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De l’antiracisme à l’antisexisme
Ma classe de 5e étant largement masculine (douze garçons et quatre filles), avec des élèves pour qui l’égalité entre femmes et hommes ne va pas de soi, j’ai choisi de construire un projet «lutte contre le sexisme». Dans cette classe pas de violence physique, mais verbale : une violence latente, une pression constante des garçons à l’égard des filles, des actes considérés normaux par les élèves puisqu’habituels, voire banalisés. En même temps, les mêmes expriment quotidiennement un besoin de justice et d’équité.
Le projet avait donc pour objectifs d’améliorer les relations au sein de la classe, mais aussi de lier différentes disciplines afin de faire progresser les élèves dans d’autres domaines que ceux du pilier 6 – acquisition des compétences sociales et civiques – et du pilier 7 – autonomie et esprit d’initiative – du socle commun.
J’ai contacté en octobre 2011, le Cap’J, une structure du service jeunesse de la ville de Saint-Ouen, partenaire habituel du Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté du collège, pour organiser trois temps forts.
Travailler les représentations
La visite d’une exposition «Fabrique à Sexes» au sein de la structure Tête à Tête[[Un espace d’information, d’écoute et de prévention pour les 13/25 ans financé par le conseil général de Seine-Saint-Denis]] a été proposée aux élèves en janvier 2012. Au préalable, les notions de discrimination ont été travaillées en éducation civique : je ne voulais pas entrer directement dans la problématique que pose le sexisme, les conceptions des élèves étant très résistantes. J’ai préféré ouvrir au plus large la question de la discrimination afin d’obtenir des consensus sur quelques thèmes centraux (essentiellement handicap et racisme). Lorsqu’ensuite l’équité fille/garçon a été abordée lors de débats, je suis revenu, à chaque blocage, aux consensus construits avec les élèves sur ces discriminations plus globales. Si tout le monde est d’accord pour être contre tous les types de discriminations, comment admettre celles qui concernent la moitié de l’humanité ? La visite de l’exposition a prolongé le bouleversement de leurs représentations. Parfois de manière assez forte, car il a fallu veiller à ne pas renforcer celles-ci, un refuge dans lequel certains ont tenté de se cacher, voire de s’enfermer.
Apporter des connaissances
Le deuxième temps fort a été la participation au jeu «Planète Genre» construit par l’équipe du Cap’J, partenaire du projet. Sur un jeu de plateau, les élèves sont amenés à s’affronter par équipe sur des connaissances portant sur des questions de société (droit de vote des femmes, avortement, etc.). Les dates récentes des lois sur ces sujets ont fait réagir : ils ont réalisé qu’on ne peut se contenter du «c’est comme cela, ça ne changera jamais», qu’ils étaient partie prenante de ces évolutions de la société. Le jeu de plateau proposait également des saynètes à interpréter, puis des situations à déclarer «sexistes » ou « non sexistes», de sorte que des conflits à résoudre s’intercalaient entre notions théoriques et aspects pratiques. Ces mises en situation ont permis aux élèves de lier leur réflexion à des cas pratiques. Ce jeu a participé à la déconstruction de conceptions erronées ou trop ancrées par la société et a aidé à la construction de résolutions : remettre en cause l’école comme lieu favorisant parfois une forme de sexisme a été par exemple une entrée leur permettant de questionner d’autres lieux d’éducation.
Élaborer des messages
L’issue prévue du projet (encore en cours) est la construction de messages de lutte contre le sexisme. Les élèves ont choisi le support de l’image pour se faire entendre et communiquer l’évolution de leurs perceptions. Avec un intervenant vidéo de la structure Cap’J, nous avons élaboré des séances pour les initier à diverses pratiques : techniques de réalisation de courts-métrages (fictions et reportages) ; montage vidéo afin qu’ils puissent élaborer un regard critique sur le monde de l’image ; travail de jeu d’acteur.
Ces rencontres ont également permis de travailler les compétences liées à la langue, à travers des productions orales et écrites. Le support de l’image fut un grand soutien en impliquant un feedback : les élèves ont dû se remettre en question et prendre du recul pour faire progresser leurs productions. En travaillant pour les autres, mes élèves ont travaillé sur eux : ils ont réfléchi pour dire et écrire sur le projet en lui-même, mais aussi pour dire et écrire sur la langue. De ces actions «non scolaires» au premier regard, ont découlé des activités scolaires permettant la construction et l’approfondissement des compétences du socle.
Plus de justice ?
Le climat de classe s’est nettement amélioré, grâce notamment à une évolution du comportement entre les garçons et filles. Si certaines résistances s’observent encore, les régulations viennent le plus souvent des élèves eux-mêmes et j’ai de moins en moins à intervenir. En éducation civique, ce projet nous a permis d’aborder les notions de laïcité, d’équité, de respect et finalement d’affiner la notion du vivre ensemble. Enfin, les travaux sur le français ont permis à la classe de travailler avec plaisir sur des notions de maitrise de la langue orales et écrites : les progrès sont évidents, notamment dans la mise au travail qui s’est opérée sans heurts puisque par nécessité et par envie. Les élèves ont cherché à gagner en clarté afin de produire du sens en étant plus précis, plus explicite. Enfin, les élèves de cette classe se sont sentis très valorisés de pouvoir montrer aux élèves de filière générale le fruit de leurs travaux.
Ces actions, qui pourraient probablement être menées dans tout établissement, trouvent bien leur place au sein de l’éducation prioritaire, au sens où les problématiques travaillées semblent ici plus aigües. Culture familiale, culture juvénile : ces points ont d’abord fait résistance pour finalement se transformer, les élèves ayant eu envie de se comporter eux-mêmes selon le principe de justice.