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Doutes ou plouf  !

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Dans tout domaine de la vie, il s’avère impossible d’avancer sans un déséquilibre provoquant le salutaire pas suivant. Pourtant, cette homéostasie, tant physique qu’intellectuelle, apparaît tour à tour vitale ou mortifère dans sa recherche hâtive de la stabilité. Vitale car on ne saurait exister dans le doute permanent, l’incertitude intempestive, la remise en question de tout, tout le temps. Notre action en serait paralysée tant la peur de mal faire gouvernerait. Mais mortifère aussi si la paresse et la crainte s’installent et nous invitent à demeurer figés dans ce nouvel état de stabilité qui apaise, rassure puis endort en nous laissant croire que l’on sait, à tout jamais.
Il en est de même pour la ligne de fracture dans les débats autour de l’école. Le pédagogue Célestin Freinet distinguait ainsi deux sortes d’individus : « ceux qui font encore des expériences et ceux qui n’en font plus ». En effet, certains propos sont vitrifiés dans leurs certitudes, figés dans leur rigidité, au point que doutes, nuances et discernements restent durablement mis à l’écart. Ainsi l’autosatisfaction domine et permet une admiration béate et aveuglante des « vieilles méthodes » loin de regards autrement plus exigeants.
C’est d’autant plus dommage que l’on attend justement des élèves qu’ils sortent de leurs préjugés, de leurs représentations et autres conceptions insatisfaisantes. N’oublions pas qu’apprendre, c’est toujours remettre en cause ce que l’on sait, en amendant, corrigeant, enrichissant la vision que l’on avait d’une connaissance. Bref, trop de fierté mal placée tue l’apprentissage !
Voilà pourquoi au contraire, pour d’autres enseignants, la navigation est incessante entre ce que l’on voudrait faire et la réalité. Il s’en suit d’inévitables ajustements et adaptations. Ce refus d’une complaisance outrageuse sert de garde-fou non par masochisme mais par souci stimulant et envie généreuse de mieux faire parce que l’importance de nos missions le demande. Elle interdit l’affaissement et convoque bien au contraire le mouvement, l’initiative, l’action. C’est finalement une chance puisque les vers ne peuvent pas plus bondir que les cailloux plier !
À l’heure où l’arrogance vindicative, l’éloquence vaniteuse et la morgue hystérique séduisent tant, il faut assumer notre attitude dubitative, nuancée mais constructive face à tous les Narcisse de l’enseignement qui se contemplent dans le reflet médiatique de l’eau croupie des opinions toutes faites. Car c’est bien de nos incertitudes initiales que notre travail tire encore et toujours sa force. Sans aucun doute !