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Dossier « Confiance, éducation et autorité »

Quel rôle joue la confiance dans l’éducation ? Dans quelle mesure cette dimension essentielle est-elle présente dans les politiques éducatives mondiales, aussi variées soient-elles dans leurs méthodes et leurs programmes ?

C’est la nouvelle enquête que la Revue internationale d’éducation de Sèvres a proposé à différents chercheurs dans une dizaine de pays et qui est présentée dans ce numéro.

Tous ces auteurs se sont penchés avec beaucoup d’honnêteté sur les particularités de leur système éducatif, que ce soit en Angleterre, au Bénin, au Brésil, au Cambodge, au Chili, à Djibouti, en Finlande, en Nouvelle-Zélande, au Portugal et en France. Ils en font un état des lieux à la fois lucide et critique, apportant chaque fois des éclairages singuliers, propres à leur pays. On y remarque la forte présence de la dimension historique et politique, qui rappelle la nécessaire interpénétration des lois qui régissent la société dans le fonctionnement de l’école. Si l’on veut des citoyens ouverts et responsables, la démocratie doit être présente dans tous les lieux d’éducation, et surtout à l’école.

Mais, comme le souligne Laurence Cornu, la coordinatrice de cette étude parsemée de réflexions stimulantes, il n’y a pas d’éducation sans autorité, ni sans confiance. Ce sont là des lieux communs, et l’on pourrait s’attendre ici à lire des articles au propos évident, mais il n’en est rien.

Tout au long de ce dossier, le terme de confiance est interrogé et sa présence ou ses failles analysées. Même dans des situations politiques complexes, comme au Bénin, au Brésil, à Djibouti ou au Cambodge le désir d’établir la confiance dans l’école est vivace et la réflexion encourageante, même elle est bien souvent bousculée par des enjeux de pouvoir.

Les auteurs du rapport sur le Chili rappellent que les deux types de confiance, relationnelle et institutionnelle, sont étroitement liées et que l’une découle de l’autre, même si la confiance relationnelle semble relever à première vue davantage du contexte scolaire. Comme plusieurs de leurs collègues réunis dans ce dossier, ils tentent de faire un diagnostic en interrogeant les différents protagonistes de l’école par le biais de questionnaires ciblés. Reprenant les cinq dimensions fondatrices du concept de confiance, ils les mettent en perspective avec les dysfonctionnements du système éducatif. Comment faire pour que la bienveillance, l’honnêteté, l’ouverture, la fiabilité, la compétence nécessaires dans toute relation de confiance puissent être présentes aussi bien entre les professeurs, entre ceux-ci et leurs élèves, qu’avec les parents et le personnel de direction ?

Ils remarquent que « La confiance suppose une prise de risque de la part des acteurs, dans la mesure où il s’agit toujours d’une décision qui peut éventuellement porter tort ou d’une situation où une non-réciprocité est probable. La confiance repose donc sur une attente ou une croyance positive d’une personne à l’égard d’une ou de plusieurs autres. » (p. 78) Dès que l’une des parties commencent à douter, il faut éviter que tout l’édifice patiemment construit se fissure.

Mais comment analyser les écarts qui existent entre les croyances de chacun, la doxa gouvernementale et la réalité du terrain, qui est parfois tout autre ?

Plusieurs chercheurs rappellent que pour qu’une société ait confiance dans son école, il faut avant tout qu’elle ait foi dans ses institutions et son personnel politique. S’il y a cohérence entre les politiques mises en œuvre et les résultats attendus en matière d’égalité des chances, les citoyens font davantage confiance dans leur système éducatif. L’article sur l’école en Nouvelle-Zélande nous raconte le rôle délétère joué par le modèle autoritaire pour l’intégration de la population maorie. Son mode éducatif basé sur des « principes d’autoritarisme, d’examens abstraits, de classification, de standardisation et de préparation aux besoins du marché » étant en totale contradiction avec la culture maorie, celle-ci s’est sentie niée et rejetée. Et même si actuellement des efforts sont faits pour reconstruire une école plus respectueuse des différences et restaurer la confiance des peuples autochtones, cela semble bien difficile à croire lorsque les résultats d’insertion sont en tel décalage avec les promesses d’égalité gouvernementales.

Le deuxième risque qui guette l’école est la marchandisation de l’éducation, déjà bien présente dans nos sociétés néolibérales mais qui présente des caractéristiques très particulières au Cambodge. En effet, le budget gouvernemental ne suffisant pas à payer les enseignants de façon décente, ceux-ci proposent au sein même de leur établissement des cours supplémentaires payants pour avancer sur le programme. L’école devient ainsi un système à deux vitesses, où l’état se dessaisit de son rôle de protecteur des plus pauvres pour l’égalité des chances.

Comment permettre à la confiance d’être une pierre de soutènement du système, si elle n’est pas considérée comme un levier à tous les niveaux de la société, de la famille à l’école, en passant par les rapports sociaux et la confiance dans l’organisation administrative ?

Pour la plupart de ces pays, la France y compris, la confiance est bien souvent encore malmenée dans le système éducatif. Comme le rappelle Laurence Cornu, plusieurs études ont montré que la perception de l’école est en relation directe avec la confiance ou la défiance qu’entretient le citoyen avec ses institutions et le personnel politique. Plus la société développe le manque de transparence et le sentiment d’inégalité, entraînant dans son sillage des soupçons de corruption, plus le sentiment de défiance de la population envers ses élites croît. Et avec lui la conviction que la société et l’école sont inégalitaires, et donc peu dignes de confiance. Dans les pays du Nord comme la Suède, la Norvège ou la Finlande, où les sociétés mettent l’accent sur l’égalité entre les citoyens depuis le plus jeune âge et dont le fonctionnement politique est le plus transparent possible, la confiance systémique est à son point le plus haut. Elle régresse dans les pays du sud, en France, en Italie et en Espagne, où les personnes interrogées montrent plus de défiance envers leurs concitoyens et doutent beaucoup plus de la sincérité de l’application du programme politique par leurs élus. Cela explique peut-être les polémiques incessantes qu’entretiennent nos médias avec le monde éducatif.

La Finlande, qui se distingue encore dans cette étude par le rôle fondamental que joue ce qu’elle nomme la philosophie de la confiance au sein de son système éducatif, est consciente que celle-ci ne se satisfait pas du statu quo mais demande un travail permanent, basé sur l’efficacité de la formation et des capacités d’autonomie de chacun. Avec un taux de décrochage à moins de 1 %, l’école est perçue de façon positive par la société et l’enseignement attire les meilleurs étudiants, titulaires d’un master et formés de façon très complète à la pédagogie. Il est à noter que la sélection la plus rigoureuse se fait pour les enseignants de l’école élémentaire qui doivent aborder toutes les matières dans le cursus des élèves.

L’état fait également confiance à la qualité des équipes et la décentralisation permet à chaque établissement de développer sa singularité. Ils préfèrent faire confiance à la qualité de leurs équipes éducatives plutôt que d’être dans une course permanente à l’évaluation, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. Sage décision, quand on découvre ce qu’entraine l’obsession de l’évaluation de plus en plus présente dans le modèle anglais, qui introduit des inégalités de traitement tout en faisant régner une forte pression peu propice à la qualité des apprentissages. Système à deux vitesses, où les citoyens perdent peu à peu toute confiance dans le projet commun, qui devrait être pourtant au cœur du projet éducatif.
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Pour conclure, je ne peux que vous conseiller de lire tout ce dossier passionnant, qui nous permet de relativiser notre perception de l’école en nous intéressant à d’autres systèmes éducatifs.

Ce dossier sur la confiance est suivi d’une riche bibliographie et sitographie en relation avec chacun des articles.

Caroline Elissagaray