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Comprendre et combattre l’échec scolaire. L’articulation entre pédagogies et didactiques

Yves Reuter, Berger Levrault, 2024

Une fois de plus, l’auteur remet l’ouvrage sur le métier, entamé précédemment dans « Comprendre les pratiques et pédagogies différentes » et par bien d’autres contributions qui soulignent le lien complexe, très tenu, entre les didactiques, le vécu scolaire des élèves, le décrochage, du fait des fonctionnements de l’école qui rendent difficile les apprentissages. Pour ce faire, il documente la compréhension de l’échec scolaire par des explications issues tout autant de la sociologie, de l’anthropologie, des recherches en didactiques, des expérimentations et des témoignages pédagogiques. L’auteur cible la population des élèves issus des familles les plus précaires, les plus invisibles, « les sans-voix », « les cabossés », « les incasables », les oubliés ou marginalisés, dans le but de mieux comprendre leur rapport complexe à l’école et en quoi l’école peut mieux agir.

L’échec scolaire est expliqué par les fonctionnements scolaires, les manières de faire école et le programme, et non pas uniquement par les caractéristiques ou les origines socioculturelles des élèves.

Dans ce sens, l’auteur propose de croiser, en recherche, les intérêts pédagogiques et didactiques, deux mondes qui ne devraient pas se voir comme clivés, mais imbriqués, complémentaires, éclairant chacun les enjeux de l’enseignement, des démarches et dispositifs pédagogiques, des apprentissages – voulus et vécus – et des contenus scolaires. Un travail en commun est nécessaire entre les didactiques et les expériences de terrain, sachant que « des pratiques peuvent être en avance sur les théories » (p. 29). Les recherches en didactique(s) ne doivent pas se défaire de la situation sociale des élèves, et en particulier de ceux les plus exclus de l’école, et devraient se rallier au combat contre l’échec scolaire. L’auteur reprend d’ailleurs des conceptualisations développées précédemment comme la configuration disciplinaire, le vécu et la conscience disciplinaire pour mieux saisir les enjeux d’enseignement et d’apprentissage pour les élèves les plus en difficulté ou exclus.

Pour comprendre les difficultés des élèves à l’école, il est urgent d interroger tout ce qui peut rendre opaque le fonctionnement de l’école, tous les implicites présents dans beaucoup de situations et de contenus scolaires. À l’appui de nombreux chercheurs (Bourdieu, Chervel, Chevallard, Harlé, Vargas, Verret, Vincent, pour n’en citer que quelques-uns) qui ont exploré ces questions, Yves Reuter montre comment la forme scolaire marque les contenus, comment ils s’inscrivent dans une  relation pédagogique impersonnelle, comment est privilégiée la transmission par le langage écrit, tout ce qui va rendre plus difficile les apprentissages de beaucoup d’élèves et les éloigner des savoirs.

Yves Reuter invite les professionnels à penser autrement en se débarrassant de nombreuses illusions qui traversent les débats sur l’école, comme : « retrouver l’âge d’or de l’école » que l’école n’a jamais connu, « laisser le monde extérieur à la porte de l’école », « retrouver la toute-puissance du maitre », enseigner par « une progression du simple au complexe » ou réduire l’enseignement à « l’enseignement explicite » ou à toute solution « clés en main ». Il s’agit de changer la posture de l’enseignant et de repenser l’école comme « un univers plus hospitalier et non hostile » (p. 89) aux élèves et à leurs familles. Il s’agit donc de clarifier les fonctionnements scolaires par plus sécurisation et stimulation aux élèves, là où ils en sont dans leur histoire cassée avec l’école. L’école ne doit pas en rajouter dans les obstacles, mais plutôt tisser des ponts d’articulation avec la vie scolaire et extrascolaire des élèves. Cela s’accompagne d’une ouverture (symbolique et réelle) des portes de la classe aux parents, pour mieux comprendre comment le travail scolaire s’élabore avec leurs enfants.

Le changement de posture de l’enseignant s’appuie également sur un travail d’équipe, sur un postulat d’éducabilité sans cesse renouvelé.  L’auteur met l’accent sur les enjeux de sens des apprentissages et leur fonctionnalité (à quoi ça sert ?). L’enseignement devrait prendre en compte les questions des élèves ici et maintenant et également les questions du passé, dans « la construction d’une vision spécifique du monde » qui donne la place au doute et à l’esprit critique.

L’enjeu des interactions au sein de la relation entre l’élève et l’enseignant est crucial et devrait tenir compte du bien-être général, comme le signifient abondamment les recherches actuelles. Il convient également d’intégrer une vie démocratique qui peut s’effectuer au sein des discussions entre maitre et élèves, par les possibilités d’opérer des choix, ou de délibérations au sein des situations scolaires.

Cela s’accompagne également par des fonctionnements coopératifs, parfois dans des dynamiques et des démarches de projets, pour tous les acteurs concernés, avec le souci de chacun. Les apprentissages sont dès lors considérés comme un parcours différent dans lequel les élèves n’apprennent pas de la même manière, ni au même rythme, dans une « communauté discursive » (faire coopérer les élèves en créant une communauté de travail et de connaissance autour des objets disciplinaires), à travers des défis, des situations-problèmes,  mais aussi  à permettre aux élèves d’être conscients de leur cheminement, à travers divers dispositifs de parole ou encore des bilans d’apprentissage.

Un livre construit sur l’apport de nombreuses recherches, amplement documenté avec des références très ciblées et pertinentes et qui nous donnent assez d’arguments pour ne pas être fataliste et combattre ce trop fameux échec scolaire…

Andreea Capitanescu Benetti