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Comment buller en classe ?

Comment en êtes-vous venus à ce projet de classe ?

Tous les élèves de notre collège ont diverses opportunités de rencontrer l’univers de la bande dessinée : ateliers BD, club manga, rencontre d’auteurs, participation au festival d’Angoulême, approche dans le cadre d’enseignements disciplinaires, visite d’expositions, participation aux actions mises en place par le service éducatif de la cité, et simplement la consultation des quatre-vingts bandes dessinées mises à la disposition des élèves, toutes les six semaines, grâce à un abonnement à la bibliothèque de la cité.

Pour aller plus loin, nous avons créé à la rentrée 2012 une classe de 6e centrée sur l’étude de la bande dessinée. Ce voyage, au centre et autour du monde de la BD, leur est proposé pour quatre ans, avec la possibilité d’arrêter l’option à la fin de chaque année scolaire pour s’orienter vers d’autres horizons, s’ils le souhaitent (classe européenne ou option théâtre en 4e, etc.).

Est-ce que toutes les disciplines sont mises à contribution ?

Nous avons bousculé l’organisation traditionnelle de la classe afin de décloisonner les enseignements et alterner des phases d’apprentissages classiques et théoriques avec des temps forts (rencontre d’auteurs, visite d’exposition, débats, lecture, etc.). Une demi-journée est réservée à l’étude de la bande dessinée avec un alignement des cours de français et d’histoire, et une heure intitulée « BD mode d’emploi[[Titre emprunté à Thierry Groensteen : La bande dessinée mode d’emploi, Les impressions nouvelles, 2007.]] », assurée par moi.

D’autres enseignants contribuent au projet : en sciences de la vie et de la Terre, les élèves ont fait des recherches sur les animaux dans la BD. Après avoir choisi un animal, ils ont réalisé sa carte d’identité scientifique. Puis ils ont construit des panneaux représentants les animaux réels et les animaux fictifs (style « leçon de choses ») qu’ils exposeront dans un musée imaginaire à la fin de l’année scolaire. Les élèves présenteront en juin 2013, une performance artistique autour de la BD (danse, musique corporelle, mise en voix et en geste du scénario écrit collectivement en cours de français) dans le cadre de l’enseignement physique et sportif et avec l’aide d’une assistante d’éducation diplômée en musique corporelle. La professeure d’anglais participera l’année prochaine : elle prévoit de créer des strips en anglais avec les élèves.

Comment éviter que, dans des activités de groupe pour réaliser une bande dessinée, ce soit les élèves qui écrivent, dessinent, inventent le mieux qui agissent et produisent?

La recherche des idées pour le scénario était individuelle, les élèves ont tous rédigé un texte. Les contraintes d’écriture ont été données par l’enseignante de français : mélanger les personnages de cinq contes étudiés en classe à la manière de Tarek et d’Émile Bravo. Puis il y a eu une mise en commun et vote. Ensuite, les élèves ont rédigé en groupe les différentes étapes du conte. Ils ont chacun procédé au découpage d’une partie du scénario et ont décrit le contenu des cases, des bulles ou pavés narratifs de la partie qu’ils ont choisie. Ils ont donc tous une partie écriture et dessin en charge, puisque la BD sera écrite et dessinée à 29 mains. Ils font ensuite des recherches sur leurs personnages. Ils apprennent à dessiner les personnages retenus et surtout donner aux personnages des détails qui permettront au lecteur de les identifier puisque les dessinateurs sont différents.

Un travail intéressant autour du brouillon a été mené. Nous les avons incités à garder trace de leur travail de recherche (mémoire des expériences, essai, dessin, reproduction, notes de lecture…), sur un cahier de brouillon, carnet de lecture personnel. Nous leur avons présenté des planches d’essais, des crayonnages, des scénarios d’auteurs.

Cette création à 29 mains (qui est une première pour les enseignants et pour nos partenaires) nous semble intéressante, chacun apprend et doit surtout tenir compte de ce que l’autre crée pour obtenir au final un récit dessiné cohérent. Donc à notre avis pas de tâches secondaires, mais un grand travail en commun dans lequel chaque élève est créatif et peut laisser libre cours, tout de même, à sa personnalité.

A-t-on pu mesurer les effets, « les retombées », des activités BD sur les acquisitions disciplinaires classiques ?

Nous avons constaté pour le moment que les élèves sont plus à l’aise dans l’utilisation du vocabulaire spécifique de la BD. Les élèves bons lecteurs de BD sont aussi devenus de bons lecteurs d’œuvres de la littérature pour la jeunesse, ils se construisent une culture littéraire et une culture graphique grâce aux lectures en réseau que nous leur proposons à chaque thème abordé, en français, histoire et SVT. Le taux d’emprunt de livres au CDI est en nette progression depuis le début de l’année. Les élèves bons lecteurs et ceux plus en difficultés, s’échangent aussi des livres en dehors du collège sur les thèmes abordés et nous font très souvent part de leurs découvertes. Ils lisent de façon beaucoup plus attentive leur BD et deviennent petit à petit de véritables interprètes de leurs lectures. Grâce aux expositions visitées lors du festival de la BD, ils ont pris l’habitude de repérer des parodies, des références historiques et littéraires dans d’autres BD ou revues. Ils sont très fiers d’en discuter avec nous et de le faire découvrir à la classe.

Depuis qu’ils ont eu une petite initiation au dessin et surtout que nous les avons décomplexés, en leur montrant qu’il est possible de raconter une histoire avec des bonshommes bâtons, ils sont plus à l’aise face à leur planche, ont beaucoup progressé dans l’écriture du scénario et dans son découpage en cases, dans l’articulation entre le texte et l’image.

Ils ne progressent pas tous au même niveau, c’est bien normal, mais les plus réticents et les plus faibles prennent du plaisir dans la création et apprennent sans s’en rendre compte !

Propos recueillis par Raoul Pantanella