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Des mots et des murs

Cet ouvrage ne ressemble à aucun autre, car il est le résultat d’un travail d’une année menée en classe de première ES du lycée Charles-de-Gaulle de Vannes. L’action pédagogique citoyenne a porté sur une réflexion sur la prison : les élèves ont étudié de textes de Voltaire (affaire Calas) de Victor Hugo, Jean Genet… Ils ont reçu Odile Marécaux, innocentée dans l’affaire d’Outreau, Denis Seznec, un juge d’application des peines… Bref, ils sont arrivés avec leurs questions simples et directes, ordinaires, celles que l’on se pose tous, et ils les ont confrontées à la réalité de celles et ceux qui vivent ces réalités dans des positions, des rôles radicalement différents. La plus grande originalité de cette action est la correspondance entre les élèves et les détenus qui fait le corps du livre. On peut lire, sous la plume des détenus, des réflexions sur la prison dites de manière poignante, que l’enfermement broie les individus, que la prison rassemble des délinquants et les stigmatise… qu’elle est souvent une école du mal, une école de la récidive et certaines remarques que l’on ne soupçonne pas, que s’il y a moins de femmes en prison, elles sont également condamnées à de peines plus courtes, que la durée des peines a augmenté par rapport aux années quatre-vingt… effet peut-être de la demande de sécurité et d’autorité, effet qui n’est pas démocratiquement débattu. Les lettres sont aussi étonnamment sincères et facilitent la qualité des échanges. Luc, qui se dit pristo (prisonnier en argot des prisons), s’étonne qu’on puisse s’intéresser à lui. Il craint que son amertume soit difficile à supporter ; Marie lui répond que la prison, loin de l’avoir déshumanisé lui a permis de conserver un esprit toujours vif et affuté. Albert Jacquard dit dans la préface : écrire ne sert pas à avoir de bonnes notes, mais à rencontrer l’autre. Ce sont ces rencontres entre des êtres si différents qui font ce livre. C’est aussi la rencontre entre deux institutions de la société. On a l’habitude (romantique) d’opposer les écoles et les prisons d’après une citation d’Hugo alors que rien n’est moins certain que construire des écoles permet de démolir les prisons. Rapprocher les êtres qui font vivre deux institutions aussi opposées crée un savoir direct fondé sur la parole des prisonniers, rarissime si l’on veut bien y songer.
Un beau travail, plein d’enseignements, de correspondances au sens plein du terme, de liens, de liens humains, de liens sociaux, un travail qui illustre ce que pourrait être une école ancrée dans le siècle et non pas un sanctuaire.

Roland Petit, Aurélien Péréol