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Concilier programme, progression et socle

Tout a commencé comme dans beaucoup d’établissements par une journée pédagogique où les équipes d’enseignants ont choisi les items du livret de compétences dont ils se chargeraient. Notre équipe de français a ensuite élaboré par niveau un plan d’année définissant pour chaque séquence les objectifs du programme et les items pouvant leur correspondre. L’obligation de valider le socle en fin de troisième met l’accent sur la question de l’évaluation. Pour ma part j’enseigne le français en 6° et 5° ; ma priorité est de familiariser les élèves avec le travail par compétences. Se lancer, faire des choix, imaginer des situations, construire des outils en tirant profit du vécu du collège. Ce que je présente ici est issu à la fois d’un travail d’équipe et d’initiatives personnelles. J’ai d’autre part beaucoup apprécié l’ouvrage d’Annie Di Martino et A-M Sanchez et celui de F.-M. Gérard, Evaluer des compétences ; j’essaie d’en mettre en application certains principes. Modestement !

FAIRE DES CHOIX

Ma façon d’apprivoiser le livret a été de contourner son aspect fragmenté en regroupant les items choisis autour de cinq compétences. Elles me permettent d’articuler les différents domaines du programme et correspondent à des tâches complexes récurrentes du cours de français tel que je le pratique aujourd’hui. Le nombre en est volontairement limité par souci de faisabilité, que ce soit pour moi ou pour les élèves qui peuvent plus facilement se les approprier. Langue et orthographe ne sont pas nommées mais sont des ressources nécessaires pour l’une ou l’autre.

Voici ma liste actuelle qui évoluera sans doute..

  • 1. Lire un texte littéraire pour en rendre compte
  • 2. Rédiger un texte à partir de consignes
  • 3. Interpréter un texte devant un public
  • 4. Participer à un échange verbal organisé
  • 5. Rechercher, sélectionner des informations utiles et les traiter.

Ces compétences se répétant en 6e, en 5e, etc., définir des degrés de maîtrise selon le niveau d’enseignement est incontournable mais la non prise en compte explicite du socle dans le programme de français en dehors du préambule ne rend pas ce travail d’équipe facile. Pour Lire un texte littéraire les seules précisions du programme par niveau de classe sont les œuvres à étudier. Pour Rédiger un texte, Interpréter un texte devant un public ou Participer à un échange verbal organisé des éléments de réponse sont en revanche donnés.

J’ai défini des critères et  cherché à les mettre en lien avec les items du livret. Un item peut correspondre à l’ensemble de la compétence. Ce travail de correspondance est parfois un travail de traduction qui s’affine au fil de la parution des outils complémentaires. Pour une même compétence, selon la tâche proposée et le niveau de classe, tel ou tel critère, tel ou tel item seront privilégiés.

Un exemple de compétence :
Participer à un échange verbal organisé
Critères d’évaluation possibles

1- Qualité du contenu
2- Prise en compte d’autrui
3- Respect de la situation de communication
4- Maîtrise de la langue

Correspondance avec le livret de compétences
Maîtrise de la langue française
I.3.1 – Formuler clairement un propos simple
I.3.3 – Adapter sa prise de parole à la situation de communication
I.3.4 – Participer à un débat, à un échange verbal
La culture humaniste
V4.3 – Être capable de porter un regard critique sur un fait, un document, une œuvre
Les compétences sociales et civiques
VI.2.2 – Comprendre l’importance du respect mutuel et accepter toutes les différences
L’autonomie et l’initiative
VII.3.2 – S’intégrer et coopérer dans un projet collectif

Des situations en 5° sont très adaptées pour travailler cette compétence : la simulation du procès de Renart, ou les jeux de rôles dans des interrogatoires policiers après l’étude de L’escarboucle bleue de Conan Doyle.

Voir l’annexe 1 : critères et items

Pour qu’on puisse parler d’un travail par compétences, les élèves doivent disposer des ressources nécessaires à la réalisation de la tâche proposée. Le choix des tâches complexes est donc étroitement lié à la progression établie et vice-versa. Ainsi pour jouer le rôle d’un témoin de l’affaire de l’escarboucle, l’élève devra-t-il savoir dégager les éléments essentiels de la nouvelle, reconstituer l’ordre chronologique, choisir un registre de langue adapté à son personnage mais aussi avoir une certaine connaissance du plan de Londres grâce au professeur d’anglais par exemple.

L’interdisciplinarité semble inhérente à la notion de tâche complexe et de compétence. Nous avons la chance de disposer dans notre établissement de séances de pôles interdisciplinaires, ce qui habitue l’élève à faire des liens entre les ressources apportées par différentes disciplines. Cela nous permet de proposer des tâches plus variées. Les pôles sont tantôt un temps d’acquisition de ressources, tantôt le lancement d’une tâche complexe, tantôt un temps de production ou d’évaluation. Pour planifier de façon réaliste temps de ressources et travail par compétence il faut tisser de façon étroite les liens entre pôles et cours. C’est parfois délicat puisque cela implique en partie au moins deux disciplines.

DES BOITES GIGOGNES MODULABLES

Ces compétences correspondent le plus souvent à  des items appartenant à différentes grandes compétences du socle.

Lors des simulations et jeux de rôles cités ci-dessus, la compétence Participer à un échange verbal organisé met en œuvre des items d’oral de Maîtrise de la langue française mais aussi, s’il ne s’agit pas d’un simple exercice technique, de l’item Comprendre l’importance du respect mutuel (compétence 6) et, selon la situation, d’Etre capable de porter un regard critique sur un fait, un document, une œuvre (Compétence 5). A son tour, Lire un texte littéraire intègre des items de Maîtrise de la langue française et de Culture humaniste combinés dans une tâche commune.

Le socle n’est pas une liste d’items indépendants les uns des autres mais il s’agit bien d’un réseau, les associations variant selon les tâches, l’un pouvant devenir sous-compétence de l’autre et même ressource d’un niveau de classe à l’autre. Des boites gigognes qu’il faut emboîter de multiples façons. Aborder ou évaluer les items de façon seulement analytique ne serait pas un véritable travail par compétence mais d’autre part les 7 grandes compétences sont trop génériques pour être opérationnelles. Le fait de regrouper les items autour de compétences plus faciles à contextualiser dans des tâches complexes leur donne davantage de sens. En fait, d’un point de vue pratique, j’utilise les compétences  que j’ai définies pour renseigner les items du socle.

Un item peut correspondre à des compétences différentes.

Être capable de porter un regard critique sur un fait, un document, une œuvre Lire un texte littéraire pour en rendre compte
Participer à un échange verbal organisé
Repérer les informations dans un texte à partir des éléments explicites et des éléments implicites nécessaires Lire un texte littéraire pour en rendre compte
Rechercher, sélectionner des informations et les traiter
Ecrire lisiblement un  texte, spontanément ou sous la dictée, en respectant l’orthographe et la grammaire Rédiger un texte  à partir de consignes (critère Correction de la langue)
Dictées

L’ensemble de ce travail a abouti à la constitution d’un tableau récapitulatif faisant apparaitre les correspondances que je viens de présenter.

Voir l’annexe 2

ASSOCIER LES ÉLÈVES

Au début de chaque séquence nous distribuons aux élèves une « feuille de bord » présentant les objectifs, la référence des outils sur le manuel ou les fiches polycopiées, les dates et titres des séances interdisciplinaires. Nous y faisons souvent référence et elle est fréquemment l’objet de reformulations par les élèves. J’ajoute un tableau Evaluation où les élèves relèvent les résultats, chiffrés ou pas, obtenus aux différentes interrogations ou évaluations en distinguant les ressources et les travaux plus complexes. Au dos de la fiche, je reproduis le tableau récapitulatif cité précédemment en ne cochant que les compétences et items visés dans la séquence. Mais toutes les cases correspondant aux cinq compétences restent grisées. Il me semble important que l’élève garde une vision d’ensemble de la compétence même si à ce moment de l’année on ne travaille ou n’évalue que certains critères. En fin de séquence je renseigne les cases cochées soit par un code de couleurs soit par un code chiffré (1, 2, 3, 4). La fiche est ensuite signée par les parents.

Voir l’annexe 3 : extrait d’une feuille de bord

J’annonce la tâche complexe le plus souvent en début de séquence parce qu’elle est liée à la dominante et qu’elle permet de comprendre pourquoi nous nous croiserons avec telle ou telle discipline. Elle donne du sens, du moins je l’espère, à l’ensemble de la séquence. De façon schématique, intervient ensuite l’apprentissage et l’évaluation des ressources. Ce n’est qu’en fin de séquence que la tâche est précisée et que les élèves la réalisent. Il est possible de planifier les séquences de telle façon qu’une tâche complexe soit l’aboutissement  de plusieurs séquences. C’est par exemple le cas de l’écriture d’un fabliau après deux séquences sur la littérature médiévale et plusieurs séances de pôles avec le professeur d’histoire à la suite de la visite d’un parc d’interprétation du Moyen âge.

Le plus important et le plus difficile est de prendre du temps pour permettre de verbaliser les démarches, les obstacles rencontrés, faire un bilan au-delà des notes. J’alterne des entretiens individuels, trop rares, et  des relectures par petits groupes d’affinités. Il me semble que les élèves les plus en difficulté se trouvent moins placés devant un échec global puisque bien souvent tel ou tel critère, tel ou tel item est réussi. Le verre à moitié plein est davantage visible. En tout cas ils identifient peu à peu les compétences et s’approprient en partie le livret, à leur rythme.

EVALUER AUTREMENT

D’une façon générale, je fais plus souvent des petites interrogations de ressources vérifiant les leçons ou des applications simples, notées sur 5, sur 10  etc. Cela permet de proposer une remédiation ponctuelle au sein de la classe sous forme de fiches par niveau. Pendant un travail par tâche complexe, il m’arrive d’autoriser l’accès aux fiches de ressources, du moins pour certains élèves. Pour chaque sous-compétence, j’évalue 3 ou 4 critères maximum à partir d’indicateurs observables listés avec les élèves. L’aide pour réaliser la  tâche demandée prend la forme d’un guidage plus précis mais sans découper en étapes prédéfinies qui empêcheraient de chercher. La limite est quelquefois difficile à trouver en  6° notamment.

La difficulté est de cumuler les deux systèmes d’évaluation mais actuellement je ne vois pas d’autre solution dans mon collège. Parallèlement aux notes, j’essaie d’évaluer autrement les compétences, dans le sens d’extraire de l’information et de la communiquer, au moins aux élèves. Pour le moment Lire un texte littéraire pour en rendre compte est généralement évalué par des parties des contrôles communs de fin de séquence. Certaines questions sur le texte sont regroupées autour d’un critère ou item : Repérer des informations dans un texte – Avoir des connaissances et des repères littéraires –  Établir des liens entre les œuvres. En ce qui concerne Rédiger un texte à partir de consignes j’utilise pour chaque devoir les critères pertinence/cohérence/ correction de la langue/créativité et originalité (cf. Cahiers pédagogiques, Hors-série n°20), ce qui permet de voir les progrès plus facilement qu’en utilisant les grilles à critères multiples et variables que je construisais auparavant. Dans ces deux cas, les critères me permettent de noter mais aussi de renseigner des items au dos de la feuille de bord en distinguant quatre niveaux de maîtrise.

Pour Interpréter un texte devant un public  ou  Participer à un échange verbal organisé j’évalue « en direct » pendant la tâche complexe. Dans ce cas j’intègre l’évaluation par les pairs. Les critères et indicateurs peuvent être donnés sous la forme d’une échelle descriptive délimitant différents niveaux de ceintures. Cela permet aux élèves de se fixer le niveau de réussite qu’ils veulent atteindre et les incite à ne pas laisser de côté un critère.

Lors de travaux de groupes pour des recherches ou des mini projets,  j’essaie  de renseigner certains items des compétences 6 et 7 du socle soit par l’observation directe soit par des temps de bilan.

Le plus difficile est de  faire une synthèse à partir des relevés de chaque séquence,  en fin de trimestre. Il ne s’agit pas de faire des moyennes mais plutôt d’interpréter des observations….

Bien sûr, le travail par compétences ne peut être que plus facile et plus efficace si l’ensemble de l’équipe travaille dans ce sens, parce que cela change le rôle du professeur, la forme de l’évaluation,  la relation avec l’élève : il a droit aux tâtonnements,  on attend de lui qu’il explicite sa démarche, qu’il travaille avec les autres. Tout cela prend du temps. Il ne s’agit pas non plus pour moi d’exclure d’autres formes d’apprentissage. Mais se lancer dans cette approche ne peut qu’enrichir la réflexion et améliorer les pratiques, à condition de sauvegarder un certain degré de travail d’équipe et de chercher les occasions de confronter ses choix pédagogiques à ceux d’autres enseignants.

Evelyne Barratier
Professeure de français en collège à Lyon