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Combien y a-t-il de bouts à une lorgnette ?

Printemps 2000, dans toute la France ou presque, le monde enseignant est en ébullition, les réformes pleuvent et le ministre s’écroule : les réformes s’en iront-elles avec lui ?

Rentrée 2000 dans un lycée ordinaire d’une ville ordinaire « journée entre soi » des adultes de l’établissement.

Le proviseur parle environ deux heures en séance plénière.

Après les présentations d’usage des nouveaux, toujours nombreux ici, les affaires matérielles sont expédiées en trois quarts d’heure pour en arriver à la véritable innovation de la rentrée.

Le singulier fait dresser l’oreille aux enseignants : qu’est-ce que le ministre a conservé ou supprimé dans tout de qui était prévu ? En deux mots le proviseur précise tout d’abord que des réunions de profs auront lieu plus tard pour travailler sur TPE et autres changements. Puis il développe pendant un très long moment ce qui lui paraît essentiel : « Les diverses et parfois contradictoires circulaires réglementant les voyages et sorties scolaires ont enfin été remplacées par un décret ». Voilà la grande nouvelle. Et d’insister fortement sur ce mot, « décret », persuadé que la masse enseignante ici présente ne considérera pas comme futile cette différence de taille dont elle perçoit nettement la signification. Ce décret très précis met en effet en cause directement la responsabilité du chef d’établissement et de l’agent comptable.

« La belle affaire ! » se gausse l’assemblée qui se répand en plaisanteries plus ou moins fines sur cette façon « de regarder la rentrée par le petit bout de la lorgnette »…

Et pourtant, dieu sait si elle a défrayé la chronique des dernières années, cette histoire de responsabilités dans les sorties et voyages… au point de tenir beaucoup plus de place dans l’actualité que le contenu des réformes proposées dans les lycées.

Le petit bout de la lorgnette de ce proviseur n’est-il rien d’autre que le gros bout de la lorgnette des journalistes ? Ou bien, une légitime inquiétude, attisée par l’amplification des médias, n’est-elle pas venue très classiquement transformer en angoisse ce que la situation pédagogique comporte d’incertitude et de risque ? Après cela, allez parler d’innovation sans prendre le prétexte de la sécurité pour rechigner à donner aux élèves les moyens d’autonomie que réclament les TPE ? Bien entendu, la réflexion sur les réformes n’est pas rejetée : elle aura lieu entre personnes concernées. Et cela semble la sagesse… Mais la sécurité c’est l’affaire de tous.

Et c’est ainsi que l’on fait passer la réglementation avant les réformes de fond, car c’est bien du fond qu’il s’agit quand on envisage ni plus ni moins de mettre en première ligne la relation pédagogique et l’autonomie de l’élève. Cela, on ne pourra le réaliser par aucun décret qui court-cicuiterait un long travail collectif de réflexion et de pratique. Peut-être est-ce là le troisième bout de la lorgnette ?

Elizabeth Thuriet, professeur d’EPS.