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Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école
Le projet poursuivi par Jean-Pierre Obin dans cet ouvrage court et percutant est annoncé dans l’introduction : « Ce livre se veut un cri d’alarme, il tente de décrire de manière aussi précise et documentée que possible ce qui se passe aujourd’hui dans notre école. […] Il essaie de discerner les sombres lendemain[[Publié en septembre 2020, cet avertissement a été tragiquement illustré par l’assassinat de Samuel Paty à la sortie de son collège le 16 octobre 2020.]] qui se préparent si nous n’agissons pas. Il propose aussi des pistes pour réagir et pour combattre l’islamisme sur le long terme » (p. 10). Nourri de statistiques, notamment issues d’un sondage IFOP de 2018 cité à sept reprises, il dresse un constat irréfutable et montre les deux faces du problème : en général, « le climat scolaire autour de la laïcité » est « apaisé » (93% des enseignants) mais 27% d’entre eux (57% en REP !) se disent « inquiets sur l’adhésion des élèves et des familles aux valeurs de la République ». De nombreux récits de situations vécues qui entraînent une forte charge émotionnelle illustrent ce qui est plus qu’un motif d’inquiétude.
L’auteur part du déni, voire de la « couardise », du monde politique et de l’ensemble des acteurs en présence de l’islamisme. Le choix du mot, expliqué et justifié, montre qu’au-delà du terrorisme qui profite de ce terreau, le plus inquiétant est l’adhésion à cet extrémisme de jeunes musulmans qui non seulement se radicalisent pour certains mais surtout dérivent pour beaucoup vers l’observance stricte des signes extérieurs de cette religion. On peut noter une légère dérive quant à la promesse du titre car on passe de « comment on a laissé » à « qui a permis cette subversion ».
Le personnel politique de droite, qu’il soit légitimiste, orléaniste ou bonapartiste (pour reprendre les catégories de René Rémond) ou de gauche, selon qu’il est victimaire, identitaire ou moralisateur (seul le républicain trouve grâce aux yeux de l’auteur) a mis « la poussière sous le tapis » (p. 8, 13, 14, 86 et 161). Reprenant Jean-Pierre Melville (Le cercle rouge), l’auteur accuserait presque les enseignants, les chefs d’établissement et les parents d’être « tous coupables » dans cette affaire. Deux chapitres montrent toutefois le village gaulois qui résiste, que ce soit dans un lycée d’excellence, dont la proviseure finit par céder la place sous la pression d’un recteur et d’un référent laïcité (un comble !), ou dans l’autobiographie, très émouvante, de Jean-Pierre Obin et de sa famille. Les deux derniers chapitres fournissent des pistes pour lutter contre l’islamisme sans se limiter au seul hexagone et pour le faire reculer ou disparaître, grâce à une stratégie qui repose sur l’éducation.
Pour alimenter le débat, je me permettrai moi aussi une métaphore forte : il y a des « trous dans la raquette ». Je parle ici du principe de laïcité évoqué à 26 reprises mais défini seulement au moyen de l’article 1 de la Constitution dans une version raccourcie et des deux premiers articles de la loi de 1905 qui porte sur la « séparation des églises et de l’État ». Qu’est-ce qui manque dans la citation (p. 54) ? « Elle [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ». Comment « respecter toutes les croyances » ? Jusqu’où aller ? Même si l’auteur joue sur la res publica, il n’est pas possible de limiter ce respect à la seule sphère privée. Toute personne n’exerçant pas une fonction publique pourra manifester son appartenance religieuse dans le domaine ou l’espace public si elle n’attente pas à la liberté d’autrui de croire autrement ou de ne pas croire ! Qu’en est-il de la loi sur ce point ? Existe-t-il un église musulmane ? Et puis, dans une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », il y a déjà eu des « accommodements raisonnables » : l’Alsace-Moselle, la Guyane et ce qu’il est convenu d’appeler l’outre-mer contreviennent à l’article 2 de la loi de 1905 qui stipule « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Comment comprendre que le conseil constitutionnel décide, le 21 février 2013, que les représentants du culte musulman ne peuvent pas être rémunérés par l’État en Alsace-Moselle alors que le sont ceux des religions chrétiennes et juive ? Cette atteinte au principe de laïcité, liée à l’histoire, est incompréhensible pour qui est attaché au respect et au traitement égal de tous les cultes. Preuve en est rapportée par l’auteur qui félicite Bernard Stasi et sa commission pour avoir interdit les « signes ou tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans l’école publique. Mais alors, il est compréhensible que certaines familles se réfugient dans le privé sous ou hors contrat, voire dans la pseudo éducation familale. Le recours fréquent de l’auteur à la jurisprudence qui n’est pas la loi mais son interprétation par les juges montre le même flou dans l’application du principe de laïcité qui laisse une grande marge d’interprétation.
C’est là que je mettrai en évidence un autre trou, lui aussi issu de la recherche de la paix scolaire : il y a bien longtemps que l’instruction, qui est seule obligatoire, résulte d’un choix parental. De plus, la loi Debré de 1959 a introduit la rémunération par l’État des enseignants du privé « sous contrat ». Elle organise la fuite de l’école publique. Comment s’étonner de la multiplication des établissements musulmans qui font ce choix du « sous contrat » ? Dès 1991, Gabriel Langouët et Alain Léger établissaient que 50% des élèves passaient par « le privé ». Veut-on augmenter ce flux et fermer le service public ? Déjà nombre d’élèves musulmans sont dans des établissements catholiques en France comme au Liban ! En 1984, François Mitterrand renonçait au « grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale » qui aurait pu empêcher la libanisation de notre système éducatif. Philippe Meirieu a posé l’alternative en 1997 : L’école ou la guerre civile. Qui l’a suivi ?
Outre les solutions proposées par l’auteur – augmenter la mixité sociale et fermer les établissements-ghettos, former à la laïcité tous les enseignants et les personnels de direction, lutter « pour le progrès, l’émancipation et la tolérance » (p. 158) -, il faut aussi envisager de changer l’article 131-1 du Code de l’éducation qui ne rend obligatoire que l’instruction et permet de la dispenser dans le public, le privé ou dans les familles. Issue d’un compromis compréhensible en 1882 mais aujourd’hui organisatrice d’une véritable séparation entre les enfants, cette partition est pernicieuse et nuisible à l’unité de la nation.
Faut-il confier le soin de ce combat au seul président de la république ? L’un des derniers de ses changements de pied, le 18 février 2020, consacrait le terme de séparatisme (il vaudrait mieux parler de subversion ou d’entrisme). Il est démenti le 6 octobre par son remuant ministre de l’intérieur (et des cultes ?) qui annonce un « projet de loi renforçant la laïcité et les principes républicains » ?
Les passages sur les chaînes de radio et de télévision de Jean-Pierre Obin ont été nombreux pendant le mois de septembre 2020 et le phénomène de la diffusion de « morceaux choisis » du rapport de 2004 s’est reproduit. Ce qui intéresse les médias, c’est la montée de l’islamisme et ils dissimulent eux aussi la plupart du temps la poussière sous le tapis. En effet, bien qu’elle soit attaquée nommément dans le livre pour son déni et son laxisme, la droite a trouvé un diagnostic qui l’arrange et a oublié de reconnaître ses responsabilités. La gauche n’a pas brillé par ses analyses, empêtrée qu’elle est dans le piège infernal tendu par la confusion entre les dérives islamistes et la défense laïque de la liberté de culte pour tous, y compris les musulmans.
Cet ouvrage mérite mieux qu’une exploitation assez primaire et sensationnaliste car il fournit des informations essentielles pour que soit redéfinie et précisée, notamment par une ou des lois prenant en compte la réalité contemporaine, l’application du principe de laïcité. Il nécessite une actualisation au regard des enjeux de l’éducation dans une France et une Europe qui cherchent à faire société tout en préservant les acquis d’une tradition de tolérance toujours menacée car elle est destinée à garantir la liberté de conscience.
Richard Etienne