Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Comment le cerveau crée notre univers mental

S’appuyant sur de nombreuses données issues de l’imagerie cérébrale, d’expériences de la psychologie et du suivi de patients, Chris Frith décrit l’univers mental crée par le cerveau.

Le premier chapitre présente différents cas où le « cerveau est abîmé » . L’auteur donne notamment l’exemple d’un patient souffrant d’une sévère perte de mémoire. Tous les jours, durant une semaine, ce patient s’est rendu au laboratoire, pour acquérir une simple habileté motrice. Les expériences de la veille indiquent clairement une incidence à long terme sur son cerveau, puisque son habileté motrice était meilleure chaque lendemain et surlendemain. « Ce changement opéré dans son cerveau n’avait toutefois aucun effet sur son esprit conscient » . Le patient ne pouvait rien se rappeler de ce qui s’était passé la veille. Ce cas montre que « notre cerveau peut savoir des choses que notre esprit ne sait pas ».

Puis, on nous décrit le fonctionnement d’un « cerveau sain ». Qu’en est-il par exemple de la vision ? En réalité, « nous ne sommes normalement pas conscients de ce brouillage des bords de notre vision. Nos yeux sont en mouvement constant, ainsi n’importe quelle partie de la scène visuelle peut devenir le centre de la vision où la perception des détails est possible ». C’est à partir de ce centre et de ce brouillage des bords de la vision que nous appréhendons le monde. Un bâton plongé dans l’eau semble brisé, bien que l’on sache qu’il n’en est rien. Il en va de même pour toutes les illusions optiques. Aussi, « un cerveau ordinaire et tout à fait sain ne nous donne pas une image vraie du monde ».

Un troisième chapitre s’intitule : « Ce que le cerveau nous dit de notre corps ». Chris Frith donne l’exemple du « membre fantôme » Ce vocabulaire désigne le membre absent chez l’amputé qui continuerait à envoyer des sensations nerveuses dans le cerveau. De telles sensations donnent une réalité fantomatique à quelque chose qui n’est plus là. « Des fantômes sont donc créés par [notre] cerveau. »

Au chapitre suivant, l’auteur décrit l’apprentissage « par essais/erreurs » . Cet apprentissage se fait essentiellement à partir des répétitions et du conditionnement. Puis, on nous présente les neurones miroirs qui ont pour caractéristique de refléter les actions réalisées par autrui. Ils ont été enregistrés chez le singe, puis chez l’homme dans diverses situations grâce à l’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (IRMf). Les neurones miroirs permettraient de comprendre ce que font les autres, mais également ce qu’ils ressentent. Le mécanisme miroir serait en outre impliqué dans le processus de l’imitation et serait donc une composante importante de la capacité des hommes à apprendre des tâches cognitives complexes, par la seule observation.

Le dernier chapitre évoque le pouvoir de l’esprit, de la connaissance, de la communication . « Ce que nous disons aux autres n’a pas besoin d’être le résultat d’une expérience personnelle. Cela n’a même pas besoin d’être vrai. On peut contrôler le comportement des autres en leur donnant de fausses informations. » Le comportement de nos prochains dépend de leurs croyances, même lorsque ces croyances sont fausses. « Et nous apprenons très vite à contrôler leur comportement en leur transmettant de fausses croyances. C’est la face obscure de la communication. Sans cette compréhension que le comportement est sous le contrôle des croyances, même lorsque celles-ci sont fausses, la tromperie et le mensonge délibérés seraient impossibles. Il semble que cette compréhension fasse défaut chez les autistes, et que ces patients soient incapables de tromperie. » C’est cette incapacité à tromper et à communiquer, qui fait paraître les autistes comme des personnes impolies et difficiles. « A l’autre extrême, par rapport aux autistes, [il y a] les schizophrènes paranoïaques, qui sont conscients d’intentions échappant à la plupart d’entre nous. Pour le paranoïaque, chaque parole peut constituer une tromperie ou un message caché qu’il s’agit d’interpréter. »

Chris Frith dresse ainsi avec clarté et précision le bilan de nombreuses études expérimentales. Que retenons-nous, cependant, des dernières découvertes issues des neurosciences ? L’imagerie cérébrale fonctionnelle permet de « détecter l’énergie consommée par le cerveau ». Ainsi mesure-t-elle « l’activité mentale » du cerveau . Cette mesure ne donne pas la possibilité de « “voir” dans [notre] esprit ». Mais si une personne prête attention à l’environnement sonore par exemple, « les régions les plus actives seront les deux zones situées sur les côtés du cerveau, où les neurones reçoivent directement les messages transmis par les oreilles ». D’après le neuroscientifique, chaque perception, activité, mémoire ou encore émotion peut s’expliquer à partir de la localisation d’une aire cérébrale. « Tout ce que nous savons, que ce soit à propos du monde physique ou du monde mental, nous vient de notre cerveau. » Le « je » est aussi une « invention » du cerveau . Ainsi, selon l’auteur, le cerveau est un « incroyable appareil » qui marche « bien mieux qu’une calculatrice ou un lave-vaisselle » (préface)… Toutefois, peut-on réduire le sujet connaisseur à un cerveau qui fonctionne ? Telles aires cérébrales sont peut-être activées au moment où l’on dit ou écrit quelque chose… mais, et alors ? Est-le cerveau qui parle ? Est-ce un objet extérieur au sujet connaisseur ? Comment une modification chimique puis électrique, peut-elle donner une pensée, une réflexion, une conscience ? Serait-il possible de replacer et d’interroger ce qui est observé, dans une perspective épistémologique, prenant en compte l’observateur dans toute sa complexité ?

Mélanie Hamm