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De l’internat à la Vie scolaire

Dès la fin du XIXe siècle, internat, éducation et enseignement étaient associés à Cempuis ou à l’École des Roches [[Sur Cempuis et Les Roches, voir Cahier 395 et l’histoire de l’Éducation nouvelle.]]. Ce lien se retrouve dans la politique de Jean Zay : il autorise la création de troupes scoutes (Éclaireurs de France, non confessionnels) ou de coopératives dans les établissements secondaires. Il institue aussi pour les élèves du premier cycle, le samedi après-midi qui a été libéré, des « loisirs dirigés », dirigés par les personnels, enseignants, surveillants ou autres, invités à dépasser justement leurs catégories ou leur discipline. Ce dernier point reste le plus difficile : dans le collège où j’ai commencé mes études secondaires, le professeur de philosophie [[C’est mon père. Le latiniste est le fils du surveillant général.]] apprend aux élèves de sixième à découper le bois contreplaqué, pour fabriquer de beaux jouets, mais un professeur de latin se borne à faire visiter Rome en regardant des cartes postales avec une sorte d’épiscope. « De même que les loisirs dirigés rompent avec certaines habitudes traditionnelles de l’enseignement, de même ils peuvent être l’occasion d’initiatives prudentes concernant le régime disciplinaire ». Un caractère important de ces activités : la participation, tant des élèves que des adultes, y est volontaire. Il faut donc « occuper les élèves de l’internat » qui ne veulent pas s’y joindre, on compte sur la radio scolaire. Pendant la Guerre, « l’éducation générale » rappelle aussi partiellement le scoutisme, et Louis François, par exemple, qui fondera après la Guerre les clubs Unesco, très lié à Monod et à Goblot l’implantera dans le lycée parisien évoqué plus haut, avant d’être déporté en 1942.

Pourquoi l’internat était-il « au centre » des classes nouvelles ?

Le rôle éducatif de l’internat a intéressé dès le début les artisans de notre revue, qui commence à paraître en décembre 1945. Parmi les neuf modestes Dossiers pédagogiques, son titre d’alors, publiés en 1945-1946, trois sont consacrés entièrement à l’internat ; un numéro double en août (!) 1947, un numéro spécial en novembre qui reprend plusieurs articles des précédents dossiers, montrent que le sujet leur tient à cœur [[Depuis, sauf le numéro de mai 1955 (La vie de nos lycées et collèges. Éducation et internat), composé essentiellement de témoignages de surveillants et de chefs d’établissement, je ne pense pas qu’il y ait eu d’ensemble important sur la question.]]. L’influence du scoutisme, dont François Goblot, notre fondateur, et Gustave Monod, l’initiateur des réformes du second degré à la Libération [[Il avait été un proche collaborateur de Jean Zay.]] , étaient des adeptes convaincus, se retrouve ici. Les CEMEA [[Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active.]] sont chargés de la formation des nouveaux surveillants, comme de celle des « éducateurs » des classes nouvelles. Il y a, dès septembre 1945, c’est encore les vacances, trois stages académiques de dix jours [[C’est F. Goblot qui dirige le stage de Lyon.]], ces stages sont généralisés en 1946. Monod définit une nouvelle orientation [[Circulaire au BO du 10.12.45.]]: « il subsiste à l’égard de l’enfance, dans certaines de nos maisons, un état d’esprit périmé, mais tenace, dont sont encore inspirés plusieurs articles des règlements : méfiance systématique, méconnaissance complète des goûts et des besoins psychologiques, prétention de réduire la spontanéité de l’enfant à la sagesse apparente de l’adulte, etc. ». « La pédagogie de la responsabilité devra inspirer de plus en plus tout le régime scolaire […]. Il faut à tout prix et dès maintenant que s’inscrive dans la vie scolaire française ce qu’il y a eu de meilleur dans les projets forgés à cet égard au cours de la Résistance et dans les camps de prisonniers ».

Ce n’est pas si simple, un principal l’écrit dans le Dossier pédagogique n° 3 : « Ce ne sont pas les Maîtres d’internat qu’il faut rénover […]. Ce sont les Chefs d’établissement, les censeurs, les surveillants généraux qu’il faut toucher. Sans quoi il se produira ce qui se produit dans les colonies de vacances : les Chefs étoufferont la bonne volonté des subordonnés en condamnant en bloc toutes les initiatives intelligentes de ces derniers ».

Les Cahiers sont revenus plusieurs fois sur ces questions, en particulier dans les numéros du 15 janvier 1954 [[La numérotation n’est pas encore continue.]] , Lycées et collèges foyers d’une culture vivante, et du 15 mai 1955, La vie de nos lycées et collèges, qui restent à lire. L’éditorial du premier fait le constat du changement de la population scolaire, mais il affirme que « s’il n’y a pas de culture sans instruction, il y a parfois instruction sans culture » ; entre le « bon élève inculte (et le) fumiste autodidacte », l‘école doit aménager « une zone franche où la liberté des élèves s’affirmera autrement qu’en s’opposant au règlement, où la diversité des goûts sera plus facilement respectée, où chacun pourra naître à la culture ». Cela ne doit pas rester étranger à l’enseignement proprement dit, et concerne aussi les professeurs ; on avance même l’idée « qu’un professeur qui est capable, outre son enseignement, de diriger un ciné-club ou un groupe dramatique, a une valeur professionnelle supérieure à celle qu’il aurait sans cela ; qu’il soit payé davantage », même s‘il ne compte pas ses heures. Enfin, et aussi pour l’image que les élèves ont de l’école et des professeurs qu’ils verront comme « dignes d’intéresser des adultes », il est bon que l’établissement ouvre ses activités sur le quartier ou la ville. Suit un dossier de cent pages, qui développe de nombreux exemples de vie scolaire visant au développement culturel et social des élèves et du milieu, en particulier dans les nouveaux lycées créés par Monod, comme Montgeron, Bellevue, Marseilleveyre, etc., voulus comme des lieux éducatifs. Le second dossier s’ouvre sur un article d’une inspectrice générale, qui n’est pas encore de « vie scolaire », qui reprend les mêmes thèmes et ajoute la critique de l’architecture habituelle des établissements, où elle voudrait en particulier des bibliothèques d’élèves et « des salles de travail individuelles, différentes des classes, où l’atmosphère recueillie assure le silence », au lieu des salles d’étude habituelles. « La vie intérieure de nos écoles n’a pas d’autre fin que d’aider la vie intérieure de chaque adolescent à s’épanouir ». Il donne d’autres exemples d’activités ou d’organisation, il aborde la question de la mixité, encore très peu courante. Il faudra attendre les années 1980 pour que l’on pense à des locaux conçus pour que la vie des internes ne se déroule pas seulement entre les murs du dortoir, du réfectoire, de la salle d’étude et la cour. Mais, restons modestes, le Manifeste pour l’Éducation nationale à partir duquel le CRAP sera refondé en 1963 n’aborde quasiment pas ces questions.

« Le choix d’éduquer »

Le Plan Langevin-Wallon, en 1947, affirme : « c’est la vie scolaire tout entière qui offre les moyens d’élever l’enfant ». « La pratique de la vie sociale » peut seule faire acquérir « le respect de la personne et des droits d’autrui, le sens de l‘intérêt général, le consentement à la règle, l’esprit d’initiative, le goût des responsabilités », et donc l’école doit donner aux élèves « une part de plus en plus grande de liberté et de responsabilité, dans le travail de classe comme dans les occupations de loisirs », ils doivent prendre en charge la plupart des services scolaires, des activités coopératives et sociales.

L’évolution décisive du second degré partira d’un autre secteur, les Centres publics d‘apprentissage (CPA) [[Centres publics d’apprentissage, qui s’appelleront par la suite Collèges d’enseignement technique (CET), puis Lycées d’enseignement professionnel (LEP), puis Lycées professionnels (LP), exemple intéressant de promotion sémantique. Voir P. Pelpel et V. Troger, Histoire de l’enseignement technique, 1993.]] ou Centres de formation professionnelle, qui deviendront Collèges d’enseignement technique (CET). Créés en 1939, ils se développent pendant puis après la Guerre ; ils reçoivent beaucoup d’internes, de milieu modeste, qui restent souvent au centre le dimanche et qui ont beaucoup moins de travail personnel pour occuper les heures d’étude que les lycéens. Leurs surveillants généraux, recrutés avec le baccalauréat, travaillent dans un autre contexte éducatif. C’est « une nouvelle race de SG » qui se préoccupe plus d’animation, sportive ou socio-éducative, qui multiplie les clubs, en faisant souvent appel aux mouvements d’éducation populaire comme les FOL et les CEMEA, ou aux Aroevet [[FOL : Fédération des œuvres laïques, échelon départemental de la Ligue de l’enseignement. Aroevet : Association régionale des œuvres éducatives et de vacances de l’enseignement technique ; les Aroevet sont fédérées dans une Foevet. En 1965, elles deviennent Aroeven (de l’Éducation nationale) et Foeven.]] . Certains CPA organisent même, pour leurs élèves, des camps de vacances : « lorsqu’on vit un mois ensemble, en camping, à faire du kayak ou à randonner en montagne, beaucoup de choses changent dans les relations entre les jeunes et les adultes ; cette qualité relationnelle qui prévaut en vacances a obligatoirement un écho sur le climat général de l’établissement à la rentrée ». Il se crée des foyers socio-éducatifs, comme associations loi de 1901 où, dans les conseils d’administration, les élèves ont le même poids que les adultes. Mais « la plupart (des SG des lycées) sont persuadés que les activités socio-pédagogiques sont démagogiques et n’ont pas leur place à l’école »[[Selon Rémy.]].

L’acte de naissance de la vie scolaire

La rencontre avec le second degré se noue dans les années 1960, déjà avant mais surtout après 1968, d’abord dans les collèges, qui se multiplient, notamment ceux des zones rurales, et où l’on nomme souvent des surveillants généraux de CET, plus lentement dans les lycées, « freinés dans leur évolution par leurs traditions, séculaires pour certains ». L’expression Vie scolaire, rarement utilisée jusqu’ici, prend une dimension officielle en 1965, avec la création d’une inspection générale particulière dont le premier titulaire est Marcel Sire [[Ancien proviseur de Bordeaux, puis de Janson-de-Sailly à Paris, il avait écrit dans les Cahiers en 1947. Ce passage est cité dans Le livre bleu des conseillers principaux d’éducation, CRDP Orléans, 1999.]] et dont le champ d’action est large. Le doyen de cette inspection générale le définira ainsi en 1981[[J’emprunte ces citations à Michel Soussan, Vie scolaire : approche socio-historique, in Revue française de pédagogie, 83, 1988.]] : « la vie scolaire, c’est tout ce qui se passe dans l’établissement, sauf ce qui se passe dans la classe quand il y a transmission des connaissances. (Mais elle) inclut les actions pédagogiques de soutien et d’approfondissement ». Après tout, au XIXe siècle, les inspecteurs généraux ne s’intéressaient pas seulement à leur discipline et, après la Libération, Louis François, devenu inspecteur général d’histoire, regardait le registre des consignes pour vérifier la pertinence des motifs. Mais M. Soussan remarque, perfidement (?), que « la vie scolaire cherche sa place entre l’enseignement et l’administration et la définition de la vie scolaire relève davantage pour ceux qui sont chargés de l’inspecter de la recherche d’un terrain administratif de compétences ou de délégations d’attribution que de l’appréciation des valeurs morales ou éducatives qu’elle sous-tend ». Il montre aussi la diversité des conceptions de la vie scolaire selon les catégories de personnes consultées ; « chacun y entend ce que de sa fonction il peut (ou veut) voir ». Et il cite Maurice Vergniaud, ancien directeur des collèges et un des promoteurs de l’organisation de la vie scolaire : « L’établissement du second degré est devenu l’unité de vie scolaire ; le cadre traditionnel de la classe éclate parce qu’il n’est plus le seul cadre d’activités pédagogiques et éducatives ; la constitution de groupes divers a fait perdre à la classe le monopole de la vie scolaire ». Mais, insinue encore M. Soussan, cette définition très fluctuante de la vie scolaire pousse au moins certains enseignants à dissocier vie scolaire et enseignement, à se replier sur leur discipline et à considérer que la vie scolaire est l’affaire, finalement, d’autres spécialistes.

Ces essais et ces questions correspondent à une époque où la clientèle des collèges et des lycées connaît une forte expansion numérique, où y entrent des élèves dont la représentation de l’enseignement secondaire et les possibilités d’activités culturelles et éducatives ne sont plus celles des générations précédentes, où l’impact de la vie familiale sur les enfants et les conditions de leur socialisation ont changé, où enfin la mixité s’introduit, avec tout un cortège de problèmes. La vie scolaire est un moyen, un canal, pour faciliter les adaptations nécessaires, et elle semble davantage considérée comme telle dans les établissements où l’échec scolaire assez largement spécifique de ces nouveaux collégiens et lycéens est plus flagrant ou menaçant. Les enseignants, dans ces établissements, sont-ils plus militants, plus engagés dans les mouvements pédagogiques (plus lecteurs des Cahiers pédagogiques ?), plus conscients de ce que la vie scolaire les concerne eux aussi ?

La mutation hésitante

Les surveillants généraux sont de toute façon au premier rang. Une circulaire de 1965 (17.11) définit leur mission, elle est large : organisation de la vie scolaire, maintien de l’ordre matériel et de la discipline, contrôle des absences, des mouvements et des récréations, vie collective des internes, activités périscolaires, connaissance, coordination et animation de toutes les activités en dehors des heures de classe, fonctionnement des bibliothèques d’élèves. « Secondé et informé par le personnel de surveillance et d’éducation, (le SG) acquiert une bonne connaissance des élèves et peut ainsi apporter des renseignements précieux au chef d’établissement et aux familles ». Un SG peut aussi recevoir la responsabilité plus particulière d’un groupe de classes (tenue des dossiers des élèves, contacts avec les professeurs, les parents, les élèves). « Les SG de CET apprécient, les SG de lycée beaucoup moins », remarque P. Serazin. À partir de 1959, le ministère a instauré pour les nouveaux SG, d’abord de CET puis aussi de lycées, des stages de dix jours, en internat dans un CET dans les mêmes conditions de vie que celles des élèves internes. Préalables à la prise de fonction, ces stages, mixtes et dont chacun regroupe une cinquantaine de SG, dont moitié d’auxiliaires, sont organisés surtout par les CEMEA, ou par les AROEVEN [[En 1965, les AROEVET et la FOEVET sont devenus AROEVEN et FOEVEN (de l’Éducation nationale).]]. Ils sont à l’origine de ce qui s’appelle maintenant Association nationale des CPE (ANCPE).

En mars 1968, le Colloque d’Amiens déplore que le foyer socio-éducatif (celui-ci a été organisé en janvier) soit « encore très en marge de l’établissement, puisqu’aucun local n’a été prévu et qu’aucun personnel autre que des professeurs volontaires (agissant hors service et gratuitement) n’en est chargé », et souhaite « l’association de tous les acteurs à la vie de l’établissement, formant ainsi une véritable communauté culturelle, où prendraient place entre autres des activités de clubs ». La création des associations socio-éducatives en décembre, pour animer le foyer socio-éducatif, pose le principe d’une cogestion entre jeunes et adultes. Mais l’élan de création des foyers le cède bientôt à la désaffection, en même temps que les mentalités des jeunes évoluent et que l’abaissement de la majorité à 18 ans en 1974 entraîne évidemment certaines difficultés dans les lycées ; beaucoup de foyers ne sont plus en fait que des structures vides. À partir de 1991, ce foyer peut devenir une Maison des lycéens, gérée par élèves (majeurs) élus par tous les élèves membres de l’association ; ce n’est pas pour autant que tous les lycéens l’adoptent.

Plusieurs décisions depuis la Libération ont donné une place à des délégués élus des élèves dans les rouages des établissements. Dès octobre 1945, ils participent au conseil intérieur ; à partir de 1968, au conseil d’administration, à la commission permanente et au conseil de classe ; en 1976, au conseil d’établissement. Un décret de 1985 institue un conseil des délégués des élèves, que préside le chef d’établissement, et qui « donne son avis et formule des propositions sur les questions relatives à la vie et au travail scolaires ». Cela répond au constat dans une circulaire de 1982 (2.6) qu’il faut redonner à l’institution délégués élèves, « mal vécue dans de nombreux collèges […], la place qu’elle devrait avoir acquise, afin de lui faire jouer pleinement le rôle éducatif qui est sa raison d’être ». Cette circulaire affirme que la finalité principale de l’action éducative au collège est « l’épanouissement de chaque adolescent », ce qui exige de « conduire simultanément, et de manière cohérente, une action pédagogique et une action éducative complémentaires », qui prennent en compte, « dans le cadre de la vie scolaire, les besoins affectifs, le besoin d’action et le besoin d’autonomie, essentiels chez tous les jeunes ». À la suite des manifestations de 1990, les lycéens se voient reconnaître le droit de réunion, le droit d’association au-delà du foyer, le droit d’expression collective par l’intermédiaire de leurs délégués ou de leurs associations, et le droit de publication sans contrôle préalable (circulaire 6.3.1991). En 1998, l’heure de vie de classe est institutionnalisée, ainsi qu’un conseil de la vie lycéenne, de composition paritaire et au pouvoir « décisionnel pour tout ce qui concerne la vie matérielle des élèves, sous réserve de ce qui relève des compétences des conseils d’administration et des chefs d’établissement ».

Enfin, apparut le conseiller d’éducation !

Le rapport de l’inspecteur général Caré avance que les CPE ont été « conçus dans les temps d’incertitude et d’espérance de mai 1968 », ce qui ne pourrait être que négatif aux yeux de certains. En fait, et même si mai a beaucoup marqué non seulement les élèves mais aussi les personnels d’éducation, la gestation avait débuté avant, et il a fallu plusieurs années de discussions avec les syndicats pour que soient créés en 1970 (décret du 12.8) les corps de conseillers d’éducation pour les CES et les CET et de conseillers principaux d’éducation pour les lycées. Il y a alors environ 1300 CPE et 1950 CE, plus 1800 maîtres auxiliaires, soit une proportion plus forte que dans les autres corps, et, dans les années 1970, des « instructeurs » rapatriés d’Algérie, qui seront intégrés comme CE à partir de 1984. Le corps des CE est mis en extinction en 1990, et les CE seront progressivement intégrés comme CPE Mais ce n’est pas si simple ; peut-être, les personnels de direction ont-ils vu « d’un très mauvais œil le surveillant général, « Maître Jacques, ce bon à tout faire » remplacé par un CE/CPE qui, ayant une mission d’éducation définie n’est plus « taillable et corvéable à merci » » (Rémy et al.). Une circulaire de 1972 (31.5) rappelle qu’ils ont toujours la responsabilité de l’ordre.

À qui le maintien de l’ordre ?

Maintenant, ce sont les CPE qui contestent une circulaire qui fait d’eux les « héritiers des surveillants généraux » et qui leur donne des rôles peut-être contradictoires entre eux, le maintien de l’ordre et « une mission permanente d’animation éducative », qui s’exerce « à tous les moments de la vie scolaire où les élèves ne sont pas pris en charge par les professeurs » mais « en liaison étroite avec le personnel enseignant ». Ne s’agit-il alors que de ces promotions sémantiques dont les exemples sont nombreux ? Et les CPE, qui n’ont pas non plus un temps de service défini, font-ils partie de l’équipe de direction des établissements ? Le ministère le souhaite, les CPE le refusent pour la plupart et souhaitent « la parité » entre les fonctions d’éducation et les fonctions d’enseignement, d’autant que les nouveaux CPE n’ont généralement plus la référence au modèle des « surgé ». Certains organisent dès 1985 des heures de vie scolaire, pour ne pas avoir à demander à chaque fois aux professeurs de leur céder une heure. L’heure de vie de classe est institutionnalisée en 1998 (note du 5.10), comme « moment privilégié d’échange et de concertation entre élèves, enseignants et autres personnels » ; elle est « en général animée par le professeur principal ».

La circulaire contestée de 1972 est abrogée par une autre de 1982 (28.10), « un texte libérateur » (Serazin), qui recentre les responsabilités des CPE sur la Vie scolaire (avec une majuscule), définie comme « placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective et d’épanouissement personnel ». La responsabilité du CPE « doit toujours être assurée dans une perspective éducative et dans le cadre global du projet d‘établissement ». Est-ce faire des CPE les « spécialistes » de l’éducation comme les professeurs sont ceux d’une discipline ? On pourrait lire ainsi la loi Jospin de 1989 : (art.4) « les enseignants travaillent au sein d’équipes pédagogiques ; celles-ci sont constituées des enseignants […] et des personnels spécialisés, notamment les psychologues scolaires dans les écoles. Les personnels d’éducation y sont associés ». Mais, selon le rapport Caré en 1992 – qui relève aussi que le mot « équipe », qui fait partie des figures obligées, n’est pas toujours la chose – « il s’agit pour les CPE de développer une nouvelle intelligence de la pédagogie, faite de compréhension des difficultés d’apprendre pour les uns et d’enseigner pour les autres », étant entendu que « le CPE n’a qu’un regard global porté sur le travail de l’élève et sur son comportement ».

La direction à prendre ?

La tâche est vaste. Elle avait été esquissée par le premier inspecteur général de la vie scolaire, Marcel Sire : « Les conseillers principaux et conseillers d’éducation appartiennent à l’équipe de direction des établissements. Ils en partagent les responsabilités éducatives. Leur mission est de diffuser et d’entretenir dans la vie de l’établissement, à tous ses niveaux et sous toutes ses formes, qu’il s’agisse d’activités scolaires ou périscolaires, l’esprit éducatif qui doit y régner. Placés au contact des élèves, des professeurs, des familles, et s’intéressant à toutes les questions d’éducation, à celles qui concernent les loisirs culturels comme à celles qui concernent le travail ou la discipline. D’un mot, ils sont, à leur rang, les agents responsables d’une éducation intégrale, d’une pédagogie qui inclut tous les aspects de la formation individuelle et collective ». Dans la perspective de l’éducation tout au long de la vie, ils ont « à faire aimer, rendre attrayante une vie d’école qui n’est plus destinée à passer avec le jeune âge, qui est destinée au contraire à préfacer une série de retours à l’étude ».

Mission ambitieuse, pour laquelle un concours de recrutement au même niveau que le CAPES et qui se révélera très sélectif est institué dès 1971. Mais la formation initiale se limite avant 1981 à un stage théorique de huit semaines dans un centre inter-académique, et un stage d’observation dans un ou plusieurs établissements. En 1982, le stage théorique est réduit à six semaines, le stage pratique devient un stage en situation. Cette formation, qui ne touche d’ailleurs pas les anciens MA ou les anciens instructeurs intégrés, ne semble pas avoir été bien reçue par les intéressés. On n’envisage une formation continue qu’à partir de 1986. En 1992, la formation des futurs CPE est confiée aux IUFM , en insistant sur l’aspect pédagogique, et Claude Caré semblait penser que « la rupture » entre les anciens CPE et ceux qui sortiront des IUFM sera aussi forte qu’entre les CPE pionniers et les anciens surveillants généraux. Il n’empêche que des enquêtes de 1995 indiquent qu’encore quatre CPE sur dix n’ont reçu aucune formation professionnelle. Il y a dix ans, Cl. Caré, tout en insistant sur « l’image positive » du corps des CPE, se demandait « comment un corps en bonne santé peut compter tant d’individus mal portants, qui négligent l’un ou l’autre des secteurs d’action spécifique de la vie scolaire » et évaluait à 15 % « les CPE qui ne parviennent pas à se défaire d’un comportement policier ». Aujourd’hui, des chefs d’établissement confient que certains de leurs CPE restent proches du modèle des anciens surveillants généraux. Les situations sont sans doute très diversifiées.

Une des responsabilités des CPE est l’organisation du travail des surveillants, d’internat – celui-ci, bien qu’en régression numérique, reste indispensable dans bon nombre d’établissements – ou d’externat, et les surveillants, pas loin de 50 000, sont aussi un élément indispensable de la vie scolaire, plus proches des grands élèves en raison de leur âge. Mais le statut des surveillants n’a pas été revu depuis l’avant-guerre, et ne répond plus aux besoins, ne serait-ce que parce leur préoccupation première est leurs études et leurs examens. Pour autant, l’idée de les remplacer par de jeunes retraités ou des mères de famille qui a été évoquée récemment au ministère ne semble pas réalisable.

L’existence de CPE semble une spécificité française. La différence entre le surgé d’antan et le CPE est certainement plus grande qu’entre le professeur d’avant et celui d’aujourd’hui ; il n’y a pas héritage, et beaucoup de parents n’ont pas connu, quand ils étaient lycéens, cet aspect de la vie scolaire. L’accès au corps des CPE – ils sont aujourd’hui plus de 10 000, plus du double de ce qu’ils étaient il y a trente ans – représente, d’après les travaux de Frédéric Charles, « une ascension sociale importante pour une population confrontée à une « réussite scolaire » moins rapide ou à des difficultés d’insertion sociale, ceci malgré des diplômes universitaires élevés », dit Rémy, ce qui, pour C. Monin, « peut en partie expliquer l’attachement de cette catégorie au suivi d’équipe de l’élève en difficultés » [[In Adapt-Snes.]]. La fonction semble évoluer vers plus d’écoute que d’animation, mais finalement, demande Robert Ballion [[In Migrants Formation 106, 1996.]](17 ) , le CPE est-il « auxiliaire éducatif ou pivot de l’établissement » ? « Le changement d’attitude des élèves face à l’école rend les CPE plus sensibles aux tensions qui naissent de leur rôle ambigu et « à risques », face aux fonctions clairement définies d’enseignant et de chef d’établissement ». Mais, selon une enquête du même R. Ballion en 1995, 54 % des lycéens jugent leur relation avec les CPE satisfaisante ; 44 % le disent de leur relation avec les enseignants, 30 % de leur relation avec la direction. Les chefs d’établissement qui ont d’abord été CPE – le rapport Caré notait que c’était la « pente naturelle » pour les CPE, même si cela reste le plus souvent implicite – sont-ils différents de ceux qui ont d’abord été enseignants ? Cela serait intéressant à étudier. Des chefs d’établissement se préoccupent réellement d’éducation, des enseignants aussi : concurrence, source de conflits avec les CPE qui seraient alors rejetés vers la seule « Vie scolaire », réduite à un lieu, ou coopération fructueuse pour le bien de tous ? La vie scolaire les concerne tous.

Jacques George
Professeur honoraire de l’IUFM de Paris.

Notes