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Des maths, mes Tice

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Lorsque les élèves utilisent les logiciels en salle multimédia, les activités se révèlent souvent comme une suite de tâches, d’actions à accomplir, qui permettent d’obtenir une figure ou des calculs qu’ils doivent ensuite analyser, des résultats qu’ils vont ensuite démontrer.

Le bon usage du logiciel

Dans ce contexte, l’avantage d’un logiciel de géométrie dynamique est incontestable puisqu’il permet d’obtenir une infinité de figures ayant une caractéristique commune et donc de lier les propriétés perçues à celles qui caractérisent la figure. Par exemple le tracé de l’intersection des médianes d’un triangle permet de vérifier que, quelque soit la forme du triangle, ces médianes sont toujours sécantes.

Cette constatation qui se faisait au préalable par le tracé par chaque élève de la classe et la comparaison des résultats a l’avantage d’être plus précis. Nous n’aurons donc pas de figure où les médianes ne semblent pas être concourantes, situation qui amenait l’enseignant à plus ou moins tricher pour justifier l’erreur en disant « mais si regarde, c’est presque le même point ! » alors que dans une autre situation il dira au contraire « tu vois un angle droit, mais fait-il exactement 90°? Tu ne sais pas, il peut faire 91°, non ? ».

Ce qui ressort de cet exemple, c’est qu’en géométrie la perception peut devenir un véritable obstacle à l’apprentissage. Ci-dessous, la figure de gauche est faite à la main, elle permet d’affirmer que j’ai un carré parce que le codage de la figure en garantit les caractéristiques alors que celle de droite, tracée avec règle et équerre n’est qu’une représentation fausse du carré idéal sur lequel je dois travailler.

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Avec un logiciel de géométrie dynamique, l’élève peut placer des points et tracer des segments et voir à l’écran un carré. Mais déplacez un des points et la figure se déforme.

Tracer une figure avec un logiciel, c’est représenter une figure qui par déplacement de n’importe lequel de ses éléments, restera une figure de même forme. Il faut donc analyser la figure avant de la tracer et reconstituer un programme de construction qui va garantir la nature de la figure obtenue. Il en va de même avec le tableur : si un élève complète un tableau de proportionnalité avec des valeurs qu’il saisit une par une, modifier un nombre fait que le tableau n’est plus de proportionnalité. Comment faire pour qu’il le reste ?

Cet autre exemple avec la géométrie dans l’espace met en évidence un autre atout du numérique pour les mathématiques : le logiciel permet de prendre conscience de la nature des objets manipulés. Un élève qui construit un solide en reliant les sommets par des segments verra bien à l’écran la figure attendue, avec l’avantage de pouvoir la tourner, de modifier son angle de vue. Pourtant s’il veut obtenir le volume de ce solide, le logiciel ne pourra pas lui donner tant qu’il n’a pas construit le polyèdre. L’occasion de faire la différence entre les grandeurs : si un segment a une longueur, la seule opération possible est d’ajouter ces longueurs, il faut définir une figure plane pour concevoir une aire, et un polyèdre pour envisager un volume.

Deux types d’apprentissages

Nous avons en fait deux types majoritaires d’utilisation des outils numériques : soit l’objectif est de faire analyser par l’élève les actions à envisager pour obtenir un résultat qu’il saura contrôler, soit l’objectif est de lui dire comment construire un objet pour qu’il puisse ensuite analyser le résultat obtenu. Ces deux types d’utilisation n’engagent pas la même activité ni du côté de l’enseignant, ni du côté de l’élève et ils ne visent pas les mêmes apprentissages.

Dans le premier cas, l’élève analyse un objet déjà là. Il part de ses connaissances de l’objet et il doit, pour réaliser sa construction, s’interroger sur sa nature, ses propriétés. Il va donc formaliser des concepts dans un autre registre sémantique qui n’est plus ni celui du langage naturel, ni celui des nombres, ni du schéma, ni de l’algèbre mais celui du logiciel. La comparaison et l’adaptation de ces différents registres est l’occasion pour l’élève de conceptualiser l’objet étudié.

Dans le second cas, l’élève est amené à émettre des conjectures, à tester, expérimenter, quitte ensuite à démontrer cette conjecture. On se rapproche alors des sciences expérimentales et de la modélisation. L’élève va réinterroger des procédures déjà rencontrées, ou en découvrir de nouvelles par essai et erreur.

L’enseignant dans le premier cas doit imaginer une question qu’il pose à l’élève. Cette question est ouverte car plusieurs actions sont souvent possibles pour créer un objet : il existe différentes propriétés caractéristiques de l’objet, différents calculs, ou différents cadres de travail (par exemple on peut tracer une droite en utilisant le menu géométrique ou en utilisant le tracé de la courbe représentative d’une fonction affine ou encore par un tableau de proportionnalité). Dans le second cas, il doit imaginer une situation pour laquelle le logiciel apporte un plus par rapport au travail « à la main » : infinité de figures ayant une même caractéristique, lieu de points, multitude de calculs, représentation graphique d’une famille de fonctions, etc.

Pouvoir revenir en arrière

Ces deux types d’utilisation ne prennent donc pas la même place dans l’apprentissage. Pourtant dans les deux cas, l’utilisation d’un outil numérique a un avantage certain, celui de garder trace du cheminement de pensée de l’élève. La pensée devient accessible à travers l’historique de l’action. C’est un avantage autant pour l’enseignant qui peut collecter des informations importantes sur les représentations de l’élève, mais aussi pour l’élève, qui peut alors revenir sur les étapes du travail et donc corriger, modifier, à la manière d’une multitude de brouillons qui restent disponibles.

Si certains élèves sont en difficulté avec les formules, les techniques algorithmiques, tout ce qui peut s’automatiser, on a souvent bien du mal à les faire progresser malgré les démonstrations, les explications et l’entraînement répétitif. Les procédures données sous forme de règles à appliquer sont formalisées avec des variables ou des paramètres (comme par exemple le calcul du discriminant d’une équation du second degré) ou elles sont mémorisées à travers des exemples types.

La difficulté est que certains élèves ne comprennent absolument pas le sens des écritures algébriques et généralisent les procédures à partir d’exemples qui peuvent très bien être spécifiques. Comment peuvent-ils adapter la technique dans un contexte différent ? J’ai essayé de faire travailler ces élèves sur la programmation de telles techniques sur leur calculatrice. A ma grande surprise, la réalisation du programme a permis à certains élèves de comprendre et d’intégrer la technique.

Je fais l’hypothèse que le changement de registre a demandé d’identifier la nature des objets de par le codage différent exigé dans le programme.

Prenons l’exemple du calcul des racines d’un polynôme du second degré. La programmation impose de repérer les paramètres, la variable, le traitement des différents cas, le sens du résultat affiché. Ainsi travailler l’algorithmie et la programmation, permet de formuler dans un autre registre, qui de plus met tous les élèves au même niveau  : en effet,  le niveau de langage, la technique de calcul n’interviennent pas et du côté du langage de programmation, les élèves sont tous au même stade quelque soit leur origine sociale. C’est donc une activité qui s’est révélée démocratisante et qui a valorisé les élèves en difficulté. Il est aussi à noter que depuis que les élèves ont appris à programmer, je ne vois plus de programmes de jeux sur les calculatrices. Ils ont compris qu’ils avaient intérêt à avoir un maximum de mémoire disponible sur leur calculette pour pouvoir utiliser leurs propres programmes.

Une aide a la conceptualisation

Certains concepts gagnent réellement à être introduits par l’outil numérique. Je pense par exemple au concept de variable. La programmation demande à ce que soit clairement formulé ce qui entre et ce qui sort. C’est la première difficulté devant un problème : identifier les données, et identifier ce qui est cherché. Dès que l’on a une représentation de l’allure que doit avoir le résultat obtenu, il devient possible de commencer à chercher les outils et les contraintes pour reconstruire le problème et ainsi le résoudre. C’est à travers cette reconstruction que l’élève apprend, c’est à travers la problématisation qu’il construit de nouveaux concepts.

Par exemple les élèves ont été mis devant le problème suivant : trois points sont donnés, comment placer le quatrième pour obtenir un parallélogramme en utilisant le menu « vecteur » ? Ils n’ont aucune connaissance sur les vecteurs, que vont-ils faire ? Ils vont essayer et devoir analyser chaque résultat pour en déduire une procédure. A travers cette procédure, ils vont construire les caractéristiques d’un vecteur. Il ne sera pas nécessaire de donner une formalisation de ce nouvel objet, il aura son sens à travers son utilisation.

J’ai ainsi remarqué que la distinction entre direction et sens, qui posait toujours problème aux élèves, est ici immédiatement intégrée. Je ne sais pas comment analyser ce résultat du point de vue de l’apprentissage, mais il semble que l’outil permette d’accéder au concept, par le biais de l’action, de la validation par le logiciel, de la formalisation contrainte par le logiciel et non pas parce que le professeur l’a dit. Il se joue certainement quelque chose du côté du statut des savoirs. Ils ne sont plus détenus par le maître, mais par une communauté plus large, dont l’élève a une vision de par sa connaissance de l’Internet.

Une approche qui donne du sens à l’apprentissage

Une dernière expérience me semble intéressante. Dans le cadre des enseignements d’exploration en seconde, j’ai été amenée à travailler avec des collègues de sciences de l’ingénieur. Les élèves avaient à réaliser une maquette de formule 1 et donc à utiliser un logiciel de représentation en 3D. J’ai proposé aux élèves des travaux sous forme de TP.

Je prends l’exemple d’un travail qui devait amener les élèves à comprendre la différence entre une image bitmap et une image vectorielle, à concevoir un tracé avec les courbes de Bézier, à comprendre le contexte historique et social qui a permis de concevoir ce nouvel outil à travers une lettre de monsieur Bézier.

Les élèves s’emparent de ce type de travail de manière complètement autonome. Je les ai vu aller d’une recherche sur Internet (parfois sur leur smartphone) à l’utilisation du logiciel de géométrie dynamique, en passant par des tracés papier-crayon. Ils ont utilisé le concept d’homothétie avec une rare aisance et ont obtenu des courbes qu’ils ont adaptées à leur projet de profil de voiture.

J’en tire une conclusion : les élèves ont aujourd’hui développé hors de l’école des manières d’apprendre très éloignées des pratiques les plus habituelles de l’école. Devant un projet qui a du sens, une autonomie, l’assurance qu’il n’y aura pas d’évaluation chiffrée, la possibilité de coopérer et celle de réaliser quelque chose de créatif, les élèves ont ici appris des connaissances mathématiques complexes et aucun élève n’a été en échec.

Cette expérience interroge réellement sur les représentations que nous avons de l’école et sur l’usage que les élèves ont des Tice pour apprendre. Si on ajoute que les dernières statistiques sur les pratiques culturelles des jeunes montrent que le point commun sur une classe d’âge toutes origines sociales confondues est l’usage de l’ordinateur, il semble que l’école d’aujourd’hui, si elle se veut égalitaire, doit privilégier ce mode d’accès au savoir.

Sylvie Grau,
Professeure de mathématiques, Lycée Nicolas Appert