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« Coopérer est un moyen pour que tous les élèves apprennent plus facilement »

La coopération entre élèves, c’est efficace pour apprendre, mais ça n’est pas une recette magique ! Pour que tous comprennent mieux ce qui se joue et en tirent les bénéfices, pour qu’aucun ou aucune ne se décourage, il faut y former les élèves. Notre récent dossier fourmille d’exemples, d’outils et de pistes pour cela. Ses coordonnateurs nous le présentent.
Pourquoi faire coopérer les élèves ?

Dans un monde parcouru par les crises, une société où l’individualisme est mis à l’honneur, la coopération apparaît comme une piste salutaire, un choix politique pour un monde plus altruiste.

Au-delà du vivre ensemble, des valeurs de la République, coopérer est également un moyen pour que tous les élèves apprennent plus facilement, et un moyen accessible pour différencier. Croire en l’éducabilité de tous et au principe de cohérence de Daniel Favre (« Chacun(e) a de bonnes raisons de faire ce qu’il fait, de dire ce qu’il dit, de penser ce qu’il pense et surtout de ressentir ce qu’il ressent. »1) sont des postulats nécessaires pour s’engager dans cette voie. Ils deviennent possibles avec une organisation coopérative du travail des élèves.

  • La formation à la coopération s’avère très utile pour plusieurs raisons. Elle aiderait les élèves :
  • à mieux comprendre les règles et les objectifs,
  • à éviter de tomber dans les dérives de la coopération (décrites plus bas),
  • à saisir l’importance de la réciprocité des fonctions au sein des différents dispositifs coopératifs (par exemple, que ce ne soient pas toujours les mêmes élèves qui aident, que tous puissent le faire),
  • à s’approprier les principaux gestes coopératifs,
  • à participer à un climat de travail sécurisé et motivant.
Qu’apprend-on en coopérant que l’on n’apprend pas autrement ?

Les frères David et Robert Johnson, chercheurs américains, ont comparé trois modalités d’enseignement. Les pédagogies individualistes, des pédagogies aux formes compétitives et des pédagogies mettant en place des formes de coopération. Leur méta-analyse ont montré que quelle que soit la discipline enseignée et l’âge des apprenants, la coopération se montrerait plus efficace dans quatre domaines :

  • Le premier est l’apprentissage : en coopérant, les élèves apprendraient davantage et plus longtemps. Par exemple, en pouvant régulièrement observer et imiter ce que des camarades font (par un « effet vicariant »2).
  • Le deuxième est la socialisation : en travaillant de manière ordinaire et habituelle par de la coopération, les élèves développeraient des habiletés prosociales de manière plus affirmée, comme notamment la gestion des émotions et de la colère.
  • Le troisième est la motivation : les possibilités de travailler de manière coopérative verraient les élèves fournir plus d’efforts pour apprendre.
  • La quatrième est sur le développement personnel des élèves : les situations coopératives permettraient aux enfants et adolescents de s’engager dans leur vie et d’assumer les choix faits. Ils apprendraient également à considérer l’autre comme au moins aussi important qu’eux-mêmes, et à vivre les différences entre les personnes comme des richesses plus que comme des défiances.
Quels sont les pièges, ou les écueils, auxquels il faut faire attention quand on veut faire coopérer les élèves ?

La formation des élèves à la coopération permet d’essayer de contourner les quatre formes de dérives éventuelles.

  • La dérive attentionnelle. Elle est liée à l’élévation du niveau sonore et de l’agitation due aux déplacements et aux échanges dans la classe. Plus il y a d’agitation autour de soi et plus c’est difficile pour les élèves fragiles scolairement de rentrer dans l’apprentissage. Des élèves initiés et ayant compris les raisons pour lesquelles ils peuvent essayer d’apprendre avec d’autres sont plus attentifs au calme.
  • La dérive productiviste. Elle est liée à la confusion entre l’objectif et la tâche. Les élèves confondent ce qu’on leur demande d’apprendre avec la manière dont on les fait travailler. Par exemple, ils pensent (à tort) que travailler avec d’autres sert à apprendre à travailler à plusieurs, alors que les intentions sont plutôt de s’approprier le contenu que l’enseignant leur fait étudier.
  • La dérive fusionnelle. Par peur de conflit relationnel avec d’autres, certains élèves n’osent pas entrer en conflit d’idées lors des confrontations en groupes. Ils se disent alors tacitement d’accord avec les autres, ce qui les prive de la remise en question de leurs certitudes.
  • La dérive différenciatrice. Elle consiste à confier aux élèves les plus à l’aise scolairement les rôles coopératifs les plus intéressants intellectuellement. Les élèves les plus fragiles seraient quant à eux bien malheureusement relégués aux tâches subalternes.
Et qu’avez-vous appris vous-mêmes en préparant ce dossier?

Cyril Lascassies : J’ai le sentiment que de plus en plus de collègues s’intéressent à la coopération et s’y essayent, à l’image du nombre de propositions que nous avons reçues et des relais sur les réseaux sociaux. Toutefois, je perçois qu’une culture commune reste à construire, pour dépasser l’effet de mode et les pièges de la coopération, voire de la collaboration, afin de mieux identifier nos intentions, ainsi que les points de vigilances dont nous avons parlé.

Julie Lefort : D’une part, j’ai pris conscience de l’ampleur du travail que représente l’élaboration d’un numéro des Cahiers. D’une autre, je me suis rendu compte que beaucoup de collègues commençaient à s’intéresser à ce genre de pratiques mais que nous ne parlions pas tous le même langage: nous ne donnions pas la même signification à chaque mot de la coopération d’où l’importance du petit dictionnaire dans ce dossier.

Sylvain Connac : J’ai été conforté dans l’idée que de très nombreux enseignants étaient passionnés par ces pédagogies de la coopération, parce qu’ils voyaient en elles des raisons d’assouplir l’exercice de leur métier en s’associant à leurs élèves pour qu’ils apprennent. Il est également ressorti que les Cahiers pédagogiques jouaient un rôle majeur dans cet accompagnement. Enfin, j’ai une nouvelle fois pu constater qu’il est plus agréable de réaliser un tel travail en collaboration avec des amis (merci Julie et Cyril !), l’avis des uns venant compenser quand il le faut les quelques manques des autres.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Notes
  1. Daniel Favre, Éduquer à l’incertitude – Élèves, enseignants : comment sortir du piège du dogmatisme ? Dunod, 2016, p. 105.
  2. Où l’on apprend en marge du discours du maitre ou du formateur, en regardant faire, en écoutant et en imitant ceux qui savent faire.