Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Des cercles pour écrire sans circonscrire

Comment amener les élèves à développer une approche autonome de l’écriture ? Un professeur de lettres au collège nous raconte comment il parvient à motiver les élèves avec la création de cercles d’auteurs-lecteurs pour chaque étape du processus d’écriture, de la planification à la diffusion, en passant par la rédaction, l’amélioration et la correction.

L’injonction donnée aux collégiens d’écrire un récit ne va pas de soi. Au sein de mes classes, le constat était sans appel : mes élèves éprouvaient des difficultés à gérer cette tâche, produisant des textes dont la qualité était loin d’être satisfaisante. Il m’est apparu important de chercher des solutions pédagogiques pour les amener à développer une approche planifiée et autonome de la production de textes. La conférence de consensus intitulée « Écrire et rédiger » organisée par l’Unesco, en mars 20181, a mis l’accent sur l’efficacité d’un enseignement des stratégies d’écriture. C’est fort de ce constat que j’ai expérimenté cette approche qui permet de donner accès aux élèves aux stratégies utilisées par des scripteurs experts. Je constatais dans la réalité de ma classe de nettes améliorations, mais je n’étais pas pleinement satisfait, car certains élèves ne paraissaient pas suffisamment engagés et motivés dans les activités d’écriture. J’ai tenté de les remobiliser par un travail collaboratif afin qu’ils acquièrent cette « conscience du public » (pour reprendre une formule de Jacques Crinon) qui est source de motivation. Pour favoriser la mise en œuvre de cette interaction, des cercles d’auteurs ont été mis place. Pendant les différentes étapes qui jalonnent le processus d’écriture d’un texte (planification, rédaction, amélioration, correction et diffusion), les élèves de chaque cercle collaborent et confrontent leurs écrits. Ils peuvent alors constater l’effet de leurs productions sur leurs pairs.

Un processus en cinq étapes
  • Le cercle de planification est la première étape : la discussion au sein des cercles va faire émerger un ensemble de possibles narratifs à partir des idées émises par chacun.
  • Le cercle de rédaction est le moment où les élèves rédigent individuellement puis partagent leurs premiers jets. Ils ont un destinataire réel qui pourra réagir à leur texte.
  • Le cercle d’amélioration consiste à réviser son texte en bénéficiant de l’aide des pairs.
  • Le cercle de correction correspond à une relecture ciblant les erreurs orthographiques et grammaticales. Là encore, l’apport d’un lecteur réel favorise une écriture décentrée.
  • Puis la dernière étape est le cercle de diffusion : c’est le moment de partage. Le scripteur a la chance de se sensibiliser concrètement à la notion de public en donnant à lire son texte ou en le lisant à voix haute. Les textes peuvent être publiés même s’ils ne sont pas parfaits. Nous ne célébrons pas la perfection, mais bien le processus d’apprentissage qui passe par l’interaction entre auteurs et lecteurs.

Voici quelques exemples concrets qui montrent comment est mis en œuvre ce va-et-vient entre soi-même et l’autre pour améliorer les compétences scripturales.

Pour la phase de la planification, après avoir ciblé collectivement les attentes du sujet d’écriture, les élèves notent individuellement leurs idées. Ils prennent connaissance des idées des uns et des autres. Puis ils élaborent seuls, en binôme ou ensemble, un plan en trois temps (introduction, corps du récit, conclusion). Le scripteur doit être entrainé au processus de planification afin de diminuer la surcharge cognitive lors de la rédaction. Cela constitue un sous-processus qui, selon la recherche, améliore la qualité du texte.

Le cercle de rédaction se déroule en deux temps. D’abord, les élèves rédigent le texte. Ensuite, ils partagent leurs productions pour recevoir des rétroactions positives qui vont leur permettre de construire un rapport motivant au texte et des suggestions d’amélioration. C’est un moment clé qui va renforcer l’estime de soi. On fait tourner les copies. Ou mieux encore, en amont, des photocopies des productions auront été faites par l’enseignant. Chaque élève a une copie du texte des autres auteurs de son cercle. Au moment de la lecture à voix haute, les autres membres écoutent et annotent la production avec des symboles (un cœur pour les passages appréciés, un point d’interrogation pour les points non compris).

Coups de cœur et coups de pouce

Pour les rétroactions « coup de cœur », les élèves ont constitué au fil des séquences des repères d’observation (la richesse des mots, l’originalité des idées, le recours à un procédé d’écriture particulier, etc.). À tour de rôle, les élèves lecteurs donnent leur avis à l’auteur : « Je trouve que ta comparaison montre bien la peur du personnage » ; « Tu as employé un dialogue qui souligne la méchanceté du personnage » ; « Ton introduction est réussie : il y a le sens de l’ouïe (“vacarme assourdissant”) et celui de l’odorat (“pestilentielle”) qui permet de créer des images dans ma tête ».

Les rétroactions « coups de pouce » portent essentiellement sur les problèmes de compréhension. Souvent des passages ne sont pas clairs, car les élèves n’ont pas donné toutes les informations. Ils les ont gardées dans leur tête, oubliant le lecteur. « Je n’ai pas bien compris ce passage, peux-tu m’expliquer ? » ; « Je te conseille de noter ton explication sur ta feuille ». Durant cette étape, un autre mode de lecture est mis en lumière : les élèves lisent comme des écrivains en étant attentifs aux effets produits par l’écriture. Une posture d’auteur se construit progressivement.

Pour le cercle d’amélioration, les élèves doivent mettre en application une stratégie qui consiste à employer les manipulations (ajouter, remplacer, déplacer, supprimer) utilisées par les écrivains. En fonction du niveau de compétence, de la complexité de la tâche et de l’observation des brouillons, des choix d’amélioration sont effectués par l’enseignant. Par exemple, à la suite de la rédaction d’une scène de rencontre amoureuse, trois points ont été sélectionnés : pour la stratégie nommée « Choisir un vocabulaire approprié », les élèves feront uniquement la « chasse aux répétitions ». Pour la stratégie « Vérifier la cohérence », ils se focaliseront essentiellement sur le respect du système temporel (imparfait/passé simple) et pour la dernière habileté « Enrichir son texte », ils devront ajouter un dialogue.

Au sein des cercles commence alors une collaboration active pour améliorer la qualité littéraire des textes : échanges de productions, relectures ciblées, annotations sur les copies collées sur une feuille de brouillon A3 pour faciliter les manipulations et rendre visibles les annotations des pairs.

Savoirs partagés

Pour le cercle de correction, les élèves vont échanger leur copie. Chaque membre est responsable de l’identification d’un aspect de la correction (les accords dans le groupe nominal, les accords dans le groupe verbal, la syntaxe, l’orthographe lexicale). Pour éviter que les élèves ne se cantonnent toujours au même rôle, quatre cartes plastifiées sont distribuées et tirées au sort : au dos de celles-ci se trouvent par exemple la mission « Vérifier les accords dans le groupe nominal » et un rappel de la procédure. Chaque élève annotera avec un code précis les productions de ses pairs. Lorsque les textes ont fait le tour, le jeune scripteur reprend sa copie et effectue la correction finale de son texte. Dans le cadre de ce mode de distribution des savoirs partagés, chaque élève devient une ressource. Cette étape est une séance de grammaire à part entière. Les feuilles circulent d’un élève à l’autre. La ponctuation, la syntaxe, l’orthographe… tout est là. Les savoirs grammaticaux sont constamment évoqués par les élèves pour pouvoir argumenter les corrections annotées sur les copies des pairs.

La création de cercles d’auteurs-lecteurs est apparue au sein de mes classes comme une piste pédagogique pertinente pour soutenir chaque phase d’écriture. Et quel plaisir pour l’enseignant de voir lors d’une évaluation individuelle un élève transférer des étapes du processus rédactionnel vécues dans les cercles !

Eric Maillot
Professeur de lettres en collège

En vente sur notre librairie :

 

Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.


Notes
  1. Lire le compte-rendu d’Hélène Eveleigh, « Enseigner avec l’écrit », sur notre site : https://www.cahiers-pedagogiques.com/enseigner-avec-l-ecrit/.