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Des situations qui interrogent l’école

L’accueil des élèves primo-arrivants (selon l’ancienne terminologie) ou nouvellement arrivés en France (selon la nouvelle[[Un lexique situé en fin de dossier vous permettra de vous guider à travers la nomenclature propre aux Énaf, au FLS, etc.]]) dans l’école est une question à la fois grave et sensible, pour ne pas dire vive. Grave parce que l’on touche ici à des situations complexes, dépassant largement le seul cadre de la classe et de l’école ; sensible parce que l’on rencontre des histoires parfois difficiles, des situations souvent délicates, des enfants en très grande fragilité.
Le plus souvent, les collègues et les établissements se sentent concernés par ces enfants, mais aussi parfois dépassés ou, impuissants face aux multiples difficultés à relever. L’arrivée de tels élèves va forcément bousculer le cours normal de la classe, interroger nos propres pratiques. Surtout nous pensons tous, consciemment ou pas, que derrière l’obstacle linguistique se cache une difficulté scolaire, alors que finalement, ces élèves se révèlent comme les autres, pas forcément doués, même parfois en réelle difficulté, mais aussi en réussite, brillants, d’une grande maturité et déterminés à réussir. Ce dossier souhaite refléter les réalités très variées des élèves Énaf, « étrangers » à des titres très différents, éloignés ou pas des attentes et habitudes scolaires, avec des situations personnelles et familiales elles aussi très variées, génératrices de confiance ou d’angoisse.
Si l’école se doit d’accueillir tout le monde[[Pour donner une idée de grandeur : l’école accueille environ 37 000 élèves nouvellement arrivés par an, avec 17 000 dans le premier degré, à peu près autant au collège et 3 000 pour le lycée, dont la majorité au lycée professionnel. Cela représente environ 4 ‰ des effectifs nationaux. 83 % bénéficient d’une prise en charge spécifique, dans les classes d’initiation (Clin) et les classes d’accueil (CLA). D’après Le système éducatif. Repères et références statistiques, édition 2007, p. 28-29.]], elle doit aussi aménager des espaces d’accueil, des moments de transition pour ces élèves à besoins particuliers. Et l’ambition est double : assurer le plus vite possible à ces élèves une maîtrise suffisante de la langue française, et par là, sans attendre que cette maîtrise soit parfaite, leur assurer une entrée dans les apprentissages. Car la difficulté est toujours celle-ci : comment faire en sorte que ces élèves deviennent des élèves comme les autres, que les besoins particuliers s’effacent pour laisser la place à des besoins individuels, pas plus, pas moins. Il ne s’agit pas de les maintenir « dans les corridors de l’exil[[Ainsi parle Jacky Roptin, médecin, qui suit les jeunes Afghans en transit dans le Xe arrondissement de Paris (Libération, 2 mars 2009).]] », mais de les aider à trouver leur place dans l’école et dans la société qui les accueille.
Ce dossier, nous l’espérons, proposera des réponses concrètes et des pistes utiles pour tous, aux collègues en dispositifs bien sûr, mais aussi à tous ceux qui sont confrontés à ces questions dans le cadre de classes ordinaires. Aussi avons-nous construit l’ensemble autour de trois thèmes :
Être accueilli et être reconnu, où se posera la question de l’arrivée dans l’école et de l’entrée dans la langue française.
Trouver de l’aide, trouver sa place se propose d’aborder la tension évoquée plus haut : comment aider ces élèves à trouver leur place dans l’école, avec les autres, avec nous, et comment les aider à entrer dans les apprentissages, avec quels moyens ?
Quel français à l’école ? Interroge pour finir la langue des apprentissages, telle qu’elle est maniée avec les élèves, avec les élèves non-francophones bien sûr, mais par extension avec tous les autres aussi.
Sans oublier une interrogation qui traverse l’ensemble du dossier, celle qui porte sur la tension entre le sens éthique de l’humanité partagée, qui habite de nombreux enseignants, et un projet politique d’ensemble qui manque de clarté. La mise en place, au sein de l’école, de dispositifs d’accueil pertinents quoiqu’insuffisants, n’empêche pas la rhétorique dominante d’associer fréquemment l’immigration à un danger. Des articles venus d’Italie ou de Suisse élargissent cette question à l’ensemble des pays de la vieille Europe aux prises avec la redéfinition de leurs modèles d’intégration.

Régis Guyon, Casnav de Reims.