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Du mouvement et de la permanence !

Étions-nous plus innovants et ambitieux il y a vingt ans qu’aujourd’hui ? J’ai une impression agaçante de faire du « surplace » avec des réformes de façade qui n’ont rien de bien nouveau et qui n’apportent pas le souffle nécessaire aux vrais projets. Dans le même temps, je suis convaincue que l’école occupe, plus que jamais dans une société en profonde évolution, un espace où les valeurs de justice sociale, de tolérance, de vie collective sont encore vives et porteuses de sens. L’école doit rester ce pôle fort de la société et tendre vers plus de démocratie et de justice. Pour cela, elle est obligée de bouger, de se refonder chaque fois que les valeurs bougent autour d’elle. Mais « bouger », « innover » ne veut pas dire s’adapter aux conditions, aux pressions du moment au point d’en oublier ses fondements, les valeurs qui l’ont fait naitre.

Notre histoire, évoquée dans un article paru en 2002 dans les Cahiers pédagogiques, se poursuit. Les équipes ont en partie changé, mais l’esprit « Aiguerelles » est resté. Comment et pourquoi ?

La constitution des équipes s’est suffisamment pérennisée pour que certains projets se développent sur plusieurs années. Par exemple, le projet de socialisation des classes de 6e, qui a vu le jour dès les années 1990, a changé de forme et de cadre suivant les équipes qui menaient le projet. Aujourd’hui, nous n’avons plus la possibilité de partir sur deux journées avec les classes de 6e comme en 2002, mais l’esprit de partage et de convivialité avec l’ensemble des équipes éducatives et les élèves est toujours au cœur de cette journée. Tous les professeurs participent à cette journée de pleine nature, à un piquenique géant, à des ateliers coanimés par les adultes du collège (surveillants, professeurs, agents techniques). D’autres projets transdisciplinaires ont vu le jour : ainsi un spectacle de fin d’année animé par toutes les classes de 6e permet de travailler de manière transversale tout au long de l’année (théâtre, musique, danse, cirque, escalade) et d’échanger entre les différents lieux de vie du collège.

Le projet du collège et les attentes des parents, soucieux de la bonne intégration de leur enfant dans le milieu scolaire, restent convergents. Les parents adhèrent à notre démarche et font confiance à l’équipe éducative : les rencontres sont multiples (une par niveau dès la rentrée, puis une après les conseils de premier trimestre et de second trimestre). Ils sont actifs, présents dans le FSE et organisent avec les enseignants des actions pour aider à la réalisation des projets : loto, vide-grenier…

Le collège présente toujours la même mixité sociale qui représente un défi et une constante remise en cause pour répondre aux différents besoins. Le collège n’a pas été classé en ZEP, mais la demande a été faite plusieurs fois. Pour faire face aux dérogations vers le collège voisin de centre-ville qui jouit d’une meilleure réputation, notre établissement a développé des dispositifs dans l’apprentissage des langues : classe internationale en langue allemande (projet de bassin depuis la maternelle) et section escalade.

Les dispositifs mettent en œuvre la créativité, la responsabilité de chacun et la prise de risque, l’interdisciplinarité. Chaque individu a une place unique au sein du projet (là où il est le plus porteur), mais le projet reste une affaire de collectif. Il faut une bonne dose d’abnégation et d’engagement en faveur de la réussite du projet pour dépasser les ambitions personnelles : chaque fois que pointe un leadeurship un peu trop marqué ou au contraire des attitudes trop en retrait, l’énergie du groupe est gaspillée à d’autres fins que le projet. Les réunions de coordination annoncées dans l’emploi du temps des membres de l’équipe sont utiles pour réguler cette énergie et de ne pas perdre de vue les objectifs fixés en redonnant à chacun la place, la responsabilité et l’engagement qu’il a choisi d’investir au démarrage du projet. L’équipe administrative assure le soutien logistique et l’accompagnement humain. En aucun cas elle ne se sert des résultats pour afficher un palmarès du « meilleur principal » : la logique d’entreprise nuit à l’esprit de projet !

Un établissement à taille humaine

Nous sommes passés d’un effectif de 840 en 2000 à 430 élèves en 2013. La vie au sein de l’établissement en est nettement plus agréable. Les contacts sont cordiaux, dès l’arrivée au matin : sourires, « Bonjour, madame », enlever son bonnet, sa casquette, autant de rituels répétés qui facilitent la vie de groupe. Une forte complicité se noue entre les élèves, les surveillants et les autres personnels. C’est un des points qui est problématique aujourd’hui : un poste de surveillant est affecté à deux personnes à mi-temps, il est plus difficile de former des équipes cohérentes à la vie scolaire puisque tout le monde ne partage pas le même temps scolaire. Pour pallier ce manque nous avons mis en place des heures de pause : dans le temps libre des professeurs il y a les heures dites « de trou » pendant lesquelles nous accueillons des élèves qui ont été exclus de leur cours et qui sont « en attente à la vie scolaire ». Le but est de comprendre avec l’élève ce qui s’est passé et de renouer le fil du dialogue avec le professeur qui l’a exclu de son cours

Le rôle de la formation

Pour assurer ces missions délicates d’accompagnement de ces élèves, il faut prévoir une formation d’établissement qui donne des outils communs aux adultes qui les prennent en charge. La PNL, les méthodes de lecture, la motivation, la formation des élèves à la médiation : tous ces outils étaient adaptés ensuite à la classe avec l’aide d’une équipe de formateurs de Montpellier sur la pédagogie des moyens pour apprendre. Ces formations au sein de l’établissement ont joué un rôle de ciment de l’équipe parce qu’elles nous donnaient des outils transversaux communs à échanger avec les élèves et qu’elles nous permettaient de forger une identité d’établissement. Il est à souligner que la demande venait des équipes et non de l’administration.

La coanimation est un levier extraordinaire pour renforcer la cohésion du groupe et la force d’adhésion des élèves. Chaque fois qu’elle a été rendue possible, elle a permis aux élèves de nous voir « acteurs au travail » avec eux plus que « producteur de savoirs ». L’attitude des élèves les moins scolaires s’en trouve profondément changée : ils s’expriment, prennent des initiatives, s’engagent. Bon, soyons réalistes, cela ne se produit que rarement dans une année scolaire puisque cela dépend de notre volonté et de notre addiction au bénévolat. Dommage !

La salle des parents existe encore, dix ans plus tard, jouxtant la salle des professeurs ; des permanences y sont assurées par les parents délégués. Ce qui a disparu ce sont les actions de formation à l’écoute et à la médiation menées par la documentaliste. Elle a été pendant des années l’inspiratrice de nombreuses innovations et réflexions dans nos approches éducatives et pédagogiques. Après son départ, force est de constater que tout ce qu’elle animait personnellement n’a pas perduré. Mais l’esprit, le mode d’approche, le questionnement ont assez imprégné le groupe pour que d’autres projets naissent de la même philosophie. Cependant, je dois témoigner ici du rôle majeur qu’a joué le CDI dans ces années-là : véritable plateforme tournante où se rencontraient tous les adultes aux moments des heures de pause pour se réunir, déposer des informations, rencontrer des élèves. La documentaliste et son équipe assuraient le lien entre les enseignants, associaient ceux qu’on voyait peu. Les élèves venaient spontanément au CDI : ils y avaient leurs habitudes, leurs initiatives, les projets dont ils étaient responsables. S’il est des postes à pourvoir, c’est d’abord celui-là, autour d’un vrai projet d’ouverture aux équipes et aux élèves : une seule documentaliste au CDI et les portes se ferment à certaines heures ! et le lieu ne s’adresse plus qu’à un nombre restreint d’élèves dans des cadres prédéfinis ! Tristesse…

Qu’est-ce qui fait que ça dure ? Qu’est-ce qui fait que malgré une réputation de collège difficile qui fait fuir certaines familles, d’autres nous témoignent leur fidélité et leur reconnaissance ? Les dérogations pour le collège de centre-ville voisin (mieux côté, mais qui n’obtient pas forcément de meilleurs résultats au DNB) diminuent puis remontent selon la rumeur, tenace. Cette défiance vis-à-vis à de la fréquentation du collège est souvent attribuée à la présence dans l’établissement de nos élèves de SEGPA, venant de milieu gitan. Ces familles habitaient il y a dix ans près du collège avant la démolition de leur cité pour construire l’Hôtel de Ville de Montpellier. Elles ont été déplacées hors du secteur du groupe scolaire, mais ont obtenu l’autorisation de continuer à scolariser leurs enfants dans les écoles maternelles et primaires de leur ancien quartier. Il est certain que ces familles gitanes étaient très attachées à leur quartier et nous connaissons certaines familles depuis plusieurs générations. Nous accueillons des publics spécifiques, SEGPA et Espace Senghor (plateforme d’accueil d’élèves nouvellement arrivés en France) et nous en sommes très heureux, mais cette spécificité rend complexe notre représentation auprès d’un public de parents et nous manquons de moyens humains pour permettre des actions de communication, d’échanges avec les classes.

Qu’est-ce qui fait encore que nos anciens élèves repassent fréquemment, interviennent avec plaisir dans une classe de 3e pour informer sur l’orientation ?

Qu’est-ce qui fait que nos jeunes collègues de passage au collège nous disent combien ils ont apprécié dès le premier jour l’ambiance dans la salle des professeurs ? ou que les anciens partent en disant que « un collège comme ça » ils ne l’ont pas connu ailleurs ?

Qu’est-ce qui fait que la principale du collège, en poste depuis seulement deux ans, reporte d’un an son départ à la retraite pour soutenir nos efforts engagés ?

Et qu’est-ce qui fait que je persiste, tous les matins, à traverser toute l’agglomération montpelliéraine pour retrouver le collège à 45 minutes de mon domicile alors que j’habite un village tranquille du nord de Montpellier, à 200 m d’un collège ?

C’est bien une « histoire en devenir » que je vais y retrouver… une histoire dont nous avons collectivement la mémoire sans nous l’approprier, une histoire qui a forgé notre identité collective. Nous sommes, élèves et personnels, le collège en marche !

Viviane Alric
Professeure de français au collège Les Aiguerelles de Montpellier