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Des murs à franchir

Oui, « Entre les murs » est un film réaliste, une fiction qui sonne juste dans ce qu’elle montre des élèves, de leurs parents, des enseignants, du fonctionnement du collège. Pas d’outrance, de la subtilité, ce qu’il faut d’empathie pour des personnages aux prises avec des situations complexes.
Non, ce n’est pas un film « à thèse », il ne désigne pas de coupables ou de héros, pas de méchants ou de gentils, ne propose pas de modèles, de solutions.

Oui, il montre bien à quel point il est difficile d’enseigner dans de telles circonstances : il faut affronter les moments d’exaspération quand un cours est particulièrement pénible, de découragement lorsque les excuses arrachées sont aussitôt bafouées, les sentiments d’impuissance quand on arrive à l’impasse du conseil de discipline.
Non, l’enseignant Bégaudeau ne prétend pas être exemplaire : si on peut être sensible à son souci de garder le contact avec ses élèves plutôt que de rester dans les hauteurs du savoir académique, sa forte tendance à se laisser embarquer dans des joutes oratoires aux enjeux incertains, dans mille digressions où se perdent le fils du cours, laisse dubitatif.

Oui, ces élèves sont loin d’être de sages communiants autour de l’autel des savoirs. Les postures sont souvent relâchées, le vocabulaire cru, les propos impertinents. La violence verbale de certains[[bien rendue par des acteurs à contre-emploi, d’après le réalisateur.]] est dure pour ceux qu’elles visent, d’autres élèves bien plus que l’enseignant.
Non, ce ne sont pas des sauvages. Ils sont là tout entiers, avec leurs problèmes personnels, leurs rapports compliqués au pays dans lequel ils vivent, souvent une faible estime d’eux-mêmes. Tous différents toutefois dans leur relation à l’école : entre renoncement et obstination, opposition et lassitude. Et malgré tout, ils font tant bien que mal ce qu’on leur demande, suivent la lecture proposée, retiennent quelques bribes de savoir.

Oui, les adultes semblent bien souvent dépassés. Les scènes de conseil d’administration, de conseil de classe, de conseil de discipline sont sévères par ce qu’elles révèlent de l’impuissance de ces éducateurs, qui subissent la réalité en semblant n’avoir aucune prise sur elle.
Non ils ne baissent pas les bras, tiennent leur place, leur rôle, en espérant, avec raison, qu’il en restera toujours quelque chose.

Oui, il faut aller voir « Entre les murs », parce que chaque scène du film est un support extraordinaire pour réfléchir sur la relation éducative, sur la construction de l’autorité, sur les modalités d’apprentissage, sur les heurts entre la culture scolaire et la culture des adolescents, sur la difficulté des adultes à constituer un collectif.
Non, une telle école n’est pas défendable. Le spectateur assiste à un jeu de dupes, où se rencontrent si peu les ambitions, bien réelles, des uns à enseigner et des autres à apprendre. Les relations entre enseignants et élèves sont phagocytées par les conflits, les enjeux de personnes, et les apprentissages réduits à de vaines conjugaisons, dénuées de sens.

On ne peut plus cacher ce qui se passe derrière ces murs : il est urgent de changer le collège, d’en faire un lieu centré sur les apprentissages vivants, ouverts sur le monde des élèves pour mieux les amener à découvrir d’autres mondes, où la langue soit un outil pour échanger et comprendre plutôt que pour ferrailler et exclure.

Patrice Bride, professeur en collège.


Ce texte est également paru dans notre dossier « Entres les murs » : les regards en question
Vous pouvez donner votre point de vue sur ce texte et sur le film en nous l’adressant. Les contributions les plus intéressantes viendront enrichir ce dossier.

Programmation 2014-2015

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