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E pure si muove !
Personne ne peut être satisfait du fonctionnement actuel de l’école. Voilà sans doute le seul constat sur lequel se rallieront tous les acteurs de l’éducation. Mais d’où viennent les dysfonctionnements ? De ce qu’on a trop « réformé », en s’éloignant des missions fondamentales de l’école républicaine, comme le pensent certains, ou tout au contraire, parce que les choses n’ont en fait pas assez bougé, qu’on a surtout changé en surface pour ne pas changer sur le fond ?
Les Cahiers pédagogiques ont toujours été dans le « parti du mouvement ». Pas aveuglément, pas béatement, mais comment imaginer que l’école n’évolue pas, quand le monde lui-même évolue, quand les élèves, culturellement et sociologiquement, ne sont plus du tout les mêmes ? Certes, tout ce qui bouge n’est pas or, mais le système éducatif ne peut rester figé. Se posent alors les questions de l’origine des changements et de leur sens.
Depuis quelques mois des réformes se mettent en place. Si nous voulons prendre au sérieux l’idée de démocratiser l’accès au savoir, de lutter contre l’exclusion, de former le citoyen actif et créatif de demain, si nous voulons remplir nos missions de transmetteurs de connaissances, de « passeurs culturels », mais aussi d’éveilleurs et d’éducateurs, nous ne pouvons que désirer des changements effectifs et organisés dans le système éducatif, comme l’indique la devise qui se trouve sur la couverture de chaque numéro des Cahiers. Mais nous ne pouvons pour autant oublier le premier de nos principes d’orientation : « l’évolution du système éducatif doit être éclairée par une recherche […] qui ne doit être décidée et animée par une quelconque hiérarchie mais relever des acteurs mêmes de l’éducation, sur leur terrain et à leur niveau ». Ainsi, si nous souhaitons soutenir les dispositifs proposés par l’institution quand ils vont dans le bon sens nous continuerons à affirmer que « les réformes ne peuvent, sous peine d’être inefficaces et détournées de leur inspiration, être décidées unilatéralement. […]. Le CRAP-Cahiers pédagogiques se prononce pour le droit à l’initiative individuelle et collective. […] Il encourage et se propose d’impulser des actions de nature nécessaires à la sauvegarde de ce droit. Il est décidé à lutter contre toute décision et forme de répression contraire à ce droit d’initiative » (principe 10).
Aussi devons-nous à la fois soutenir les nouveaux dispositifs proposés par l’institution quand ils vont dans le bon sens, même si leur mise en œuvre est souvent complexe et problématique, et développer les initiatives innovantes porteuses de la dynamique et des valeurs que nous affirmons, en toute indépendance. Pas forcément simple !
Ce que nous pouvons attendre des réformes
Venons-en aux finalités de ces réformes. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elles aboutissent :
– À un recul du cloisonnement disciplinaire.
– À une meilleure prise en compte de l’élève comme sujet, dans sa diversité, avec ses difficultés individuelles, mais aussi avec ses besoins d’échanger avec ses pairs et les adultes.
– À une ouverture de l’école vers les grands sujets qui interpellent le monde de demain et qui peuvent redonner du sens au travail disciplinaire ou interdisciplinaire.
– À la formation d’une citoyenneté active, une socialisation qui soit réellement « démocratique », ce qui passe notamment par une prise plus grande de l’élève sur la vie de l’établissement, dans le sens de sa responsabilisation.
– À un développement du travail en équipe, pas seulement celui des enseignants, mais de tous les personnels concernés.
On peut voir clairement que les innovations dont il sera question dans ce dossier sont en congruence avec ces finalités, que ce soit les travaux personnels encadrés, les travaux croisés, l’aide individualisée, l’heure de vie de classe, le tutorat, l’éducation civique, juridique et sociale, sans oublier par exemple les nouveaux programmes de français qui font couler beaucoup d’encre.
Attention aux dérives…
Évidemment, les dérives existent, consubstantiellement à toute réforme :
– Une interdisciplinarité sans principe, qui oublierait les approches spécifiques à chaque discipline et déboucherait sur une bouillie informe.
– Une vie scolaire qui serait surtout destinée à « pacifier les banlieues » et à moraliser les gêneurs (avec peu de chances d’efficacité d’ailleurs !).
– Une soumission à l’air du temps qui pourrait prendre la forme de vagues débats où les plus forts exprimeraient des idées qui seraient moins les leurs que celles d’un univers médiatique superficiel [[Il s’agit d‘ailleurs moins d‘une dérive que d‘un fantasme concernant l’ECJS, c’est avoir bien peu de considération pour les enseignants qui sont amenés à l‘assurer que de penser qu’ils peuvent aussi facilement renoncer à la rigueur de l‘échange argumentatif. Toutes les expériences que nous connaissons montrent bien qu’il s’agit là de la manifestation d‘une mauvaise foi qui masque souvent une défense corporatrice d‘un découpage disciplinaire figé à jamais…]].
– Une séparation dangereuse entre des structures d’aide, très individualisé, et le travail dans la classe qui serait inchangé, l’aide évitant précisément de remettre en cause l’essentiel : le cours tel qu’il est trop souvent.
– Un renoncement à des exigences en termes de culture et de savoir, à ne pas confondre avec l’utilisation de la « ruse pédagogique », du « détour » nécessaire si on veut toucher vraiment tous les publics (s’adapter aux élèves pour qu’ils puissent s’adapter à notre « ambition »).
Reste à s’interroger sur les stratégies de mise en place de ces réformes, sur leur articulation, sur leur mise en synergie [[Nous savons combien il y a eu de « ratés » dans le lancement de ces réformes : accompagnement médiocre ou inexistant (conjugué à une régression catastrophique de la formation continue, pourtant plus que jamais indispensable), politique de communication désastreuse, incohérence des discours, manque de courage symbolisé par la fluctuation des textes et des décisions. Les pédagogues novateurs en voudront longtemps à Claude Allègre, par son incapacité à gérer la complexe machine « Éducation nationale », d’avoir en partie discrédité certaines idées qui nous sont chères.]]. Reste à se poser la question des moyens nécessaires pour qu’elles fonctionnent autrement qu’au coup par coup et que sur les marges. Ce n’est pas vraiment l’objet de ce dossier « d’étape ». Ce n’est qu’en partie l’affaire d’un mouvement pédagogique qui renvoie aussi pour cela aux forces politiques et syndicales, même si nous avons, ô combien, notre mot à dire.
Si on en croit le ministre actuel et à en juger par les mesures prises en avril dernier, les « réformes » vont poursuivre leur chemin, dans des conditions apparemment plus favorables. Certaines ont déjà vu le jour, d’autres n’en sont qu’à l’expérimentation. Il nous semble qu’il y a « à faire » avec elles, car elles vont dans la bonne direction, même si nous voulions, nous, qu’elles aillent plus loin. Nous avons dans ce numéro voulu donner la parole à des praticiens, engagés sur le terrain, souvent dans des établissements difficiles. Si nous n’espérons pas convaincre les opposants irréductibles à toute évolution de l’école, nous pensons contribuer cependant à une appréhension plus conforme à la réalité de ce qui se joue dans les collèges et les lycées aujourd’hui.
La rédaction des Cahiers pédagogiques