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Des enseignants isolés, des sanctions disparates

Pour les enseignants, les sanctions scolaires sont avant tout une question de normes et de valeurs individuelles. La gestion des désordres au niveau de l’établissement a certes son importance, avec un ordre scolaire plus ou moins ritualisé et un règlement intérieur pouvant aller de la simple évocation d’une échelle de sanctions à un encadrement strict des pratiques disciplinaires. Mais les règlements intérieurs très directifs sont peu suivis et les modes plus informels d’harmonisation des pratiques restent souvent sans effet notable, faute d’accord entre les différents acteurs dans les établissements.
Par ailleurs, la capacité à gérer l’ordre en classe est un élément essentiel de la face professionnelle et les enseignants sont soucieux de leur autonomie en matière de sanctions. Ainsi, la coopération entre les enseignants, les personnels de « vie scolaire » et les chefs d’établissement est peu développée et potentiellement conflictuelle. Les professeurs se sentent parfois peu soutenus par le personnel non enseignant. Les conseillers d’éducation estiment que les enseignants se défaussent de leurs responsabilités lorsqu’ils sont amenés à prendre en charge hors des classes des désordres qui, selon eux, devraient être gérés in situ. Les principaux évitent parfois de se compromettre dans les conflits opposant enseignants et élèves. Dans ce contexte, les enseignants débordés par les comportements des élèves en classe sont peu incités à solliciter un soutien et ont tendance à s’enfermer dans un déni de leurs difficultés.

Une gestion des désordres différenciée selon les enseignants… et selon les élèves

La différenciation des pratiques des enseignants est liée non seulement au contexte, mais aussi au sexe, à l’âge, à la matière enseignée et à la conception du métier. Globalement, deux types d’enseignants s’opposent dans les stratégies de contrôle de classe. Les plus « formalistes » tentent d’imposer aux élèves des règles préétablies, avec un succès très dépendant de leur potentiel charismatique et un recours fréquent à la sanction. Les enseignants plus « pragmatiques » trouvent des arrangements avec les élèves pour parvenir à un compromis entre les exigences scolaires et les aspirations des collégiens, avec un moindre recours à la sanction. Toutefois, la gestion de l’ordre en classe est rarement vécue sereinement par les enseignants, y compris par ceux dont le charisme facilite cet exercice.
La disparité des régimes de sanctions appliqués par les enseignants et les pratiques parfois inéquitables, liées à la difficulté à concilier les progrès de tous les élèves, le respect des programmes académiques et la gestion des désordres en classe se cumulent et suscitent parfois chez les élèves un sentiment d’injustice peu propice à l’intériorisation de la norme. Ce sentiment ne peut qu’être renforcé par l’existence de pratiques discriminantes. « Toutes choses égales par ailleurs », les garçons, les élèves faibles scolairement, en retard et de milieu populaire, ont ainsi davantage de risque d’être sanctionnés, même si les enseignants sont peu conscients de ces inégalités de traitement[[Les données d’enquête ont été exploitées à l’aide d’analyses statistiques multivariées permettant de distinguer l’effet « net » des caractéristiques des élèves sur les sanctions reçues.]]. Il semble également que ces élèves soient sanctionnés plus sévèrement pour des défauts de comportement semblables. Toutefois, « toutes choses égales par ailleurs », l’origine ethnique n’influe pas sur le risque de sanction, alors que les élèves d’origine africaine et turque sont plus souvent sanctionnés que les autres. Deux caractéristiques plus souvent retrouvées chez ces élèves jouent notamment comme variables cachées : une origine sociale défavorisée et un faible niveau scolaire.
Le résultat de l’absence de sur-sanction des élèves d’origine africaine ou turque n’exclut pas une certaine ethnicisation des relations maître-élèves, suggérée par un sentiment d’humiliation ressenti plus fréquemment par ces élèves en classe. En outre, si le raisonnement sur les « effets nets » est intéressant pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans les pratiques de sanction, il n’est pas pertinent du point de vue des élèves dont l’expérience est traduite par les données « brutes ». Ainsi, l’expérience de la sanction est ethnicisée, même si les pratiques ne le sont pas « toutes choses égales par ailleurs ». Les élèves d’origine africaine ou turque peuvent alors interpréter les sanctions plus fréquentes dont ils font l’objet comme une preuve du racisme des enseignants[[Ndlr : Sur ce sujet, on peut écouter sur le site des Cahiers pédagogiques une intervention de Françoise Lorcerie au colloque « Égalité des chances », novembre 2008.]].

L’incapacité des sanctions à résoudre les désordres scolaires les plus graves

Il semble enfin que les sanctions aient montré leur incapacité à modifier durablement les comportements des collégiens qui troublent le plus souvent et le plus gravement l’ordre scolaire : ils ressentent un fort sentiment d’injustice et récidivent fréquemment. Tout se passe comme si, pour ces élèves, se mettait en place un cercle vicieux de la transgression. Étiquetés déviants par l’institution, ils peuvent mettre en place des stratégies de « résistance », avec des incidences sur la multiplication des conflits avec les enseignants et le risque à terme d’être exclus du système scolaire.
L’harmonisation des pratiques et la prise de conscience des processus discriminatoires à l’œuvre dans l’acte de sanctionner sont des questions dont il semble nécessaire de s’emparer collectivement au sein des établissements !

Agnès Grimault Leprince, IUFM de Bretagne.
agnes.leprince@bretagne.iufm.fr