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Écrire en classe de langue étrangère

Si l’écriture est une pratique complexe, elle l’est encore plus dans une langue qu’on ne maitrise pas. Quelques pistes pour donner une place plus importante et différente à la question de l’écriture en classe de langue étrangère et aux conditions nécessaires pour construire la capacité à s’exprimer de façon autonome.

La situation de la production écrite en classe de langue étrangère (LE) est pour le moins paradoxale. D’un côté, un rapport de l’Inspection générale de 2007 constate que « La moyenne trimestrielle en langue se fait pour plus de la moitié des professeurs à partir de quatre à six notes d’écrit et de deux notes d’oral seulement. 70 % de professeurs établissent la part respective de leurs évaluations écrites et orales à 75 % pour l’écrit et 25 % pour l’oral ». De l’autre côté, une enquête de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale) montre que la production écrite n’est pas l’activité langagière privilégiée en classe de langue, l’écrit servant surtout à garder une trace du cours (26,7 % des enseignants), à maitriser les compétences de la matière (24,7 %), mais assez peu à s’exprimer de manière autonome (13 %). Enfin, le rapport du Cnesco (Centre national d’étude des systèmes scolaires) de 2019 souligne que « les élèves français continuent à rencontrer de réelles difficultés pour s’exprimer en langue étrangère. À l’écrit, ils sont nombreux à ne pas rédiger, ou à ne réussir à rédiger qu’à partir d’un modèle (dans le cas du primaire) ».

Penser l’écriture en classe de langue étrangère, autrement que dans les formes les plus usitées citées par les différents rapports, suppose de s’interroger sur le point de vue (qui écrit ?), le destinataire (à qui d’autre que l’enseignant?), l’intention et le sens (pour dire quoi ?), mais aussi les ressources nécessaires du point de vue linguistique, socioculturel et matériel. Il s’agit aussi de prendre des risques, d’émettre des hypothèses, de les vérifier, de questionner son propre texte, d’accueillir ou de chercher des apports extérieurs, d’accepter une élaboration qui sera nécessairement plus lente que ce que l’on aurait souhaité. Écrire, c’est réécrire.

C’est, comme on le voit, très éloigné de l’exercice d’application, du passage du simple au complexe, de l’expression d’idées que l’on jette sur le papier (ou sur le traitement de texte), et davantage d’une organisation, d’une élaboration et d’un travail critique de révision. Il n’est plus question de mots ou de phrases mais de texte, de langue et de communication.

Des conditions à réunir

Si l’écriture est une pratique complexe pour tout un chacun, elle l’est d’autant plus dans la langue étrangère qu’on ne « maitrise » pas. C’est pourquoi il faut que l’enseignant crée des situations qui puissent autoriser à prendre des risques, donner du sens et étayer l’écriture.

Autoriser et familiariser

Si la production écrite doit être nourrie par la compréhension avant tout, il est nécessaire de la proposer, en la dédramatisant, très rapidement et régulièrement en classe avec un enjeu de communication véritable, une forme « appétissante » et des ressources variées. Parmi ces ressources, celle du groupe de pairs qui permet, par la coopération, l’apport d’idées et le conflit sociocognitif, n’en est pas la moindre.

Des tâches d’écriture « réelles »

Selon les moyens linguistiques dont disposent les élèves aux différents moments de leur apprentissage de la LE, les tâches d’écriture seront plus ou moins poussées : mise en ordre de fragments pour aboutir à la reconstitution d’un texte cohérent, élaboration de légendes à disposer sous un dessin ou une photo pour lesquelles on se saisit de blocs lexicaux qu’il faut adapter à la nouvelle situation, interview du personnage rencontré dans un poème (dans lequel on puisera les matériaux nécessaires pour les questions possibles et les réponses pertinentes), ateliers d’écriture à partir de textes authentiques qu’on « plagie », création de devinettes, rapporter un évènement selon un point de vue différent, etc.

Plus tard, on travaillera sur des formes et des genres, à partir de textes authentiques : lettres (d’amour, au courrier des lecteurs, administrative dans le cadre d’un projet, du peintre à son modèle, etc.), biographies, calligrammes, chansons, romans-photos ; donner à voir un monument ou un site à travers le point de vue de personnages divers, écrire des contes qu’on racontera à d’autres par la suite, etc. Ou même une pièce de théâtre bilingue qu’on pourra ensuite jouer.

Sans oublier certaines tâches fonctionnelles, importantes comme la reprise des notes sur affiche, à organiser et développer, et les écrits réflexifs pour faire le point et avancer.

Étayer l’écriture

Si l’on écoute ce que disent les apprenants, ce sont les éléments appartenant aux processus de « bas niveau » qui les bloquent : le manque de vocabulaire, l’orthographe, les conjugaisons, etc. Plutôt que de distribuer des listes de vocabulaire, comme « aide à l’expression », il vaut mieux proposer des tâches de constitution d’un réservoir langagier commun dans lequel ils pourront puiser et auquel ils devront se tenir, pour apprendre à mobiliser ce qui est déjà là et ne pas se perdre dans une recherche de vocabulaire sans fin. Prises de notes faites par l’enseignant lors des interventions des élèves, documents distribués – questions préalables, citations, textes divers, fresque effervescente, « vrai/faux » détourné de sa fonction de contrôle – sont autant de points d’appui auxquels on peut à tout moment faire référence et dont on peut se servir pour s’exprimer. Dans les moments de travail en groupe, les apprenants ont toujours le texte ou le document, le livre ou le cahier à disposition et peuvent à tout moment utiliser ces recours et se convaincre que l’enseignant n’est pas la seule ressource disponible. Les ateliers d’écriture sont des moments importants de production écrite où interviennent la mise en effervescence par la recherche de mots, le travail sur les mots suivant l’axe idéel (association d’idées) et l’axe matériel (association de sons), mais aussi l’obligation d’inclure dans son texte un élément nouveau ou un mot« cadeau », qui perturbent le premier jet et obligent à une réorganisation et à un retravail plus poussé.

Améliorer les textes

La correction de la langue est un problème soulevé invariablement, surtout quand il s’agit de l’écriture. Un travail abouti, nul ne le discute, doit être réalisé dans une langue correcte, mais pendant le processus d’écriture, il faut admettre qu’il y ait des erreurs pour qu’il y ait apprentissage. L’interruption systématique dans les interventions orales, tout comme la correction prématurée des écrits bloquent toute production. Les élèves, dans un premier temps, portent leur attention principalement sur le sens et peuvent difficilement soigner la langue. Il faut accepter qu’il y ait des erreurs pendant les temps de production et prévoir des temps de réflexion, de régulation et d’amélioration, tout au long du travail d’écriture.

Les listes de vérification qui permettent de mettre l’apprenant en vigilance à la fois sur la communication et sur le code linguistique sont des outils de régulation qu’on aurait tout intérêt à utiliser en classe. Un autre exemple, l’atelier d’amélioration de textes qui prend appui sur ces constats : c’est l’apprenant lui-même qui doit intervenir, d’abord sur les textes des autres – il est bien plus aisé de détecter les erreurs des autres que les siennes – et la priorité doit être donnée au sens. C’est l’interpellation des textes produits par les autres groupes – une lecture positive proposant des suggestions plutôt que censurant – qui permet aux auteurs d’interroger leurs propres productions. En s’efforçant de répondre aux questions et aux suggestions proposées, pour mieux se faire comprendre, pour être plus convaincants ou plus émouvants, ils sont amenés à prêter attention à la forme. Ces prises de conscience contribuent à la mise en vigilance, caractéristique de la double focalisation nécessaire pour se construire la compétence langagière requise, ainsi qu’à des prises de décision quant à des erreurs répétitives dont il s’agit désormais de se débarrasser. Sans oublier que tout ne peut pas être corrigé par les apprenants eux-mêmes.

Quelques points de vigilance
  • La transcription d’un enregistrement ou d’une conversation n’appartient pas au registre de l’écrit. Elle peut, en revanche constituer un matériau de travail, une étape intermédiaire.
  • La correction imposée n’est pas un bon étayage, un bon outil de transition vers l’autocontrôle. L’enseignant privilégie donc des interventions sous la forme d’apports de ressources, de modalités de travail, de relance, de questionnement sur les processus, de guidance plutôt que de guidage« Le guidage empêche la recherche et ouvre sur la dépendance. La guidance favorise la recherche et ouvre sur l’autonomie ». Voir à ce propos Gérard De Vecchi et Nicole Carmona-Magnaldi, Faire construire des savoirs, Hachette, 1996, p. 130., basées sur le principe de dévolution. Ainsi, les questions individuelles ou émanant d’un groupe sont renvoyées à la classe, investie alors d’une responsabilité nouvelle.
  • Dans l’écriture, la convocation de l’intime n’est pas une obligation. On peut « avancer caché » tout en s’impliquant complètement.
  • Donner du sens et encourager à l’écriture implique de valoriser les écrits par la présentation et le partage qu’on en fait avec d’autres.

Ces quelques pistes de réflexion et propositions de travailOn trouvera, dans la littérature du secteur Langues du GFEN (voir encadré) les descriptifs de ces propositions de travail et bien d’autres. peuvent aider à donner une place plus importante et différente à la question de l’écriture en classe de LE et aux conditions nécessaires pour construire la capacité à s’exprimer de façon autonome.

Maria-Alice Médioni
Centre de langues, université Lyon 2, secteur Langues du Groupe français d’éducation nouvelle (GFEN)

Des propositions de travail

Des ouvrages :

GFEN, (Se) construire un vocabulaire en langues, Chronique sociale, 2002

Maria-Alice Médioni, L’art et la littérature en classe d’espagnol, Chronique sociale, 2005

GFEN, Réussir en langues : un savoir à construire, Chronique sociale, 2010

GFEN, 25 pratiques pour enseigner les langues, Chronique sociale, 2010

Maria-Alice Médioni, Enseigner la grammaire et le vocabulaire en langues, Chronique sociale, 2011.

Maria-Alice Médioni, L’évaluation formative au cœur du processus d’apprentissage : des outils pour la classe et pour la formation, Chronique sociale, 2016.

Des sites :

https://www.gfen-langues.fr/

https://ma-medioni.fr/


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Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.