’encadrement (p.174), ainsi que des changements dans la profession de chercheur (p.175). A ce titre, ils relèvent la nécessité d’ingénieries coopératives entre professeurs et chercheurs.

Le collectif d’auteurs développe ensuite neuf conceptions (mythes) présentes dans les discours sur l’éducation et l’enseignement et issues de problèmes réels de la pratique, neuf conceptions « fruits de dualismes finalement contreproductifs pour l’action » (p.172) :

  • évaluer c’est mesurer les progrès des élèves ;
  • il faut différencier ! ;
  • enseignement constructiviste ou enseignement direct : il faut choisir ;
  • pour enseigner il faut obtenir l’attention des élèves ;
  • maitriser les savoirs suffit pour enseigner ;
  • enseigner c’est faire le programme ;
  • les élèves ne peuvent apprendre s’ils n’ont pas les « bases » ;
  • à l’école on n’apprend pas en imitant ;
  • pour mieux enseigner il faut s’appuyer sur les résultats de la recherche.

Chacune de ces thématiques est présentée dans un chapitre en quatre parties s’appuyant sur des résultats et savoirs de la recherche en éducation, essentiellement ceux effectués en théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) qui étudie en quoi les interaction professeur-élèves permettent ou empêchent la construction des savoirs par l’élève. Chaque chapitre propose une synthèse des travaux de recherche sur le sujet, des exemples emblématiques et se termine non pas par des « recettes à appliquer » mais par un petit répertoire d’orientation pour l’action c’est-à-dire des hypothèses de travail pour les enseignants et les chercheurs, des hypothèses à éprouver en classe.

En conclusion de l’ouvrage, les auteurs précisent qu’ils ont voulu les divers chapitres de ce livre comme un système où aucune des problématiques abordées n’est isolée des autres. Ils rappellent également le rôle fondamental de l’école, celui de transmission de la culture, au sens de transmission des pratiques qui ont fait et maintiennent l’humanité (p.172) pour laquelle l’enseignement ne peut être une « individualisation de l’apprentissage ». Le collectif expose pour finir sa vision de la science et de la recherche dans le champ de l’enseignement : « une science de la transmission de la culture, qui prend pour objet les pratiques effectives d’enseignement » (p 173), une « science holiste » qui reconnaît la « solidarité des différentes dimensions de la pratique d’enseignement » et le lien indissociable de l’enseignement et de l’apprentissage (p174) au sein de laquelle professeurs et chercheurs doivent penser des ingénieries coopératives. Quant à la question de la preuve, s’il est essentiel de reconnaître les pratiques fondées sur des preuves ou des données probantes (evidence-based practice), pour les auteurs il est tout aussi essentiel de développer les preuves fondées sur la pratique (practice-based evidence). Les deux, preuves statistiques et preuves anthropologiques, mises en synergie, permettraient de développer la science de la transmission de la culture.

Rachel Harent