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Du bon usage des manuels

« Le livre scolaire est par nature et par fonction un livre dangereux, quel que soit son auteur, quelle que soit sa doctrine », écrivaient les auteurs du dossier des Cahiers pédagogiques paru en 1978 et intitulé « apprendre sans manuel ». Il suffit de lire le titre du présent dossier « du bon usage des manuels » pour avoir une idée de l’évolution des positions de notre revue. Implicitement, nous acceptons les manuels et n’accolons plus à ce mot le panneau « danger » comme le faisait un autre dossier trois ans plus tôt.

Il se trouve que le présent dossier, qui a démarré à l’occasion d’un colloque sur les manuels de français à Saint-Lô en 1996, s’est achevé alors même que ces fameux manuels sont sous les feux de l’actualité. À la rentrée 1998, le ministre, dans son style bien particulier, tonne contre ceux-ci, les accusant d’être inadaptés, pas vraiment faits pour les élèves, contenant des connaissances inutiles au lieu d’être centrés sur les apprentissages fondamentaux. On lira plus loin les réponses des éditeurs, avec qui nous avons eu de nombreux contacts pour élaborer ce dossier (signe de complaisance des Cahiers vis-à-vis d’une logique commerciale – ou bien plutôt souci d’équilibre et d’objectivité, qui n’empêche nullement l’impertinence qui n’a pas disparu, loin de là, on pourra en juger ?) Disons surtout que le débat n’est pas toujours bien engagé lorsqu’on en reste d’un côté aux invectives, de l’autre au simple plaidoyer pro domo.

Il est des manuels meilleurs que d’autres ; on essaiera de dégager quelques critères pour savoir les distinguer. Il est intéressant de constater que nombre de chercheurs en didactique [[Rémi Brissiaud (voir sa contribution) en est un exemple ; mais on pourra citer en français des chercheurs comme ceux de la revue Pratiques, ou Claudette Oriol-Boyer, en mathématiques, des militants de l’association des enseignants de mathématiques, etc.]], que des militants pédagogiques mêmes, se sont lancés dans l’aventure de la rédaction de manuels, se sont « sali les mains » plutôt que d’adopter la posture commode du critique ricanant. Leur tâche est difficile, puisqu’il s’agit de rédiger un outil qui doit être choisi et pratiqué, et pas seulement par un petit nombre de pédagogues convaincus. Où on retrouve une logique commerciale dont on peut se méfier, mais avec laquelle il faut bien composer.

Cependant, un manuel n’est bon que si l’on s’en sert, et si l’on s’en sert bien. Et la question de la fonction du manuel se doit d’être bien explicitée, ce qui n’est pas toujours le cas dans les médias quand on évoque le sujet. Des spécialistes comme Alain Choppin, mais aussi divers chercheurs engagés nous aident dans ce dossier à y voir plus clair, et à distinguer sans doute types de manuels et usages différents de manuels. Le manuel est-il un document de référence, une mine d’exercices, un ensemble de propositions pédagogiques, un recueil de documents ? Peut-il être tout cela à la fois de manière pertinente ?

De plus, on ne peut considérer le manuel de façon neutre. Sa conception renvoie à des options didactiques et pédagogiques, comme on le voit en faisant le tour de quelques disciplines (deuxième partie). Bien entendu, il aurait fallu un énorme Cahier pour aller voir dans chacune d’entre elles (et en examinant les différences entre niveaux d’enseignement). Nous avons fait des choix ; il n’est pas interdit de proposer ultérieurement une analyse dans des disciplines absentes du dossier (comme les sciences physiques par exemple).

On trouvera surtout, dans ce dossier, des idées pour mieux savoir quoi faire des manuels, quand les utiliser (bien entendu savoir quand ne pas les utiliser, savoir quand s’en passer, mais peut-être aussi savoir jouer avec, en écrivant une page de manuel par exemple comme le propose Bernard Bled), comment apprendre aux élèves à les utiliser (apprendre à manier leur  » langue « , apprendre à décoder les questionnaires) Nous avons accordé une place secondaire à la critique des manuels, même si nous avons voulu qu’elle ne soit pas absente (cf. notamment l’article d’Annette Béguin). On remarquera que la  » critique idéologique  » ne fait qu’affleurer – il y aurait pourtant encore beaucoup à dire sur le sexisme encore présent [[Nous y reviendrons dans un prochain dossier  » filles et femmes à l’école « .]], sur la présentation qui est parfois faite de l’histoire, sur les choix faits dans les manuels de français, etc. Cette critique reste toujours à faire, mais il nous semble que la priorité aujourd’hui n’est pas là. N’est-elle pas, à l’heure du développement du multimédia, de l’abondance de l’information, mais aussi du chantier des réformes à mettre en uvre, de réfléchir de façon approfondie à l’utilisation de cet outil qui demeure « incontournable ». Nous ne regrettons pas nos critiques si virulentes d’antan (elles ont peut-être contribué à faire bouger les choses), mais nous savons qu’il est, sans manuels, des cours désastreux et que travailler sans manuel n’est nullement un gage de progressisme. Pragmatiques, nous ne ferons pas l’impasse sur les manuels, sans cesser de penser qu’il s’agit là d’une affaire trop sérieuse pour ne la confier qu’aux marchands. Et encore une fois, qu’on ne prenne pas ce mot pour une injure ! La tension entre le commercial et le pédagogique peut être féconde, si les pédagogues s’intéressent peut-être davantage aux manuels. C’est un des objectifs de ce Cahier.

Jean-Michel Zakhartchouk.