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En passant par la peinture…

Dans une conférence (Reims, 1992), le sociologue Jean-Yves Rochex dessinait l’école comme « le lieu du dévoilement des malentendus, au sens psychanalytique du terme ». J’aime bien cette définition…
J’ai quelquefois l’impression que certains enfants se prennent de sacrés chocs en arrivant à l’école… Je ne sais pas s’il faut parler « d’effraction psychique » mais je suis presque sûre qu’ il y a des enfants que certains malentendus empêchent d’être disponibles pour apprendre, pour répondre aux exigences de l’école, alors qu’ils en en auraient les compétences. Une charge affective trop lourde pèse sur des apprentissages, sur la relation au savoir, sur la relation à l’adulte détenteur de ce savoir, sur la relation aux pairs… Et ils sont là, à répéter, à travers des conduites qui ne sont pas ajustées, qui ne sont pas adaptées, leurs préoccupations. Ces préoccupations ne leur ont peut-être pas permis d’achever l’élaboration des capacités préalables nécessaires pour apprendre et pour s’inscrire dans les apprentissages, ou bien alors lorsque ces constructions ont été réalisées,leurs préoccupations les empêchent de les utiliser, ou bien les font revenir à des positions non compatibles avec une vie collective harmonieuse, ou avec leur inscription dans les apprentissages…

J’exerce depuis 16 ans, dans un R.A.S.E.D, un métier de la relation, une spécificité française: je dispense des aides à dominante rééducative. Les enfants qui viennent faire un petit bout de chemin avec eux-mêmes, dans le cadre de cette aide à dominante rééducative, dans un espace dit transitionnel y viennent pour se réconcilier avec eux-mêmes. Dans cette aire, quelque part entre leur monde personnel et le monde social, celui de l’école ici, ils vont être invités à réécrire leur histoire pour se dégager d’un monde intérieur trop prégnant pour s’ouvrir au monde de l’école. Ils vont pouvoir déployer, sans danger, toutes sortes de positions pour, petit à petit, à force d’avancées, de régressions, de trébuchements, prendre la place d’élèves parmi d’autres. Pour être adoubé, il y a tout un parcours initiatique, il faut pouvoir ployer le genou, baisser la tête et le regard…
À travers ces quelques lignes, je souhaiterais m’arrêter sur quelques aspects de mon travail et essayer de montrer qu’ en passant (aussi) par le dessin, la peinture, des enfants peuvent trouver ou retrouver le chemin d’ une meilleure efficience dans les activités proposées en classe et dans les apprentissages, comme il est précisé dans les textes officiels.

Se voir en peinture…

Me revient en mémoire un poème de Prévert « Pour faire le portrait d’un oiseau »…
« Peindre d’abord une cage, avec une porte ouverte »…
Je me dis que c’est ainsi, d’une manière symbolique, que je peux représenter la rééducation… L’enfant vient pour arranger son image d’élève ou pour s’arranger avec elle… Une cage parce qu’on « s’enferme » dans un espace, dans un temps particulier, avec une porte ouverte. Ouverte sur quoi ?
Foin de poésie… Que nous disent les textes?
Les aides à dominante rééducative sont en particulier indiquées quand il faut faire évoluer les rapports de l’enfant à l’exigence scolaire, restaurer l’investissement scolaire ou aider à son instauration… Certains enfants, du fait des conditions sociales et culturelles de leur vie ou du fait de leur histoire particulière, ne se sentent pas « autorisés » à satisfaire aux exigences scolaires, ou ne s’en croient pas capables, ou ne peuvent se mobiliser pour faire face aux attentes (du maître, de la famille, etc.). Les aides spécialisées à dominante rééducative ont pour objectif d’amener les enfants à dépasser ces obstacles, en particulier en les aidant à établir des liens entre leur « monde personnel » et les codes culturels que requiert l’école, par la création de médiations spécifiques. » (CIRCULAIRE N°2002-113 DU 30-4-2002).
Si cette aide est proposée à certains enfants, c’est qu’à un moment, il faut aussi se tourner vers les ressorts de la mobilisation personnelle, vers l’histoire singulière de chacun.
Au cœur de mon travail, il y a cette notion, difficile à définir, d’estime de soi, de regard global positif sur soi : pour se sentir « autorisé » à satisfaire aux exigences scolaires, pour s’en sentir capable, pour se mobiliser afin d’y arriver, l’enfant doit avoir construit une bonne relation avec lui-même, avec son environnement… Et c’est d’abord dans le regard de la mère que se construit le sentiment de sa valeur. L’enfant recherchera des renforcements de cette valeur dans les marques de reconnaissance de son environnement social. Et donc à l’école. Dans ma langue maternelle, il y un proverbe qui illustre, en partie, mon propos: « Tout hanneton aux yeux de sa mère est une gazelle »…
Parmi les différentes manières de définir l’objet de la rééducation, il en est une dans laquelle je reconnais le sens du travail que j’essaie de mener avec les enfants, celle de Jacques Lévine : « La rééducation est la tentative de restauration de l’alliance, à laquelle le rééducateur procède lorsqu’il est face à une dette d’alliance qui a produit, chez l’enfant, un trou au niveau de l’image de soi et de l’image de l’autre, trou, qui, par extension, affecte son rapport au monde, monde scolaire compris.» Je partage cette idée selon laquelle entretenir un rapport « serein » avec l’école, le savoir, suppose de pouvoir s’exprimer et être entendu dans ses besoins, ses plaisirs, mais aussi dans ses difficultés, dans ce qui fait souffrir.
Pour des raisons complexes, certains enfants ont du mal à se retrouver dans cette place d’élève qu’on leur assigne : les fils du sens se sont perdus, emmêlés, dispersés, mal noués dans un jeu relationnel souvent plein de malentendus entre lui, l’école, sa famille… Peut-être y a-t-il eu des sensations insuffisamment mises en mots, peut-être certains questionnements n’ont-il pas été entendus, accompagnés, peut-être l’enfant est-il « enfermé » dans un rôle, à une place… C’est pour changer , se défaire, à son rythme, de ces situations problématiques, en les rejouant, que les enfants viennent travailler avec moi. À travers un certain nombre de supports, les enfants vont s’exprimer, pour se « dire », pour se raconter… Pour mettre à distance ce qui, peut-être, les gêne, les perturbe… Pour donner une forme à ce qui, à l’intérieur d’eux-mêmes, est peut-être insensé… Pour revenir sur un questionnement « sans queue ni tête »… Pour poser des questions fondamentales sous une forme acceptable par l’imaginaire de l’enfant… Sous le regard de quelqu’un qui est partenaire symbolique… Ce que l’enfant donne à voir, donne à entendre est important. Comme est importante la façon dont le rééducateur accueille la création de l’enfant. Alors, dans le cadre de l’aide à dominante rééducative, ils vont disposer d’un espace et d’un temps particuliers où ils peuvent travailler à mettre un peu d’ordre dans ce « désordre » qui est le seul ordre qui leur permette, actuellement, de trouver une certaine cohérence par rapport à l’école et ses exigences.

Dessiner, peindre, c’est jouer…

Les enfants qui viennent travailler vont être accompagnés pour tisser ou retisser d’autres liens avec les codes culturels de l’école. Dans l’espace de la « rééducation », qu’il soit seul avec l’enseignant spécialisé ou dans le cadre d’un petit groupe, l’enfant va revisiter le sens qu’il donne aux apprentissages, à la relation à l’enseignant pour, peut-être, petit à petit lever des malentendus, changer ce sens et faire qu’une charge affective moins lourde pèse sur certains apprentissages, certaines relations. Et ainsi trouver ou retrouver une place d’élève qui réussit au mieux de ses possibilités. L’enfant va travailler à la réconciliation avec lui-même et avec la réussite. Dessiner, peindre, c’est jouer. Avec les lignes, les formes, les couleurs, les espaces, les temps, avec les représentations, les symboles… À travers le dessin, la peinture, d’une certaine manière, l’enfant détient le pouvoir, le moyen de conjurer le sort, de « rejouer » des situations problématiques et de trouver des issues.
Le dessin, la peinture font partie des moyens (à côté d’autres) dont dispose l’enfant (soit parce qu’il les a choisis, soit parce que je les lui ai proposés) pour mener à bien ce travail de « retissage » du système de relations qu’il entretient avec les différents aspects de son environnement scolaire. À travers le dessin, la peinture l’enfant va pouvoir faire fonctionner pour lui-même, dans un cadre contenant, ses capacités imaginaires, ses capacités d’expression, de symbolisation.
Dans ces activités, l’enfant se donne à voir et il donne à voir ce qu’il a produit. Le cadre mis en place permet que cela se fasse dans des conditions de sécurité affective : rien de ce que l’enfant dessinera, peindra pendant les séances ne sortira de la salle de rééducation : cela fait partie du cadre, cadre par rapport auquel ce que fait l’enfant, ce qu’il dit, prend sens.
À travers ce qu’il dessine, ce qu’il peint, l’enfant va représenter, mettre en scène sur la page blanche, des émotions, des affects dont j’imagine qu’il est l’objet et qui peuvent faire partie de ces obstacles qui empêchent certaines conduites. Pour certains enfants, « jeter » sur la feuille est une façon d’ « éprouver » – d’une manière acceptable- certaines situations. Peut-être, le fait d’exprimer dans ce cadre particulier certains affects va-t-il permettre de réduire une certaine tension psychique.
Ce que va dessiner l’enfant, peindre l’enfant, peut aussi être une forme d’exploration, d’apprentissage et d’expériences nouvelles. Sous la présence contenante, le regard bienveillant du rééducateur, l’enfant s’essaie à sortir des sentiers balisés. Le dessin, la peinture permettent d’aborder et de liquider certains conflits, d’intégrer des expériences pénibles. La page blanche devient le lieu du faire-semblant, elle permet d’aborder des faits embarrassants en les répétant pour les maîtriser et tenter de les vaincre. Tout ce travail va permettre d’élaborer ou de réélaborer l’imaginaire sous-jacent aux apprentissages, à des activités comme la lecture, par exemple. Dans toutes les salles où je travaille, les enfants ont à leur disposition ce qu’il faut pour laisser leur trace sur un tableau, une feuille. Ils peuvent dessiner, écrire sur des tableaux (avec des craies, avec des feutres), dessiner, écrire, peindre sur des feuilles de différents formats. Ce qui est amusant, c’est que souvent les enfants pensent à écrire plutôt qu’à dessiner sur des tableaux. Les enfants dessinent, peignent librement. Ils décident eux-mêmes si leur dessin, leur peinture est terminé. Il peut m’arriver de proposer à l’enfant d’écrire quelques mots à propos de son œuvre, d’en faire une histoire. Toute une histoire… J’invite très souvent les enfants à trouver un titre à leur production. Il peut m’arriver aussi, à la fin de la séance, dans le moment de retour sur la séance, de reprendre certains aspects du dessin, de la peinture, par exemple : « Tiens, je remarque que c’est la première fois que… », une manière d’ouvrir à l’enfant la verbalisation de certains affects.

L’enfance de l’art…

Pendant plusieurs séances, D. a choisi des jeux à règles (jeux de société).
Par rapport à ce que je savais de l’enfant, au vu du déroulement des séances, il m’a semblé que D. se tournait vers ces jeux pour se protéger, je le sentais sur la défensive, à distance. Il me semblait bien que je pouvais me permettre d’introduire un grain de sable dans cette répétition. Alors, un jour, j’ai proposé à D. un dialogue autour d’une feuille, avec un crayon de papier. Chacun de nous, à tour de rôle, rajoutait quelque chose à ce que venait de faire l’autre, sans parole. D. a accepté. J’ai pris l’initiative de ce dialogue, puis chacun a réagi à la trace laissée par l’autre. Lorsque nous nous sommes arrêtés, nous avons juste regardé le dessin sans faire de commentaire mais, même si je me méfie de mes interprétations, il m’a semblé qu’ à travers le dessin réalisé ensemble, nous venions, non seulement de signer un pacte mais également de représenter dans une langue accessible à l’un et à l’autre, la définition et le sens de ce travail nommé très prosaïquement « aide à dominante rééducative ». À la fin des 45 minutes, comme à chaque fois, j’ai demandé à D. ce qu’il avait à dire sur la séance du jour, comme à chaque fois, il m’a répondu « Rien. ». J’ai ensuite pris la parole pour mettre des mots, les miens, sur cette séance.
À partir de là, D. a utilisé le dessin pour imaginer, raconter des histoires qui étaient autant de contes. Il mettait beaucoup de soin dans la réalisation de ses « œuvres » : des petits tableaux à chaque fois. À une autre étape du travail, je lui ai proposé d’écrire, sous sa dictée, ses histoires. Et puis, un jour, D. a accepté d’écrire lui-même. Parallèlement à ce qui se passait en rééducation, l’enseignante de CE 2 puis celle de C.M 1 ont pu faire part du changement chez D. : relations nettement moins conflictuelles avec autres élèves, puis, petit à petit D. a investi l’écrit, a commencé à apprendre ses leçons…

A., M. et S. travaillent dans le cadre d’un petit groupe.

A. est maintenu en C.P, M. et S. en C.E1. L’aide à dominante rééducative doit leur permettre, en leur offrant un espace à l’abri, dans un premier temps, des contraintes du groupe-classe, dans un cadre contenant et étayant de « mettre à distance » qui, un imaginaire qui semble les déborder en classe, qui d’oser ouvrir une porte sur ses capacités de création. À chaque séance, chacun choisit une image de l’atelier des contes, et expose aux autres a minima les caractéristiques du lieu ou du personnage choisi. Ensuite, chacun fait un dessin qui prend en compte le choix des deux autres enfants. Ensuite, chacun présente son histoire en quelques mots et lit le titre qu’il a trouvé et écrit. Ce que dessine l’enfant est important, bien sûr. À son insu, il livre dans son dessin de nombreuses informations sur sa vision du monde, sa vision de sa place dans le monde. Ce qui est important aussi, c’est ce qui se passe entre les enfants, ce qui se joue entre les enfants et moi, ce que font les enfants du cadre mis en place. Le groupe offre à chaque enfant une sorte de « kaléidoscope d’identifications » : chacun enrichit les modèles identificatoires des autres.
Par rapport à ce que dessine l’enfant, je peux reprendre ce que dit l’enfant, je peux décrire ce qui se passe pendant la séance, je peux restituer sous une forme symbolisée par des mots les émotions des enfants ; à aucun moment je ne fais d’interprétation : je n’ai pas à me substituer à l’enfant. Je favorise la démarche personnelle, j’accepte le tâtonnement comme les régressions, les refus… En construisant son histoire, son récit, dans ce cadre qui peut être perçu comme contraignant, l’enfant est amené à faire des choix, à « rebondir » sur la proposition d’un autre pour la refuser, la mettre à distance ou se l’approprier, à se vivre un parmi d’autres ( puisqu’avec le même bagage chacun construira sa propre histoire), à accepter la frustration… Ils sont amenés à faire des liens entre les personnages des contes traditionnels associés au « scolaire » et d’autres personnages de leur culture. Ils se font auteurs de leurs propres récits, récits qu’ils portent devant les pairs. À certains moments, les enfants ont pris l’initiative d’écrire une ou deux phrases sur leur histoire. Dans ce travail, je suis garante du cadre, j’essaie d’être à la « bonne distance », à une distance suffisamment bonne – ni trop près, ni trop loin- qui permette aux enfants de faire des expériences dans un cadre rassurant, qui leur permette de se reconnaître comme ayant de la valeur. Dans cet espace, la parole expressive est remise au cœur de la relation, à côté de la parole « référentielle » qui explique, argumente, démontre. J’espère qu’en travaillant de cette manière, pour chacun des enfants, la « re-création » du monde, la redécouverte de soi vont être rendues possibles. C’est surtout dans ces situations de groupe que les enfants en difficulté viennent attiser la tension par rapport à mes propres interrogations sur moi-même, sur mes propres fragilités, ma toute puissance. Je fais un effort particulier sur la lecture du sens de la séance pour ne pas être tout à fait là où m’attendent les enfants, ou là où j’aurais tendance à me mettre…

W. est en grande section.
Il a beaucoup de mal avec les règles de vie de la classe. Il dépense son énergie (et celle de la maîtresse) à tout remettre en cause. L’enseignante trouve que les parents le soutiennent et elle se sent mise en rivalité avec la mère.
Dans la salle de rééducation, W. semble faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il n’y a pas vraiment d’engagement de sa part. Il accepte les livres, les jeux de société, les jeux de ballon presqu’en soupirant. Il me semble être « à la lisière » du travail. Un jour, je propose à W. de faire de la peinture. La peinture a toujours été mise à la disposition de W. dans la salle, mais je crois bien que je m’étais arrangée (sans en être vraiment consciente) pour rendre le matériel inaccessible (tout était posé à hauteur… d’adulte). W. a sauté sur l’occasion, il est resté concentré sur la… tâche… pendant tout le temps de la séance. Pendant tout le temps de la séance, il m’a semblé qu’il essayait de me persuader qu’il pouvait faire de la peinture sans se salir. Jamais il n’a été aussi volubile, autant dans le plaisir de montrer tout ce qu’il sait faire: faire de la peinture, utiliser le rouleau avec dextérité, nettoyer la palette, rincer l’éponge etc. Et pour la première fois dans l’espace de la rééducation, W. a parlé de ce petit frère qui est à la maison avec sa « mamie » pendant que lui est à l’école parce que sa mère travaille et ne peut pas s’en occuper. En analysant ce qui s’était passé pendant cette séance, je me suis rendue compte d’une chose: à chaque fois que j’allais chercher W. je recevais aussi les doléances de l’enseignante et je crois bien que j’ emmenais jusque dans la salle de rééducation les souffrances de la maîtresse. Et, le fameux jour de la peinture, la maîtresse était absente…

Impressions…

La rééducation, c’est une rencontre…Puisque, comme le rappelait un jour, je ne sais plus où, Edgar Morin « le moi n’est pas haïssable », je ferai un rapide détour par ma propre expérience d’élève…
C’est en CM1 que j’ai découvert la peinture. Je garde encore intact le souvenir de la gouache que nous avons pu utiliser sans souci d’économie. Juste pour le plaisir d’expérimenter le choc des mélanges de couleurs sur le papier blanc. Un chiffon, une palette de carton où se coulaient des colombins primaires et, au bout du voyage, les taches incertaines dessinaient un paysage d’automne : ma première œuvre d’art.
Je crois que c’est l’année d’après que, toujours avec la même enseignante, j’ai le sentiment d’avoir ouvert la porte sur une autre culture. Je me rappelle mon émotion d’avoir réussi à reproduire quelque chose qui ressemblait quand même bien à ce tableau de Renoir qui avait servi de modèle. Dans ma culture d’origine, on ne représente pas le corps humain. Dans notre petit village d’Algérie, une grande partie de notre vaisselle était modelée par ma mère ; comme beaucoup de femmes, elle continuait une tradition beaucoup plus vieille que les souvenirs de nos aïeux. Chaque pièce était ornée d’un motif, motif géométrique dont la signification se perdait dans l’oued du temps…
Je suis la première dans ma famille à avoir transgressé cet interdit. Je suis la première à avoir eu droit à l’école laïque, gratuite et obligatoire… Au collège, c’est en classe de quatrième que j’ai retrouvé le plaisir de peindre. Plaisir teinté de culpabilité : les tubes de gouache coûtaient cher… Au lycée, j’ai choisi l’option « arts plastiques »… À l’école normale, pour l’épreuve du C.F.E.N, j’ai présenté un dossier sur le thème du point dans les arts plastiques.
En tant qu’enseignante, avec les différents élèves que j’ai eus, j’ai surtout utilisé les arts plastiques comme moyens d’expression et de découverte. De la matière surtout.

Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
(J. Prévert)
L’aide à dominante rééducative ne s’adresse pas à tous les enfants en difficulté à l’école. .Si un enfant vient travailler avec moi, c’est qu’on suppose que des émotions envahissent son psychisme jusqu’à le rendre indisponible pour apprendre. Ce qui n’a pas été ou a été « mal » symbolisé de son histoire, ce qui n’a pas été élaboré, ce qui n’a pas pris sens grâce à l’imaginaire, ressurgit sous forme de réel, un réel que je suppose porteur d’angoisse. À cause d’émotions non contenues, envahissantes, ou trop contenues, bloquantes, inhibantes, l’enfant manifeste des conduites inappropriées à la situation scolaire. Chaque rééducation est unique: il y a nécessité de s’ajuster au plus près des besoins de l’enfant. Celui-ci semble avoir besoin d’être accueilli avec ses difficultés, rencontrées « là où il est », au sein d’une rencontre singulière, afin d’être accompagné dans son cheminement pour l’aider à devenir auteur de son histoire, à se réconcilier avec lui-même, avec l’école, avec les apprentissages. Pour ce faire, à moi de mettre, dans la salle de rééducation, toutes sortes « d’outils » à la disposition de l’enfant ou des enfants, des médiations de l’ordre du corporel, de l’ordre de l’imaginaire-symbolique, de l’ordre du cognitif. Le dessin, la peinture font partie de la « boîte à outils ».

Mama Zerrouki, Maître à dominante rééducative (maître G) à Chalons-en-Champagne.