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Émile Bravo : « Être adulte, c’est renouer avec son enfance »

© DR

Ce qu’aime Émile Bravo, c’est raconter des histoires. Ses bandes dessinées sont une occasion de répondre aux questions qu’il se posait enfant, et que se posent encore bien des enfants, même devenus grands. Nous l’avons rencontré au Mémorial de la Shoah à Paris, où une exposition présente son Spirou pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale.

Quel genre de souvenirs avez-vous de l’école ?

J’ai de très bons souvenirs jusqu’au lycée. J’aimais bien apprendre, je sentais qu’on me donnait des éléments pour comprendre le monde dans lequel je vivais. Puis est arrivée la crise d’adolescence. J’étais révolté contre le système, contre les adultes qui étaient surtout intéressés par le taux de réussite au bac du lycée, pas par les élèves. J’étais aussi révolté contre la société, qui nous demandait de trouver notre place alors qu’on ne savait même pas qui on était. Je trouvais très injuste que des élèves soient écartés parce que les adultes avaient des aprioris sur eux. Pourquoi nous trier ? Et puis j’ai eu une grosse surprise en découvrant la philosophie en terminale. Pourquoi seulement là, alors qu’il aurait fallu le faire dès la primaire ?

Je me souviens de cinq enseignants qui ont été importants dans ma vie. Leur point commun était le sens de l’humour et leur détachement par rapport à leurs cours. Ils nous faisaient comprendre ce qui était important à saisir, ce qui nous serait utile pour notre construction. Ils s’intéressaient à nous plus qu’aux programmes.

Est-ce que votre parcours scolaire a influé sur votre choix de métier ?

Je n’ai pas été encouragé à aller vers une profession artistique, je ne savais même pas que ça existait. Certains profs me disaient que je pourrais faire une école d’art, mais je ne voulais pas quitter mes amis.

Je faisais rire les copains avec mes bandes dessinées, puis j’ai réalisé que c’était un métier. Mais il n’y avait pas d’école spécialisée, c’était méprisé dans les écoles d’art. Mon rapport à la bande dessinée était celui d’un conteur, raconter des histoires plus que les dessiner. Je ne fais pas un beau dessin, je dessine pour raconter quelque chose. Si je n’ai rien à dire, ou à raconter, je ne dessine pas. Il n’y a pas d’école pour ça, et tant mieux sinon ce serait trop formaté.

Vous n’avez fait que des bandes dessinées pour la jeunesse ?

Non, les premières étaient destinées au monde adolescent et adulte, elles étaient plutôt ironiques, et même grinçantes.

Après, j’ai fait les « épatantes aventures » de Jules. Quand j’avais 9 ou 10 ans, le grand frère d’un copain m’a expliqué la théorie de la relativité, j’ai trouvé ça génial ! Je me posais énormément de questions existentielles, je m’intéressais à l’astronomie, je voulais savoir d’où on sortait. Je me demandais pourquoi on n’apprenait pas ça en classe. Pourquoi nous raconter des mensonges à propos du Père Noël, des princes et des princesses, alors que l’histoire la plus dingue est vraie ? Puis, je me suis aperçu que la plupart des adultes ne savent pas ça… Je me suis dit que si un jour j’avais la possibilité de raconter ça en vulgarisant, je le ferais.

La série parle de la condition humaine avec une toile de fond scientifique ou philosophique, grâce à l’outil pédagogique qu’est l’humour. Ça aide les enfants à se construire, à ne pas penser qu’ils sont le centre du monde, tout cela à travers Jules, un gamin sans super­pouvoirs, qui représente peu de choses à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Nous ne faisons que passer, il ne faut pas gâcher son temps à embêter son voisin.

La série des ours nains est aussi en rapport avec mon enfance. Je mélangeais déjà les contes parce que je leur trouvais beaucoup de similitudes. Les trois ours et les sept nains, c’est la même forêt, la même cabane, la même jeune fille qui vient s’incruster et la même réaction indignée face à l’intrusion. Ours ou nains, c’est nous, dans notre petit confort, qui ne nous rendons pas compte qu’il y a autour de nous un monde féerique plein de possibilités. Pour moi, être adulte, c’est renouer avec son enfance.

Et il y a Spirou…

J’ai grandi avec Spirou et je me posais énormément de questions à son propos, sur sa livrée, ses amours inexistants, ses liens avec Fantasio. Quand on m’a proposé de faire un album, j’ai pensé : « L’adulte que je suis aujourd’hui va expliquer à l’enfant que j’étais qui est Spirou. »

Raconter ce qu’a vécu Spirou à Bruxelles pendant l’Occupation, ça avait du sens, parce que le personnage a été créé en 1938. La série parle de la condition d’un enfant pendant la guerre, et à travers lui de la condition humaine. Il fallait expliquer comment s’est construit un héros qui n’était qu’un enfant au départ. Au départ, Spirou le groom fait un travail servile. Il croit au roman national belge, et pourtant il ne sait rien. Il fallait qu’il s’éveille au monde. Son empathie et l’amour le permettront. Le premier album se termine sur un enfant qui commence à prendre conscience de ses actes et sur la guerre qui éclate.

Je tenais à expliquer ce qui s’est passé alors, parce que je trouve que la mémoire se perd un peu. Je ne raconte pas l’Histoire, mais l’histoire d’humains pris dans la tourmente de la grande histoire. Spirou est entrainé là-dedans. Je voulais faire revivre cette époque, faire vivre ces quatre années d’occupation, la faim, surtout dans les villes, le froid en hiver, et la peur.

Et je voulais en parler objectivement, sans héroïsation, parce que je n’aurais sans doute pas moi-même fait grand-chose si j’avais vécu à ce moment-là. Mon père m’a transmis sa vision humaniste. Il a déconstruit l’image de héros que j’aurais pu avoir de lui, qui avait fait la guerre d’Espagne, en m’expliquant en quoi tout tenait à la chance et au hasard dans son histoire.

Essayer de survivre, c’est ça qui est important. Le quotidien. Si on n’a pas envie d’être un héros, il faut se faire petit. Mais quand on est Spirou, on est contre toutes les injustices de cette période. C’est grâce à cela qu’il garde son humanisme.

Mettre en scène un personnage enfant ou très jeune, ça parle plus aux enfants ?

Oui, parce qu’ils peuvent s’identifier à lui. Être auteur, c’est demander aux gens un peu de temps pour vous écouter. On a intérêt à ne pas lâcher le lecteur, et à lui raconter une histoire à laquelle il peut s’identifier. Mes héros ne sont pas compliqués, ils vous prennent par la main et vous entrainent dans une aventure.
Avec Spirou, on est à hauteur d’enfant, un enfant qui a envie de vivre et qui est amoureux, les éléments pour qu’un autre enfant puisse avoir de l’empathie et s’identifier. Et c’est une bonne façon d’aborder ce sujet et cette époque sans parti pris. Même si, bien sûr, on ne peut pas justifier le nazisme.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Un article paru dans notre numéro 583, Où va l’école maternelle, coordonné par Maëliss Rousseau et Jacques Crinon, février 2023.

L’école maternelle française reste une de celles qui produisent les plus grands écarts de réussite entre élèves selon leur origine sociale.

Dans un contexte de forte pression sur les formes et contenus de la maternelle, quelles valeurs, quels fondamentaux voulons-nous promouvoir ?

 

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/954-ou-va-l-ecole-maternelle-.html